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La poche de Falaise

La poche de Falaise ou la victoire inachevée[1]

Par Sylvain Ferreira

Du 19 au 21 août 1944, dans le secteur de Chambois, paisible village normand, la Wehrmacht parvient à s’extraire partiellement de l’encerclement orchestré par les forces alliées afin de l’anéantir. Retour sur cet épisode qui aurait pu porter un coup décisif au Reich si les Alliés avaient disposé d’une doctrine de combat moderne capable de mener des opérations d’encerclement d’envergure[2].

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Le 16 août 1944 à midi, Feldmarschall von Kluge qui commande les forces allemandes à l’OuestOberbefehlshaber West -, refuse l’ordre d’Hitler de lancer une nouvelle contre-attaque contre les forces alliées, affirmant que cela est tout simplement irréalisable. Hitler autorise finalement la retraite des forces allemandes dans l’après-midi, mais, suspectant von Kluge de vouloir capituler, Hitler le démet de ses fonctions le 17 août au soir et le rappelle en Allemagne ; en route, von Kluge se suicide. Le Feldmarschall Model lui succède et ordonne immédiatement le retrait de la 7. Armee et de la 5. Panzerarmee, tandis que le II. SS-Panzerkorps défend le nord de l’axe nord de repli contre les Britanniques et les Canadiens, et le XLVII. Panzerkorps tient la zone sud face aux Américains. Pour les Alliés, le temps est crucial pour bloquer la retraite de l’armée allemande, mais avec les Américains retenus à Argentan et la lente progression des Canadiens vers Trun, le 17 août, l’encerclement reste incomplet. La 1re Division blindée polonaise commandée par le général Maczek, intégrée à la 1st Canadian Army, est alors divisée en trois groupes de combat et reçoit l’ordre de contourner largement vers le sud-est pour rejoindre les Américains à Chambois. Le 18 août, Trun tombe enfin aux mains de la 4th Canadian Armored Division. Le lendemain, après avoir pris Champeaux, les Polonais convergent vers Chambois et, renforcés par les Canadiens, ils sécurisent la localité et font également leur jonction avec les troupes américaines de la 90th US Infantry Division et les unités de la 2e DB de Leclerc. L’encerclement est désormais, mais les Alliés ne sont pas encore en nombre suffisant pour bloquer complètement la retraite de la 7. Armee, et leurs positions subissent de violents assauts. Ainsi, dans la journée, une colonne de la 2. Panzer-Division parvient-elle à percer les lignes canadiennes à Saint-Lambert, s’emparant de la moitié du village et maintenant ainsi une route de sortie ouverte pendant six heures avant qu’elle ne soit refermée au cours de la nuit. De nombreux soldats allemands parviennent à s’échapper par cette voie tandis que d’autres, en petits groupes, se faufilent vers la Dive sous le couvert de la nuit.

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Après avoir pris Chambois, deux des groupes de combat polonais se dirigent vers le nord-est et s’installent sur la cote 262 – Mont-Ormel -, passant la nuit du 19 août à renforcer les lignes d’approche de leurs positions. Le lendemain matin, Model tente à nouveau d’ouvrir une voie de sortie, ordonnant aux derniers éléments des divisions « Das Reich » et « Hohenstaufen » d’attaquer les positions polonaises depuis l’extérieur de la poche. Vers midi, plusieurs unités des divisions SS « Hitlerjugend », « Frundsberg » et de la 116. Panzer-Division parviennent à percer les lignes polonaises et à ouvrir un corridor, tandis que la division « Hohenstaufen » immobilise les Canadiens, les empêchant ainsi d’intervenir. À la mi-journée, environ 10 000 soldats allemands ont réussi à sortir de la poche. Malgré leur isolement et les attaques ultérieures, les Polonais tiennent bon sur la cote 262. Bien qu’incapables de refermer hermétiquement le corridor, ils utilisent leur position élevée pour diriger le tir d’artillerie sur les troupes allemandes en retraite, leur infligeant de lourdes pertes. Exaspéré par les pertes subies, Hausser, le commandant de la 7. Armee, ordonne d’attaquer les positions polonaises. Des unités improvisées sont constituées autour des survivants de la 352. Infanterie-Division et de plusieurs kampfgruppen de la « Das Reich ». Les Allemands infligent alors de lourdes pertes aux 8e et 9e bataillons de la 1re Division blindée polonaise, mais leur assaut est repoussé in extremis. La résistance polonaise épuise presque entièrement leurs munitions, les laissant dans une position précaire : incapables d’intervenir, ils sont contraints d’observer impuissants les survivants du XLVII. Panzerkorps s’extraire de la poche.

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Après les combats acharnés de la journée, la nuit apporte un certain soulagement aux deux camps. Les combats nocturnes sont sporadiques, bien que les Polonais continuent de guider les tirs d’artillerie pour perturber la retraite allemande. Les attaques allemandes reprennent le lendemain matin ; malgré de nouvelles pertes et la capture de certains soldats, les Polonais conservent coûte que coûte leur position sur la crête. Vers 11h00, une ultime tentative d’assaut sur les positions du 9e bataillon polonais est lancée par les derniers éléments combattants des 2. SS et 9. SS-Pz-Div., mais elle est à nouveau repoussée. Peu après midi, les Canadian Grenadier Guards rejoignent les défenseurs du Mont-Ormel, et en fin d’après-midi, les derniers éléments des divisions « Das Reich » et « Hohenstaufen » entament leur retraite vers la Seine. Depuis le début de l’opération Tractable, les Polonais ont perdu 325 hommes tués, 1 002 blessés et 114 portés disparus. En ce qui concerne leurs blindés, ils déplorent la perte définitive de 80 chars et 60 autres endommagés mais réparables.  Le 21 août au soir, les chars de la 4th Canadian Armored Division rejoignent les forces polonaises à Coudehard, tandis que les 3rd et 4th Canadian Infantry Divisions sécurisent définitivement Saint- Lambert et le passage au nord de Chambois. Cette fois, la poche de Falaise est enfin complètement fermée.

