Notre chroniqueur Alphonse Moura, expert portugais des questions stratégiques et géopolitiques, parfaitement francophone, hispanophone, italophone et anglophone, également politologue et historien, suit de façon assidue, notamment la politique intérieure du voisin espagnol, et il nous livre à la veille des élections législatives ibériques, une analyse à la fois précise et originale des possibles conséquences d’une victoire de la droite et d’une défaite du « sanchisme », la gauche espagnole qui règne depuis des années dans un contexte de redistribution des cartes et des forces avec l’émergence de nouveaux partis qui ont mis à mal le vieux bipartisme. Il explique que le PP, la droite espagnole classique, n’aura pas d’autre choix que de faire alliance avec la droite dure, Vox, sur le modèle italien du « centro-Destra » qui a porté avec succès Giorgia Meloni et son parti Fratelli d’Italia à la tête de l’exécutif italien. Fort du soutien affirmé de Meloni, Vox est donc la clef de l’éventuel succès des droites espagnoles qui pourrait faire basculer les équilibres politiques non seulement au niveau national, si le partido popular en prend conscience et ose franchir le Rubicon, mais aussi européen car avec la Hongrie et la Pologne, le tandem Espagne-Italie pourrait lancer une nouvelle dynamique dont la machine bruxelloise serait contrainte de tenir compte…
Les Espagnols votent ce dimanche, 23 juillet dans le cadre d’une élection qui scellera l’avenir de Pedro Sánchez, l’homme fort du socialisme espagnol. Rappelons que ces élections arrivent quelques mois après la défaite socialiste du 28 mai 2023 à l’occasion de laquelle les électeurs espagnols ont puni localement et régionalement. les socialistes et ainsi provoqué l’élection de dimanche.
Pedro Sánchez est un homme assez perspicace en ayant anticipé l’élection qui devait avoir lieu aux environs d’octobre ou novembre, ce qui lui a permis de façon assez habile et intelligente d’écourter la campagne et la pré-campagne. Cela a fait que ses adversaires, notamment le Parti Populaire (Partido Popular) et Vox, n’ont pas eu assez de temps pour affiner leurs stratégies. Sánchez sait très bien que la temporalité en politique est la clef. Il a également voulu forcer la gauche à prendre clairement position : soit laisser faire une alliance des droites, soit voter pour lui. Le en même temps sanchiste consiste en attaquer les adversaires à droite et à gauche, sans pitié et sans merci.
Les socialistes cherchent un miracle
Le PSOE (Partido Socialista Obrero Español) voudrait être le parti le plus voté de ces élections. Cette tâche va être très difficile après plusieurs années aux affaires ; après avoir traversé la pandémie et en ayant dû composer avec Podemos qui était un allié fort encombrant. Presque tous les sondages montrent de ce fait un Sánchez loin derrière le candidat des populaires (droite) : Alberto Núñez Feijóo.
L’image du leader socialiste n’est plus la même, et la fatigue de mener un exécutif composite n’a pas laissé Sánchez indemne. Il patine, il se trompe sur des questions qu’il maîtrisait parfaitement auparavant. Et il faut reconnaître que c’est toujours plus confortable de faire partie de l’opposition, car celle-ci n’a pas un bilan à défendre…
Les populaires s’approchent de la terre promise
Le Parti Populaire a tout d’abord été mis en difficulté avec l’apparition de Ciudadanos (Citoyens), notamment après 2015. Le parti Citoyen a connu son plus grand succès lorsque Albert Rivera était son leader. Il menaça alors considérablement le Parti Populaire en séduisant une partie
importante de ses électeurs classiques. La plus grande victoire des populaires le dimanche soirne sera donc pas d’être le parti le plus voté. Leur plus grande victoire sera la mort de Ciudadanos, déjà annoncée lors des élections régionales et locales de mai 2023. Mais les festivités donneront rapidement lieu à la froide réalité : le rêve de retourner au bipartisme (où le PP et le PSOE se divisaient le gâteau) n’est plus viable. Le PP aura ainsi très probablement besoin de Vox pour avoir une majorité nationale – les deux partis sont déjà unis dans plusieurs gouvernement régionaux comme la Communauté valencienne. Feijoo, baron de la Galicie, a ainsi décidé de ne pas participer au débat avec les autres trois grands candidats – Sánchez, Díaz et Abascal. Nous pensons que cette abdication lui coûtera peu, mais les Espagnols aiment les hommes (et les femmes) qui descendent dans l’arène. Feijóo a joué le rôle du leader distant et responsable, son seul débat fut un tête-à-tête contre Sánchez. Si cette option permet de réduire ses adversaires et d’essayer d’imposer un choix binaire, il est aussi vrai qu’il n’a pas eu la chance d’attaquer visiblement Yolanda Díaz ni Santiago Abascal, laissant cet avantage à Sánchez.
