
Aurélien Pradié, député et figure montante de la droite française, s’est à plusieurs reprises prononcé sur les questions de sécurité et de lutte contre la criminalité.
Avec la récente nomination de Bruno Retailleau au ministère de l’Intérieur et l’annonce de nouvelles mesures pour combattre le narcotrafic, les trafics d’armes et, plus largement, l’insécurité, Le Diplomate a souhaité recueillir l’analyse d’Aurélien Pradié.
Dans cet entretien, le député nous livre son regard sur l’état actuel de la criminalité organisée en France, les priorités du gouvernement et les réformes à engager, tout en abordant la problématique du terrorisme islamiste et la porosité entre criminalité et mouvances extrémistes.
Propos recueillis par Angélique Bouchard
Le Diplomate : Comment décririez-vous l’évolution de la criminalité organisée ces dernières années en France ? Observe-t-on réellement une intensification des réseaux (drogue, armes, blanchiment), et selon vous, quels facteurs principaux expliquent l’implantation grandissante de ces groupes sur notre territoire ?
Aurélien Pradié : La criminalité organisée a franchi un cap dans notre pays. Nous sommes passés en l’espace d’une décennie d’une menace discrète dans l’espace public, à une menace qui impose ses règles sur notre territoire. Les règlements de compte à l’arme de guerre en ville, voire en centre-ville, sont devenus la norme et non plus l’exception. L’intensification des réseaux est un fait indéniable, la DZ à Marseille est le symbole d’une France qui à l’instar de nombreuses villes (Rennes, Avignon, Nice, Montpellier, Grenoble, etc.) ont sombré dans le trafic de stupéfiants et l’insécurité.
Les raisons sont multiples à commencer par une prise en compte tardive de l’ampleur de ce phénomène par les différents gouvernements, mais aussi par les flux financiers colossaux générés par cette activité qui attisent l’esprit de prédation des entrepreneurs du crime. L’économie de la drogue, c’est un marché de près de 6 milliards d’euros en France.
Mais il faut aussi mesurer une autre guerre que les narcotrafiquants mènent contre nous : une guerre identitaire. Le crime, ses codes, son esthétique, ont infiltré toute notre société. Nos démocraties baignent dans l’esthétisation du crime. Pour des individus perdus, la République ne signifie plus rien. Les vies humaines n’ont plus de valeur et le trafic est devenu la promesse d’un statut et d’une appartenance. Cette bataille, cette guerre est une guerre morale que nous devons livrer. Sans cela, le terrorisme et le crime deviendront peu à peu les seules voies « d’absolu » et « d’héroïsme » dans nos sociétés modernes. Personne ou presque n’évoque cet aspect. Il est pourtant le plus dévastateur de notre abandon et de la dimension de la guerre qui est sous nos yeux. Sur tant de sujets capitaux pour notre avenir, vous voyez comme moi combien le débat politique relève de la misérable farce. On parle de tout, on s’agite, mais sur les fléaux profonds : rien ou presque. La bataille idéologique doit être menée et il faudra pour le faire des responsables politiques qui n’aient pas froid aux yeux.
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LD : Bruno Retailleau, ministre de l’Intérieur, a présenté plusieurs nouvelles mesures pour lutter contre le narcotrafic et l’insécurité. Quel jugement portez-vous sur ces annonces ? Vous paraissent-elles adaptées à la situation, ou faudrait-il aller plus loin dans la répression et la prévention pour obtenir des résultats tangibles ?
AP : Beaucoup d’annonces ont été faites (création d’un coordinateur national, renforcement des pouvoirs du préfet pour fermer les commerces servant à blanchir l’argent, expulsion de logements sociaux des dealers et de leurs familles, etc.) autour du principe d’exercer une pression constante pour casser les réseaux. Je partage l’esprit, mais reste circonspect sur la stratégie. Nous sommes face à une menace globale qui nécessite plus que des effets d’annonce. On a pu observer l’échec des opérations places nettes qui n’ont fait que déplacer les points de deal, malgré le volontarisme communicationnel du ministre de l’Intérieur de l’époque.
Pour mettre à bas cette menace, il est nécessaire d’avoir une vision globale et de ne pas se contenter d’agir en surface. La lutte contre le trafic d’armes et la corruption est quasiment absente de cette stratégie, alors que ce sont des pivots de la dynamique qui soutient le trafic de stupéfiants. Les armes sont les symboles et les outils de la puissance des trafiquants de drogue ; et la corruption le vecteur qui permet d’acheter élus, fonctionnaires, forces de l’ordre, dockers, magistrats pour étendre leur influence.
LD : On sait que la criminalité organisée, qu’il s’agisse de trafics de drogue ou d’armes, franchit aisément les frontières. Pensez-vous que la France doive pousser encore davantage pour une coopération policière et judiciaire renforcée au niveau européen, voire mondial ? Quels instruments pourraient être mis en place pour mieux endiguer ces flux illicites ?
AP : La coopération en matière de renseignement criminel est essentielle. A mon sens, il nous faut poursuive cet effort dans deux directions. Au niveau européen, nous devons accélérer le développement d’Europol, afin que cet organisme devienne une plateforme pleinement opérationnelle dans ses prérogatives pour venir en appui des États de l’U.E dans le domaine criminel. Sur le plan national, je prône un retour à une diplomatie sécuritaire ambitieuse qui multiplie les partenariats et coopérations bilatérales, afin de mieux lutter contre le trafic de stupéfiants. Nous devons jouer sur ces deux volets pour espérer lutter avec efficacité contre cette menace.
LD : Dans certains quartiers, on parle de “zones de non-droit” où les trafiquants seraient en quasi-contrôle. Partagez-vous ce constat et, si oui, de quels moyens concrets l’État devrait-il se doter pour rétablir son autorité (effectifs, investissements, nouvelles compétences légales, etc.) ?