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Faute de pouvoir coordonner un encerclement avec des moyens suffisants et surtout en l’absence de doctrine pour mettre en œuvre ce type si singulier d’opération, les Alliés ont permis aux Allemands d’utiliser une tactique éprouvée sur le front soviétique. Cette méthode consiste, depuis l’intérieur de la poche, à concentrer tous les moyens encore disponibles pour créer des « Schwerpunkt » regroupant les derniers échelons de combat (Grenadiere et Panzer) contre les points les plus faibles du front allié, afin de créer des brèches pour ensuite s’y engouffrer. Parallèlemen, les Allemands organisent systématiquement une force de secours à l’extérieur de la poche pour, d’une part, contraindre les assiégeants à diluer leurs forces et, d’autre part, ouvrir une brèche en coordination avec l’axe de percée. La faiblesse des effectifs alliés engagés pour fermer la poche est donc la principale raison du succès tactique de la percée allemande du 20 août. Cependant, pour compenser ce déficit de moyens, les Alliés, conformément à leur doctrine, misent tout sur leur puissance de feu, largement supérieure à celle des Allemands, ainsi que sur leur maîtrise absolue du ciel jusqu’à l’après-midi du 19 août, moment où l’apparition de la pluie réduit son impact jusqu’à la fin des opérations. Il est important de noter que l’artillerie alliée joue un rôle clé tout au long des combats. À partir du 19 août, entre 2 600 et 3 000 canons pilonnent en permanence les troupes allemandes dans un périmètre de plus en plus restreint. Mais ce n’est pas son action qui est déterminante. En effet, elle n’est responsable quede 34 % des destructions de véhicules, tandis que 60 % ont été sabordés par les Allemands eux-mêmes. Par ailleurs, l’aviation alliée, malgré ses efforts, n’a détruit que 6 % des véhicules[3]. Cependant, au-delà des pertes infligées, elle a joué un rôle déterminant en empêchant le trafic routier sur les voies d’approvisionnement logistique des armées allemandes. Cela a entraîné des pénuries de carburant qui sont responsables de la majorité des sabordages de véhicules. C’est donc principalement par son action contre les convois de camions-citernes à l’extérieur du saillant, puis de la poche, que l’aviation alliée a joué un rôle crucial dans la destruction du parc blindé-motorisé de la 7. Armee.

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Un bilan mitigé

La poche de Falaise-Chambois a fait l’objet de nombreux débats quant aux pertes infligées à la Wehrmacht, tant en termes de soldats que de matériel. Concernant les effectifs, il est désormais établi que la Wehrmacht a réussi à évacuer environ 55 000 hommes entre le 12 et le 19 août, en anticipant les ordres formels d’Hitler et en profitant des hésitations et des contre-ordres du commandement allié. Ensuite, lors des journées décisives des 20 et 21 août, environ 45 000 autres soldats ont réussi à sortir de la poche en combattant. Au total, ce sont donc 100 000 hommes qui ont été évacués entre le 12 et le 21 août. Parmi eux, on note la présence de quatorze états-majors divisionnaires, dont huit de Panzer-Division. De plus, seuls trois généraux de division et un commandant de corps d’armée – le Generalleutnant Elfeldt – ont été capturés par les Alliés sur les quinze encore présents le soir du 19 août. Ces officiers, essentiels et d’une compétence irremplaçable à ce stade de la guerre, ont permis la renaissance rapide de leurs divisions à partir de la mi-septembre, jusqu’au lancement de l’offensive des Ardennes. Nombre d’entre eux vont encadrer les nouvelles recrues qui seront lancés dans cette opération en décembre 1944. Selon les estimations alliées, entre 10 000 et 15 000 Allemands ont été tués, et entre 45 000 et 50 000 autres faits prisonniers. Sur le plan matériel, les pertes allemandes sont catastrophiques. Les chiffres avancés par les Alliés estiment qu’entre 187 et 220 Panzer et StuG ont été détruits, ainsi que 160 pièces d’artillerie autopropulsée, 130 canons antiaériens, entre 130 et 157 véhicules blindés légers, entre 252 et 700 pièces d’artillerie tractée, 1 778 camions, 669 automobiles, plus de 2 000 attelages hippomobiles et que 1 800 chevaux sont morts. Le matériel de transmission, les équipements médicaux, les trains logistiques et les ateliers de réparation perdus sont innombrables. Tous ces chiffres, comparés à ceux des évacués, illustrent bien une défaite majeure pour la Wehrmacht, mais pas irréversible comme l’espéraient les Alliés.


[1]   Ferreira, Sylvain, La poche de Falaise, Hors-série Batailles & Blindés n°47, Caraktère, 2021

[2]   Ferreira, Sylvain, Percer en Normandie, Ligne de Front n°104, Caraktère, 2023

[3]   Latawski, Paul, Battle zone Normandy : Falaise Pocket, Sutton Publishing Ltd, 2004, page 98

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