Sumar : il faut que tout change pour que rien ne change
Podemos avait besoin d’un renouveau. La « marque » peinait à retenir l’attention de ses électeurs et elle était trop liée à Pablo Iglesias. Yolanda Díaz, ministre du Travail de Sánchez, a ainsi créé le parti de gauche Sumar afin d’atteindre essentiellement deux objectifs ; primo : détrôner Irene Montero, secundo : élargir la portée de la gauche hors PSOE. Montero s’est donc sans surprise mobilisée contre Díaz. Sans effet. Podemos compris rapidement que Sumar serait le représentant de la gauche de la gauche lors de l’élection du 23 juillet. Podemos s’est alors pliée à la majesté de Sumar et a rejoint la nouvelle coalition électorale, au détriment de la volonté et de la stratégie de Montero. La dureté et la rivalité ne sont pas l’apanage des hommes… Le style plus modéré et bourgeois de Yolanda contraste avec la fureur et l’intensité d’Irene Montero. La gauche hors PSOE est désormais représentée par une femme attachante et souple, comme la tante aimante de tous les Espagnols. Elle pourrait même voler la dernière place du podium à Vox…
Vox rêve en italien
Feijóo a axé sa campagne sur une phrase – « abroger le Sanchisme » (derogar el Sanchismo). Vox a pertinemment compris que le PP semble parfois vouloir déroger le Sanchisme avec le soutien du PSOE, un souhait certes un peu incohérent… Le PP se positionne ainsi comme le parti rationnel et modéré, face aux radicalismes de droite et de gauche. La radicalité de la gauche, vous l’avez bien compris, démarre avec Sánchez et non avec les podemitas (nom dépréciatif pour décrire les votants et sympathisants de Podemos). Vox questionne donc le PP : « allez-vous déroger le Sanchisme avec Sánchez » ? La question est pertinente et elle permet à Vox de ramener de son côté l’électeur indécis pris en tenailles entre sa formation et celle des Populaires. Santiago Abascal est un orateur doué, et ses flèches ouvrent des trous dans l’armature de Feijóo. Abascal a imposé ainsi un clivage assez classique : celui entre ceux qui votent à gauche et ceux qui votent à droite.
Son but ? Vaincre les premiers, convaincre les seconds ! Comment les populaires peuvent-ils défendre l’idée que Vox est « trop radical » pour faire partie d’un gouvernement national, tout en soutenant qu’il est suffisamment modéré pour faire partie des gouvernement régionaux ? La volte-face de María Guardiola en Estrémadure est claire et nette : sans Vox, les populaires ne réussissent plus à atteindre le bon nombre.
Le Destin de l’Espagne par l’Estrémadure !
Il est fort probable que le destin de l’Espagne passe par l’Estrémadure ou, plus précisément, pour le modèle de cette région. Contrairement à d’autres régions espagnoles où le PP et Vox se sont alliés sans trop de problèmes – comme en Castille-et-Léon – au niveau national, le PP pourra dire qu’il ne peut pas se coaliser avec Vox, ceci afin de conserver sa respectabilité. Nous allons donc probablement observer un premier moment de séparation entre les deux forces, qui, cela est assez probable, sera poursuivi par une phase de développement comme en Estrémadure, aux termes de laquelle le PP finira par céder à Vox.
Le souhait de Vox est simple : importer le vocabulaire italien, importer ce que les Italiensnomment le « centrodestra » (centre-droit), et qui inclut en fait la Ligue Nord très anti-immigration, les centristes de droite, Forza Italia de Berlusconi (défunt) et Tajani (ministre des affaires étrangères de Meloni), et Fratelli d’Italia, force nationaliste classée par beaucoup en Occident comme « ex-fascistes » ou « extrême-droite » populiste mais considérée en Italie comme droite souverainiste (ndlr).
“L’heure des patriotes est arrivée, et leur rôle en Europe sera décisif », a déclaré Giorgia Meloni, la Première ministre italienne». D’évidence, la meilleure alliée extérieure de Vox est la présidente du Conseil italien, Giorgia Meloni. Celle-ci a d’ailleurs fait une apparition significative dans la campagne espagnole, en apportant tout son soutien à son ami « Santi » (Santiago Abascal, le leader de Vox. Elle n’était pas présente en Espagne, mais grâce aux développements numériques elle était là, pour parler – en espagnol messieurs ! – à la foule. « Il est crucial que le 23 juillet prochain se crée une alternative patriotique-conservatrice, dans laquelle Vox jouera un rôle protagoniste et décisif dans la formation d’un nouveau gouvernement national”, a lancé la première ministre italienne lors d’un meeting de Abascal à Valence pour inaugurer l’entrée de Vox dans le gouvernement autonome. L’ovation des Espagnols en faveur de la chef du gouvernement italien démontre que la scène européenne est en train de changer.
En guise de conclusion : la mort du macronisme
Une partie non-négligeable des analystes vous confirmera que le scénario espagnol actuel façonnera de manière décisive la feuille de route de l’UE, sachant que l’Espagne préside le Conseil de l’Union Européenne jusqu’à la fin de l’année 2023. Nous, à contrario, soutenons que ce rôle est essentiellement symbolique. L’élection sera décisive d’un autre point de vue : si Vox réussit à en effet à devenir le partenaire minoritaire d’un gouvernement du PP, le rapport de force en Europe sera modifié. La Pologne et la Hongrie – les enfants terribles – seront de moins en moins seules. L’Italie et l’Espagne sont deux alliées de taille. Même le poids écrasant de la bureaucratie bruxelloise ne pourra pas rester indifférent aux changements politiques continentaux.
La grande confirmation de l’élection sera perdue entre l’euphorie des gagnants et la tristesse des perdants. Le macronisme espagnol est mort, Ciudadanos s’éteindra. Et l’Espagne, comme tant d’autres fois dans sa longue histoire, aura été une force de stabilité, contre la liquidité du temps, du nôtre et des temps d’antan.