
Par Giuseppe Gagliano, Président du Centro Studi Strategici Carlo De Cristoforis (Côme, Italie). Membre du comité des conseillers scientifiques internationaux du CF2R.
L’histoire des relations internationales a toujours été marquée par une quête incessante de suprématie, mais les moyens de domination ont évolué au fil des siècles. Si, pendant des siècles, les grandes puissances ont cherché à étendre leur territoire par la force des armes, le XXᵉ siècle a vu l’émergence d’une nouvelle forme de pouvoir, plus subtile mais tout aussi efficace : la guerre économique.
Plutôt que d’imposer leur autorité par la conquête militaire, les États ont compris qu’ils pouvaient asseoir leur influence en contrôlant les marchés, les flux financiers et les ressources stratégiques. Cette transition, amorcée dès la fin du XIXᵉ siècle, s’est accélérée après la Seconde Guerre mondiale et a façonné le monde contemporain.
L’Allemagne et le Japon : De la Défaite Militaire à l’Hégémonie Industrielle
Deux exemples emblématiques illustrent ce passage de la force militaire à la domination économique : l’Allemagne et le Japon.
L’unification de l’Allemagne en 1871, sous l’impulsion de Bismarck, a transformé le pays en une puissance industrielle et commerciale majeure. Son économie, fortement soutenue par l’État, s’est rapidement imposée sur les marchés européens. Cette montée en puissance s’est accompagnée d’une stratégie expansionniste, la Weltpolitik, qui visait à étendre l’influence allemande au-delà de l’Europe. Un projet comme le chemin de fer Berlin-Bagdad en est une illustration frappante : plutôt que d’envahir militairement le Moyen-Orient, l’Allemagne cherchait à y implanter son économie et son industrie.
Le Japon a suivi une trajectoire similaire mais plus rapide. L’ère Meiji (1868-1912) a marqué une modernisation fulgurante du pays, qui est passé d’un système féodal à une économie industrielle avancée. En important des technologies occidentales et en structurant son économie autour de conglomérats industriels (keiretsu), le Japon a pu rivaliser avec les grandes puissances européennes. Son ascension fulgurante s’est accompagnée de tensions militaires, notamment avec la Russie, mais l’objectif sous-jacent restait le même : s’imposer comme un acteur économique incontournable.
Ces deux pays, après leur défaite lors de la Seconde Guerre mondiale, ont dû renoncer à l’expansion militaire. Pourtant, en l’espace de quelques décennies, ils sont devenus des géants industriels. Loin des champs de bataille, c’est dans les usines, les banques et les marchés financiers qu’ils ont reconstruit leur puissance.
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La Guerre Froide et l’Avènement du Pouvoir Économique
Après 1945, les États-Unis et l’Union soviétique ont mené une lutte acharnée pour le contrôle du monde, mais contrairement aux conflits du passé, cette guerre ne s’est pas limitée aux affrontements militaires. La guerre économique est devenue un levier central de cette rivalité.
Washington a compris très tôt que la puissance militaire seule ne suffisait pas. Plutôt que d’envahir militairement l’Europe de l’Ouest, les États-Unis ont utilisé le Plan Marshall pour assurer leur influence économique et politique. Le système de Bretton Woods a consolidé la suprématie du dollar, garantissant aux États-Unis un contrôle indirect mais efficace sur l’économie mondiale.
À l’inverse, l’URSS, focalisée sur la puissance militaire et la conquête territoriale, n’a jamais réussi à construire une économie compétitive. Son retard technologique et industriel a conduit à son effondrement en 1991, marquant la victoire du modèle américain et de la guerre économique sur la guerre idéologique.
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L’Affrontement du XXIᵉ Siècle : États-Unis, Chine et Europe
Si la guerre économique a été le moteur de la rivalité Est-Ouest au XXᵉ siècle, elle est aujourd’hui au cœur d’une nouvelle confrontation : celle qui oppose les États-Unis, la Chine et l’Europe.
