Par Jean Daspry, pseudonyme d’un haut fonctionnaire, ancien diplomate, Docteur en sciences politiques
« La lecture n’est profitable qu’aux esprits possédés d’un goût immodéré de la vérité » (Charles Baudelaire). Encore faut-il trouver la lecture idoine pour comprendre la France et le monde ! Et, ceci n’est pas chose aisée dans le brouhaha médiatique ambiant. Or, s’il y a bien un document qui vaut le détour, c’est bien le Journal officiel de la République française (JORF). À de rares exceptions, nos folliculaires et autres experts des médias de grand chemin répugnent à prendre connaissance de cette prose jugée aussi rébarbative que chronophage. Pourtant, la lecture de cette « pravda » de la vie publique française éclaire d’un jour utile le fonctionnement de nos institutions et, parfois, leur dysfonctionnement. Prenons à titre d’exemple, le fonctionnement des cabinets ministériels[1] et, dans le cas d’espèce celui du ministre de l’Europe et des Affaires étrangères du gouvernement Bayrou ! S’il s’agit d’un cabinet ministériel exemplaire, il apparaît également contestable à plus d’un titre.
UN CABINET EXEMPLAIRE
Reportons-nous à l’exemplaire du JORF daté du 28 décembre 2024 pour connaître les heureux élus de ce mercato diplomatique et sur le périmètre de leurs attributions !
Début de citation :
« Sont nommés au cabinet du ministre de l’Europe et des affaires étrangères :
M. Aurélien LECHEVALLIER, directeur de cabinet, à compter du 24 décembre 2024 ;
Mme Marine ALEGRE, directrice de cabinet adjointe, à compter du 24 décembre 2024 ;
M. Kévin THUILLIER, directeur de cabinet adjoint, à compter du 24 décembre 2024 ;
Mme Baltis MÉJANÈS, cheffe de cabinet, conseillère spéciale, à compter du 24 décembre 2024 ;
Mme Carole GUILLERM, conseillère auprès du ministre, en charge du Parlement et des élus, à compter du 24 décembre 2024 ;
Mme Pauline WIENER, conseillère presse, médias et opinion, à compter du 24 décembre 2024 ;
M. Omar KEITA, conseiller Afrique et agenda transformationnel, à compter du 24 décembre 2024 ;
Mme Adriana DOMAGALA, conseillère Europe continentale, à compter du 24 décembre 2024 ;
Mme Adèle JEANROY-BROZ, conseillère Asie et affaires stratégiques, à compter du 24 décembre 2024 ;
M. Raphaël DANG, conseiller affaires juridiques, affaires globales, Nations unies et organisations internationales, à compter du 24 décembre 2024 ;
M. Quentin JEANTET, conseiller Afrique du nord et Moyen-Orient, à compter du 24 décembre 2024 ;
Mme Marion BIGET, conseillère Amériques, diplomatie économique, budget et réformes, à compter du 24 décembre 2024 ;
Mme Mathilde VANACKERE, conseillère stratégie, discours et culture, à compter du 24 décembre 2024 »[2].
Fin de citation
Le sacro-saint principe de la parité femmes-hommes est plus que respecté, avec sept agents de sexe féminin et six de sexe masculin sur un total de treize « cabinards » de haut vol ! La très influente « Association Femme et Diplomatie », très à cheval sur la parité, peut dormir sur ses deux oreilles. Tout va donc pour le mieux dans le meilleur des mondes diplomatiques à un détail près ! À ceci près que rien ne transpire de la lecture de ce texte du pourcentage de fonctionnaires relevant de la catégorie des LGBTQIA+[3] et de ceux issus de la diversité ! Sujet ô combien sensible au « gay d’Orsay »[4].
Passons de l’autre côté de la scène pour prendre toute la mesure de ce phénomène hexagonal de la culture du cabinet dans tout ce qu’elle a de plus contestable !
UN CABINET CONTESTABLE
À prendre connaissance de cette liste de la fine fleur de la diplomatie française, diverses interrogations viennent à l’esprit de l’habitué du fonctionnement des administrations françaises. Partons du général pour aller au particulier !
Pourquoi recourir à des cabinets ministériels – parfois épaulés par des cabinets de conseil étrangers grassement rémunérés – inutiles, redondants avec les services et pléthoriques alors que nos principaux partenaires (Allemagne, Royaume-Uni…) ne disposent que de structures légères (trois personnes) pour s’acquitter des mêmes fonctions. Ils donnent aux directeurs d’administration centrale le rôle principal dévolu chez nous aux conseillers du ministre. À notre connaissance, n’existe aucune procédure transparente de recrutement des « cabinards », fondée sur le seul critère du mérite. Encore, une nouvelle entorse au principe de la méritocratie à la française auxquels se substituent les bonnes vieilles méthodes du copinage et de l’entre-soi. Chacun sait qu’un passage par un cabinet ministériel constitue un puissant accélérateur de carrière, un facilitateur de promotion de grade et d’obtention de rubans bleus ou rouges, voire en dernière analyse, de voie d’accès au pantouflage dans les secteurs publics ou semi-publics. Toutes choses auxquelles les diplomates ne sont pas sensibles. Des privilèges exorbitants de « l’État profond » qui ne semblent pas intéresser les commissions de déontologie et autres comités Théodule notoirement (in)compétents en la matière !
