Partie de dominos en Ukraine

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Décision de Biden sur l'Ukraine

Tribune de Julien Aubert

La décision de Joe Biden d’autoriser l’Ukraine à utiliser les missiles longue portée pour frapper le territoire russe a été fortement commentée : à qui s’adresse le message ? Zelensky ? Trump ? Poutine ?

Rappelons qu’elle survient juste après l’élection de Donald Trump, suspecté de vouloir suspendre, sitôt en fonction, l’aide américaine. Dans cette hypothèse, Joe Biden chercherait à renforcer la position militaire de Kiev avant la négociation de paix qui va s’ouvrir une fois Trump élu, quitte à provoquer une escalade du conflit. Ce qui s’est produit dès le lendemain de l’annonce de Biden avec les premiers tirs ukrainiens de missiles américains et britanniques sur le sol russe puis la réplique de Moscou le lancement d’un nouveau type de missile hypersonique et les nouvelles menaces du maître du Kremlin.

Or, compte tenu du nombre limité de missiles, la décision de Biden est un coup de bluff, en calculant son risque : donner le maximum de chances à Zelensky de sauver l’intégrité territoriale de l’Ukraine, en espérant que Poutine – qui a parlé de répliquer en attaquant l’OTAN – ne mette pas ses menaces à exécution. Après tout, quel est l’intérêt de provoquer une guerre mondiale alors qu’il lui suffirait de déplacer certains matériels plus à l’intérieur du territoire russe pour éviter certaines déconvenues et que Trump sera là bientôt ? 

Néanmoins, certains observateurs pensent que la décision de Biden a été rendue possible parce que le conflit avait déjà commencé à déborder du cadre bilatéral. L’envoi de soldats nord-coréens en Russie aurait en effet fait ressurgir la peur de l’internationalisation du conflit. C’est ceci qui aurait convaincu Biden de trancher en faveur de l’autorisation d’utilisation des missiles. 

Le dernier domino serait donc capable d’affecter un acteur tiers imprévu : Xi Jinping.

Rappelons que la Chine est convaincue que les États-Unis utilisent la guerre en Ukraine pour encercler la Chine, sans avoir réussi à rallier le reste du monde, comme l’expliquait un rapport du Conseil européen pour les relations internationales (ECFR) sorti en 2023. Les intellectuels chinois sont unanimes : les États-Unis sont la plus grande cause d’instabilité sur la scène internationale. Ils décrivent la politique étrangère américaine comme génératrice de chaos dans le monde.

Comme l’expliquait ce rapport, la Chine voyait cependant jusqu’ici plus d’avantages que d’inconvénients à soutenir la Russie, l’Ukraine étant vue comme une guerre périphérique par acteurs interposés entre Chine et Etats-Unis. 

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Biden a instrumentalisé un fait nouveau, intervenu au début de l’automne : l’entrée en jeu de Pyongyang. Le renfort militaire nord-coréen aurait en effet indisposé Pékin, qui a prétendu ne pas avoir été mis au courant alors que Pyongyang et Moscou sont ses alliés. Elle s’est, du reste, publiquement inquiétée de l’expansion du conflit. 

La dernière rencontre entre les deux chefs d’État nord-coréen et chinois date en effet de 2019 et la relation bilatérale s’est relativement refroidie au profit de l’alliance Poutine – Kim Jong-un. Celle-ci s’est concrétisée par des rencontres à haut-niveau et la signature d’un « partenariat stratégique global » qui appelle l’autre signataire à lui venir en aide si l’un ou l’autre est attaqué. Pékin verrait donc avec effarement les provocations nord-coréennes précipiter une convergence Seoul – Tokyo, tandis que son ancien protégé -jusqu’ici limité au seul tête-à-tête avec Pékin – se rapprocherait de Moscou. Les transferts de technologie russe pourraient renforcer la Corée du Nord dans ses initiatives unilatérales en Asie et encore plus déstabiliser Pékin. 

Biden compte peut-être pousser la Chine à l’aider – malgré elle – à calmer le jeu ukrainien, et donc à choisir le camp de la paix. En agitant le risque d’une perturbation géopolitique mondiale, Biden renvoie en effet à Pékin un miroir effrayant : celui d’une perte de contrôle de la dynamique de la guerre, alors que Xi Jinping a jusqu’ici entendu jouer la carte multilatérale pour régler le conflit ukrainien. 

En fin de parcours, Biden jouerait donc un coup risqué en mettant Pékin devant ses responsabilités. En effet, la Chine est depuis des années écartelée dans les faits entre ses aspirations mondiales – qui la poussent à se poser diplomatiquement et pacifiquement en chef du grand Sud en faisant contrepoids à l’Occident – et ses intérêts régionaux – qui pourraient l’amener à contester militairement le leadership américain. 

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Cette divergence a un seul point de croisement : Taïwan. Mettre la main sur l’îlot sécessionniste lui permettrait en effet d’affirmer son leadership en Asie et de faire reculer l’influence américaine. Elle hésite entre la patience, nourrie du droit, ou l’impatience, qui alimente les coups de sang. 

L’Ukraine a introduit une forme de résonnance dans cette cristallisation. La Chine tient un discours de réunification pas très éloigné du discours russe sur l’Ukraine, et observe à la loupe les décisions de l’Oncle Sam dans la zone : comment et jusqu’où Washington serait prêt à s’impliquer en Ukraine ? Voilà qui serait un test grandeur nature pour moduler sa propre politique de réunification avec Taïwan.

Biden a subitement élevé les enjeux, en brandissant le spectre d’un conflit périphérique dont la Chine perdrait le contrôle. Fini le test en laboratoire, l’Ukraine deviendrait réaction atomique incontrôlée, au mauvais moment. La situation économique chinoise n’est pas brillante, sa croissance dépend de sa balance commerciale, son armée n’a pas combattu depuis 1979 et Xi Jinping, contrairement à Poutine, doit composer avec un parti fort de ses millions de cadres. De plus, à quoi bon améliorer les chances de récupérer Taïwan si la Corée du Sud et le Japon deviennent des rivaux géopolitiques plus affirmés à ses frontières ? 

Voilà qui pourrait priver in fine Poutine d’un allié de poids. Le plus difficile à croire est que le grand bénéficiaire de ce jeu de dominos pourrait être Trump, en fonction du temps que mettra le jeu des puissances à se rééquilibrer. 

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