AP : L’État ne tient plus certains territoires depuis bien longtemps. Nous sommes à un stade où l’autorité de la République s’efface devant la loi des caïds comme à Marseille. Pour mettre un terme à cette hérésie, il nous faut reconquérir ces territoires perdus au travers d’une stratégie ambitieuse. Il faut casser ces forteresses que sont devenues les cités et retrouver une maîtrise de nos espaces urbains. Par ailleurs, on ne gagnera pas sur la seule base de la répression, il nous faut imaginer une architecture globale (politique urbaine, prévention auprès de la jeunesse, renforcement du renseignement, moyens judicaires accrus, etc.).
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LD : Au-delà de la répression, comment envisagez-vous la prévention et la réinsertion pour endiguer la délinquance et la violence urbaine, notamment chez les plus jeunes ? Quelles politiques publiques ou initiatives locales pourraient contribuer à détourner la jeunesse de l’emprise des réseaux criminels ou plus généralement de la drogue ?
AP : La prévention commence avant tout par l’éducation et la responsabilisation des familles. Si l’État et les collectivités doivent être au rendez-vous de l’accompagnement des familles fragiles, on ne peut cependant considérer qu’il doit se substituer à ces dernières. La transmission des valeurs de la République, le respect des règles, la diffusion d’une culture de la méritocratie doivent animer notre société pour prévenir l’avènement d’un modèle alternatif ou l’argent facile, le culte de la violence deviennent les références de notre jeunesse.
LD : L’arsenal répressif peut entraîner un renforcement significatif des pouvoirs de police, avec, parfois, un risque pour les libertés individuelles. Comment, selon vous, trouver un juste équilibre entre l’impératif de sécurité et le respect de l’État de droit ?
AP : L’impératif sécuritaire ne s’oppose pas à l’État de droit dans une démocratie comme la nôtre, au vu des nombreux dispositifs de contrôle existants. De l’IGPN, en passant par le défenseur des droits, mais aussi par la facilité à saisir la justice en cas de sentiment d’abus, la France n’a jamais été dans l’arbitraire mais bien dans la protection des droits de chacun.
LD : Des spécialistes mettent en avant l’existence d’une porosité entre la grande criminalité (trafic de drogue, d’armes) et les mouvements islamistes radicaux, voire le terrorisme. Estimez-vous que ce lien constitue une menace majeure pour la France ? Quelles dispositions spécifiques faudrait-il prendre pour lutter contre cette infiltration et éviter que des filières terroristes ne s’appuient sur les circuits criminels ?
AP : Cette porosité existe et nous avons déjà pu l‘observer, que cela soit dans les années 90 avec le gang de Roubaix, au Sahel où coopèrent terroristes et organisations criminelles. Ces coopérations relèvent de convergences autour d’intérêts communs : pour les terroristes, c’est avoir accès à des sources de revenu et à une logistique (ex : armes), quant aux groupes criminels, ils peuvent bénéficier de l’appui de mouvances terroristes pour pénétrer ou se fondre dans un territoire donné.
LD : Comment envisagez-vous la participation des collectivités locales, des élus et des associations dans cette lutte contre l’insécurité et la criminalité organisée ? Les mesures annoncées par Bruno Retailleau vous semblent-elles s’inscrire dans une perspective de “sécurité globale” ? Quels axes prioritaires reste-t-il à consolider pour obtenir des résultats durables ?
AP : Les collectivités sont par essence l’échelon de proximité, c’est-à-dire au plus près du terrain. Il pourrait être intéressant d’envisager des remontés d’informations mieux optimisées de la part des différents acteurs locaux (bailleurs sociaux, police municipale, etc.) au profit des forces de sécurité intérieure en charge de la lutte contre les stupéfiants. Le Maire et les responsables locaux doivent être associés étroitement à ce combat, car la réalité de chaque territoire diffère et impose d’adapter la stratégie anti narcotrafic aux spécificités des territoires.
LD : Enfin, l’affaire Mohamed Amra dont l’évasion avait coûté la vie à deux agents pénitentiaires en mai 2024, lors d’une attaque ultraviolente, au péage d’Incarville (Eure), du fourgon dans lequel se trouvait l’homme, en cours de transfert de la prison d’Évreux vers le tribunal de Caen. Après presque un an de cavale, le narcotrafiquant a été arrêté en Roumanie il y a quelques jours. Quel regard portez-vous sur la gestion de ce dossier par les autorités ? Y voyez-vous une illustration des failles actuelles dans la coordination des forces de sécurité ?
AP : Ce n’est pas tant la coordination entre les forces de sécurité qui m’inquiète, que le degré de préparation et de violence mis en œuvre lors de cette évasion par les comparses de Mohammed Amra. La “quiétude » et le déchainement de violences dans le cadre de cette opération illustrent le sentiment d’impunité et de toute puissance de ces criminels. C’est la faillite de l’autorité de l’État à laquelle nous avons assisté mais aussi l’aveu de notre impuissance à prévenir ce type d’acte. Nos dirigeants sont désormais dos au mur. Soit, ils sont en mesure de relever le défi de la criminalité organisée, soit ils accréditent le sentiment d’une France qui bascule par étape vers le statut d’État failli.
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Diplômée de la Business School de La Rochelle (Excelia – Bachelor Communication et Stratégies Digitales) et du CELSA – Sorbonne Université, Angélique Bouchard, 25 ans, est titulaire d’un Master 2 de recherche, spécialisation « Géopolitique des médias ». Elle est journaliste indépendante et travaille pour de nombreux médias. Elle est en charge des grands entretiens pour Le Dialogue.