Les attributions spécifiques de certains conseillers de cabinet laissent interrogatifs, dubitatifs. Nous les avons portés en gras dans le texte. Pourquoi recourir à deux directeurs adjoints de cabinet alors que cette pratique semble aussi récente que contestable ? Peut-être parce que l’un de ses deux fonctionnaires est en charge de la « diplomatie féministe » ? Qu’en entend-ton par « conseillère spéciale » pour la cheffe de cabinet ? S’occupe-t-elle des fonds spéciaux ou d’affaires spéciales qui nous restent entièrement étrangères ? La conseillère presse a en charge « l’opinion ». S’agit-il de l’opinion publique ou de l’opinion des dîners en ville ? Le conseiller Afrique porte sur ses frêles épaules « l’agenda transformationnel » ? S’agit-il des restes de la Françafrique ou d’un bidule administratif inconnu au bataillon destiné à donner l’illusion du mouvement, de la réforme ? La conseillère Amérique s’occupe de la diplomatie économique. Une tautologie dans la mesure où l’une des premières fonctions des émissaires du Roi était commerciale. Encore un gadget porté sur les fonts baptismaux par Laurent Fabius. Enfin, nous découvrons l’existence d’une conseillère stratégie, discours et culture. Une sorte d’auberge diplomatique espagnole. Pour ce qui est de la stratégie – dont nous découvrons avec surprise qu’elle constituerait une priorité de la diplomatie française – il existe un Centre d’analyse et de prospective stratégique (CAPS) dont c’est le rôle premier. Au vu de l’expérience la plus récente, la diplomatie française excelle dans la navigation à vue et sans instruments. L’on peine à découvrir les linéaments d’une stratégie claire à découvrir la composition de ce cabinet et les attributions de ses membres.
À la lecture de cet inventaire à la Prévert, nous resterons, une fois de plus, sur notre faim. Surtout, si l’on sait que les diplomaties allemande et britannique – pour ne citer qu’elles – ne semblent pas handicaper par l’absence de cabinets ministériels en leur sein.
VERS LA FIN DES CABINETS ?
« Les cabinets sont un groupe d’hommes mis en place par la seule faveur du Prince ou du ministre, sans compétence particulière dans le domaine dont ils se trouvaient ainsi à s’occuper » (Professeur Vidalenc, 1975 au sujet de la Restauration). Les choses ont-elles bien changées depuis ? Le moins que l’on soit autorisé à dire est que nous sommes confrontés à un exemple de redondance, de millefeuille administratif inutile et budgétivore ! Si le nouveau ministre de la Fonction publique s’est donné pour mot d’ordre « Simplification », il a un chantier tout trouvé, le dégraissage des dizaines de cabinets des ministres de plein exercice, des ministres délégués et secrétaires d’État. Au moment où l’on nous annonce une cure d’amaigrissement de l’appareil d’État, les cabinets pourraient/devraient constituer une cible de choix. Au terme de ce voyage au bout du cabinet, le Quai d’Orsay ne devrait-il pas donner le bon exemple en y faisant le grand ménage ?
Les opinions exprimées ici n’engagent que leur auteur
[1] Décret n° 2025-1 du 2 janvier 2025 modifiant le décret n° 2024-892 du 23 septembre 2024 relatif à la composition des cabinets ministériels, Décrets, arrêtés, circulaires, Textes généraux, Premier ministre, JORF n° 0002 du 3 janvier 2025, texte n° 2.
[2] Arrêté du 24 décembre 2024 portant nomination au cabinet du ministre de l’Europe et des affaires étrangères, Mesures nominatives, Ministère de l’Europe et des affaires étrangères, JORF n° 0307 du 28 décembre 2024, texte n° 50, Article 1.
[3] Par L, on entend « Lesbiennes », par G « Gays », par B « Bisexuel·le·s », par T « Trans », par Q « Queers », par I « Intersexué·e·s », par A « Asexuel·le·s » ou « Aromantique·s » et le + inclut les nombreux autres termes désignant les genres et les sexualités, www.sofelia.be .
[4] Raphaëlle Bacqué, Richie, Grasset, 2015. L’auteur évoque la galaxie « gay » du pouvoir, qui surnomme le Quai d’Orsay (le gay d’Orsay), ou le Conseil d’État (le conseil des tatas).
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