Les États-Unis, forts de leur domination financière, utilisent leur monnaie comme une arme. Le dollar, qui règne sur le commerce international, permet à Washington d’imposer des sanctions économiques à ses adversaires, de contrôler les flux financiers et d’exercer une pression sur les entreprises étrangères. Des institutions comme le CIFUS (Committee on Foreign Investment in the United States) empêchent les acquisitions d’entreprises stratégiques par des acteurs étrangers, garantissant la suprématie des industries américaines.
La Chine, quant à elle, a adopté une approche plus offensive. Grâce à des initiatives comme la Belt and Road Initiative, Pékin étend son influence économique à travers le monde. Son contrôle sur les terres rares, essentielles aux technologies modernes, lui permet de dicter les règles du jeu dans plusieurs secteurs industriels. Ses entreprises, soutenues par l’État, se développent à l’international, parfois au prix d’accusations d’espionnage industriel et de manipulation des marchés.
L’Europe, bien qu’étant une puissance économique de premier plan, peine à imposer une stratégie cohérente. Dépendante des États-Unis pour sa sécurité et de la Chine pour ses approvisionnements industriels, elle se retrouve souvent à la merci des décisions de Washington ou de Pékin. Son absence de politique industrielle unifiée et son retard en matière de numérique et d’intelligence artificielle la rendent vulnérable à la guerre économique qui se joue actuellement.
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Les Armes Invisibles de la Guerre Économique
Contrairement aux conflits traditionnels, la guerre économique ne se déroule pas sur des champs de bataille visibles. Elle s’opère dans l’ombre, à travers des mécanismes subtils mais redoutables.
Les multinationales sont devenues des acteurs majeurs de cette compétition. Huawei, accusé d’être un outil d’influence chinois, a été ciblé par des sanctions américaines pour empêcher son expansion dans la 5G. Google, Facebook et Amazon, bien qu’entreprises privées, exercent une influence colossale sur les données et l’information mondiale, ce qui leur permet de façonner les décisions politiques et économiques. BlackRock, avec ses milliers de milliards de dollars d’actifs sous gestion, oriente discrètement les stratégies économiques de nombreux pays.
L’influence normative joue également un rôle crucial. Les États, à travers des institutions comme l’OMC ou la BCE, imposent des réglementations qui favorisent leurs propres industries tout en pénalisant leurs concurrents.
Enfin, la cyber-guerre est devenue une arme incontournable. Des attaques comme celle contre SolarWinds ou Colonial Pipeline ont montré que des États ou des groupes privés pouvaient paralyser des infrastructures stratégiques en quelques clics.
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L’Europe à la Croisée des Chemins
Face à cette montée en puissance de la guerre économique, l’Europe ne peut plus se permettre de rester spectatrice. Elle doit développer une stratégie claire pour protéger ses industries, renforcer son indépendance technologique et se doter d’une véritable intelligence économique.
L’adoption d’un euro numérique, la création d’un écosystème technologique souverain et la mise en place d’une agence européenne de renseignement économique sont autant de pistes à explorer pour éviter que le Vieux Continent ne devienne un terrain de jeu pour les grandes puissances.
L’histoire montre que la domination ne passe plus par les armes, mais par le contrôle des marchés et des technologies. Ceux qui ne participent pas à cette guerre économique risquent d’être relégués au rang de simples spectateurs.
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Giuseppe Gagliano a fondé en 2011 le réseau international Cestudec (Centre d’études stratégiques Carlo de Cristoforis), basé à Côme (Italie), dans le but d’étudier, dans une perspective réaliste, les dynamiques conflictuelles des relations internationales. Ce réseau met l’accent sur la dimension de l’intelligence et de la géopolitique, en s’inspirant des réflexions de Christian Harbulot, fondateur et directeur de l’École de Guerre Économique (EGE)
Il collabore avec le Centre Français de Recherche sur le Renseignement (CF2R) (Lien),https://cf2r.org/le-cf2r/gouvernance-du-cf2r/
avec l’Université de Calabre dans le cadre du Master en Intelligence, et avec l’Iassp de Milan (Lien).https://www.iassp.org/team_master/giuseppe-gagliano/
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