Et si le cinéma avait inventé l’IA ?

Shares
Cinéma et intelligence artificielle
Photomontage LeLab Picto Le Diplomate

Par Lionel Lacour

 

Depuis des décennies, le cinéma a proposé aux spectateurs de robots et d’ordinateurs qui ressemblaient de plus en plus aux humains. C’est véritablement avec Metropolis de Fritz Lang en 1927 que le cinéma a compris l’intérêt de proposer un double de l’humain, dans la continuité du scientisme du XIXe s. faisant de l’Homme le nouveau créateur. Grâce au développement de toutes les sciences, notamment biologiques mais surtout informatique et grâce à l’énergie électrique, les sociétés contemporaines se sont dotées de machines de plus en plus performantes mises en scène par les cinéastes. Jusqu’à imaginer que celles-ci pourraient se retourner contre leurs créateurs.

Le scientifique-auteur Isaac Asimov a compris dès 1942 la nécessité de créer une table de la loi pour les créatures robotiques. Et c’est dans Planète interdite de Fred McLeod Wilcox en 1956 que le futur célèbre Robbie le Robot est présenté aux spectateurs et dont les qualités premières sont exposées, à commencer par la première loi :

À lire aussi : Eurovision 2024, un concours d’un nouveau « genre »

Un robot ne peut porter atteinte à un être humain ni, restant passif, laisser cet être humain exposé au danger.

À partir de là, les films n’ont cessé de positionner les robots et les ordinateurs sur la ligne de crête. De l’ordinateur HAL tuant un astronaute dans 2001 L’odyssée de l’espace de Kubrick à Ex Machina d’Alex Garland envisageant un androïde capable de séduire autant que de trahir, les cinéastes ont aimé mettre leurs spectateurs dans une situation d’anticipation dans laquelle le biologique serait dépassé par une intelligence artificielle.

Mais qu’en est-il véritablement ? Le cinéma accompagne-t-il les découvertes scientifiques ou bien les anticipe-t-il ? Jean-Gabriel Ganascia, grand spécialiste de l’IA et de la robotique rappelait dans son livre Le mythe de la singularité : faut-il craindre l’intelligence artificielle ? que pour la première fois, des laboratoires scientifiques avaient été créés avec des budgets colossaux pour coller aux inventions des films quand autrefois, c’étaient les scénaristes qui s’inspiraient des découvertes technologiques.

Le fait est que le cinéma réussit à devancer les réalités technologiques qui progressent moins vite que l’imagination des scénaristes. I robot d’Alex Proyas en 2004 adaptait une nouvelle d’Asimov en plongeant les spectateurs dans un univers dans lequel les humains seraient totalement dépendants de robots et d’une intelligence artificielle. Mais, derrière ces androïdes présents partout à l’écran et dans tous les moments de la vie (aide domestique, sécurité, services multiples…), c’est moins la possibilité d’une robotisation d’un monde que la soumission des citoyens à des aides numériques qui nécrosent les compétences cognitives des humains.

À lire aussi : IA : Géopolitique de l’avenir

Car, là où le cinéma est certainement le plus proche de la vérité contemporaine, c’est en réalité moins dans les innovations technologiques dont certaines restent hypothétiques, que dans l’analyse des conséquences sur les sociétés autant que sur les comportements individuels. Le film Her de Spike Jonze en 2013 est de ce point de vue le plus caractéristique, montrant comment les individus peuvent se désocialiser en nouant des liens quasi-amoureux avec une intelligence artificielle ressemblant de près ou de loin à toutes ces Alexa ou autres stations d’assistance numérique.

Ainsi, le cinéma pose moins les questions sur l’innovation technologique que sur les réflexions sur les conséquences d’une société de plus en plus numérisée, de plus en plus dépendante d’assistants semblant se substituer aux décisions humaines. Il pose aussi la définition même de l’humanité. Une humanité qui se définit de moins en moins par le biologique – réparable à l’infini pour certain – que par ce que certains appelleraient l’âme ou d’autres la conscience. Comme le scientisme du XIXe s envisageait un monde mécanique et électrifié, celui du XXIe s. considère que le futur sera tout numérisable, y compris l’esprit humain, y compris les souvenirs personnels.

À lire aussi : JO et cinéma : deux universalismes complémentaires ?

Après que le cinéma a préparé les spectateurs à l’IA en anticipant les possibilités de leur autonomisation, les réalisateurs vont désormais encore plus loin. Il ne s’agit plus seulement de craindre cette émancipation qui pourrait se retourner contre l’humanité mais bien d’envisager la création d’une sorte de nouvelle espèce, mêlant biologie et technologie. Quand les écrivains et cinéastes du XIXe et XXe s. redoutaient que les hommes se prennent pour des dieux en fabriquant des créatures auxquelles ils donnaient une énergie vitale, Gareth Edwards réalise en 2023 The Creator dans lequel l’humanité est dépassée par ces androïdes devenus bien plus humains que leurs créateurs… Et pour la première fois, le transhumanisme qui longtemps fut montré comme un danger pour l’humanité, semble devenir le rempart à la folie destructrice des Hommes.

Ainsi, ce que ces films d’anticipation nous proposent, c’est un regard sur nos sociétés que certains cinéastes jugent en dérive, en utilisant les mutations technologiques potentielles pour nous alerter. Et si le cinéma a inventé l’IA, il se pourrait que ce soit finalement pour réveiller notre intelligence… tout court.

À lire aussi : Rue du Premier-Film de Thierry Frémaux : Le chaînon manquant


#cinéma, #intelligenceartificielle, #robots, #transhumanisme, #sciencefiction, #FritzLang, #Metropolis, #IA, #robotsaucinéma, #anticipation, #technologiefuture, #cinémaetIA, #androïdes, #réflexionhumaine, #biotechnologie, #futuretechnologique, #filmssurIA, #conscienceartificielle, #technologietransformative, #transformationnumérique, #technologiedemocratique, #sociéténumérisée, #réflexioncinéma, #innovationscinéma, #conséquencestechnologiques, #avenirhumain

Shares
Retour en haut