Par Giuseppe Gagliano, Président du Centro Studi Strategici Carlo De Cristoforis (Côme, Italie). Membre du comité des conseillers scientifiques internationaux du CF2R.
L’engagement de la Chine en Afrique a des racines historiques profondes, remontant à l’ère maoïste, lorsque Pékin a tenté d’exporter son idéologie révolutionnaire maoïste dans les pays africains postcoloniaux. Cependant, cette idéologie a rencontré peu de succès auprès des élites locales et des populations rurales, montrant clairement que les liens idéologiques ne garantiraient pas le succès. La Chine a alors choisi d’établir des relations pragmatiques avec les gouvernements africains émergents, construisant des liens qui, au cours des trois dernières décennies, se sont consolidés en un réseau de coopération économique, politique et stratégique. Ces relations ont contribué à positionner Pékin comme un partenaire crucial pour de nombreux pays africains, notamment dans les domaines des infrastructures, de l’énergie et du commerce.
Un tournant dans la politique chinoise en Afrique s’est produit avec le Printemps arabe en 2011. L’intervention occidentale en Libye, dirigée par l’OTAN, a non seulement compromis les intérêts économiques chinois dans le pays, mais aussi révélé l’incapacité de Pékin à protéger ses citoyens et ses biens dans des contextes instables. Cet événement a poussé les responsables chinois à réévaluer leur politique traditionnelle de non-intervention, les incitant à chercher de nouveaux outils pour faire face aux risques liés à l’instabilité croissante en Afrique. En particulier, la Chine a commencé à participer plus activement aux missions de maintien de la paix des Nations Unies, à collaborer avec l’Union africaine et à renforcer sa capacité de médiation dans les conflits régionaux.
L’approche traditionnelle de la Chine en Afrique, basée sur la non-ingérence et la poursuite d’intérêts économiques, s’est avérée efficace pendant de nombreuses années, mais l’évolution des conditions de sécurité sur le continent a rendu ce modèle de plus en plus difficile à maintenir. Les demandes de l’Occident pour que Pékin assume davantage de responsabilités dans la stabilité régionale, combinées aux risques économiques et opérationnels pour les entreprises et les citoyens chinois, ont contraint la Chine à modifier sa stratégie. Les principaux risques pour Pékin incluent les dommages réputationnels liés à ses relations avec des gouvernements controversés, la volatilité économique causée par des dirigeants imprévisibles et les menaces à la sécurité des citoyens chinois en Afrique.
Pour répondre à ces défis, la Chine a construit une architecture de paix et de sécurité plus complexe. Cela inclut une collaboration accrue avec le Conseil de sécurité des Nations Unies, un soutien aux missions de maintien de la paix africaines et le déploiement de troupes chinoises pour des opérations de sécurité ciblées. Cependant, cet engagement n’est pas motivé par un pur altruisme, mais par la nécessité d’assurer une stabilité politique indispensable à la protection des ressources naturelles vitales, comme le pétrole et les minéraux, et au maintien des opportunités économiques. La Chine a également lancé des programmes de formation militaire pour les forces armées africaines et fourni une aide économique pour soutenir la sécurité régionale.
Malgré le rôle croissant de l’Armée populaire de libération (APL) en Afrique, Pékin continue d’éviter une présence militaire à grande échelle. L’APL se concentre sur des missions spécifiques, comme la lutte contre la piraterie et le soutien logistique aux opérations de maintien de la paix, sans chercher à imiter le modèle américain de projection globale de puissance. Cette approche, connue sous le nom de « diplomatie militaire », repose sur la conviction que la stabilité économique et politique est essentielle pour renforcer les liens avec les gouvernements africains. Cependant, l’engagement direct de l’APL a conduit à une réinterprétation de la politique de non-ingérence chinoise, avec un rôle de plus en plus interventionniste pour protéger les intérêts stratégiques de Pékin.
Parallèlement, le secteur de la sécurité privée chinois a commencé à jouer un rôle croissant sur le continent africain. Bien que moins développées que leurs homologues occidentales, les sociétés de sécurité chinoises offrent une protection aux dirigeants d’entreprises et aux infrastructures critiques, ainsi que des services de conseil en gestion des risques. En raison des restrictions sur l’utilisation des armes, ces sociétés opèrent principalement par le biais de sous-traitances pour des services armés, se limitant à fournir des gardes non armés et des solutions passives. Cependant, avec l’augmentation des compétences et de l’expérience, le secteur pourrait évoluer et devenir un pilier de la stratégie chinoise en Afrique.
Le recours aux contractants militaires privés représente une solution stratégique pour Pékin, offrant des avantages économiques, politiques et opérationnels. Ces acteurs permettent de réduire les coûts associés au déploiement direct des troupes chinoises, libérant ainsi des ressources pour des investissements dans des technologies avancées et la modernisation de l’APL. De plus, les contractants offrent la possibilité d’opérer dans des environnements instables sans compromettre la réputation de la Chine, en maintenant un profil bas et en minimisant les risques politiques.
L’externalisation des fonctions de sécurité permet à la Chine de mieux relever les défis de sécurité en Afrique, répondant aux attentes des pays africains tout en protégeant ses intérêts économiques. Cependant, cette stratégie nécessite une gestion attentive pour éviter le risque d’être perçue comme une puissance néocoloniale. L’expérience américaine en Irak et en Afghanistan montre que le succès dans ces contextes dépend de la capacité à s’adapter aux besoins locaux, en construisant des relations de confiance avec les gouvernements et les communautés hôtes.
L’avenir de la présence chinoise en Afrique dépendra de la capacité de Pékin à équilibrer son rôle économique avec ses responsabilités croissantes en matière de sécurité. L’utilisation de contractants militaires privés pourrait représenter une solution efficace pour consolider le partenariat sino-africain, tout en garantissant la protection des intérêts stratégiques chinois et le respect des sensibilités locales. Cependant, cette stratégie devra être mise en œuvre avec prudence pour éviter de compromettre l’image de la Chine en tant que partenaire pacifique et fiable.
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Giuseppe Gagliano a fondé en 2011 le réseau international Cestudec (Centre d’études stratégiques Carlo de Cristoforis), basé à Côme (Italie), dans le but d’étudier, dans une perspective réaliste, les dynamiques conflictuelles des relations internationales. Ce réseau met l’accent sur la dimension de l’intelligence et de la géopolitique, en s’inspirant des réflexions de Christian Harbulot, fondateur et directeur de l’École de Guerre Économique (EGE)
Il collabore avec le Centre Français de Recherche sur le Renseignement (CF2R) (Lien),https://cf2r.org/le-cf2r/gouvernance-du-cf2r/
avec l’Université de Calabre dans le cadre du Master en Intelligence, et avec l’Iassp de Milan (Lien).https://www.iassp.org/team_master/giuseppe-gagliano/
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