ANALYSE – Macron et l’UE face au « plan de paix » de Trump : Incohérences et limites de la stratégie européenne

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Plan de paix Ukraine
Capture d’écran, conférence de presse du 6 mars 2025 d’Emmanuel Macron

Par Giuseppe Gagliano, Président du Centro Studi Strategici Carlo De Cristoforis (Côme, Italie). 

Emmanuel Macron s’est retrouvé dans une position délicate, devant réagir avec prudence au plan de paix pour l’Ukraine envisagé par Donald Trump. D’un côté, le président français a salué l’idée de relancer les négociations : « Nous voulons la paix, et je pense que l’initiative du président Trump est très positive », a-t-il déclaré, reconnaissant le potentiel « game-changer » d’un nouvel engagement américain. D’un autre côté, Macron a rapidement mis en garde Trump contre toute précipitation : la paix ne peut signifier ni la capitulation de l’Ukraine ni un cessez-le-feu déséquilibré sans véritables garanties de sécurité. 

Macron, l’Europe et la proposition de Trump pour l’Ukraine

« Mon message a été : “Attention”, car il faut quelque chose de substantiel pour l’Ukraine », a-t-il ajouté, suggérant qu’un accord hâtif et au rabais serait inacceptable. Cette position révèle déjà une contradiction fondamentale : l’Europe appelle à la paix, mais pas à n’importe quel prix ; elle soutient l’idée de négociations, mais craint que le plan estampillé Trump ne se traduise par une « paix » défavorable à Kiev et à l’ordre européen.

Les préoccupations de Macron sont partagées par de nombreux partenaires au sein de l’UE. Officiellement, l’Union réaffirme qu’aucun accord ne peut être décidé dans le dos de Kiev : « Il n’y aura aucune décision sur l’Ukraine sans l’Ukraine », insiste par exemple la ministre allemande des Affaires étrangères, Annalena Baerbock. La Commission européenne a également souligné que l’indépendance et l’intégrité territoriale de l’Ukraine ne sont pas négociables. En substance, les dirigeants européens disent accueillir tout effort de paix, à condition qu’il n’impose pas à Zelensky des concessions inacceptables. Le problème, notent des observateurs critiques, est que le « plan Trump » semble aller dans la direction opposée : selon les rumeurs, il inclurait un gel du conflit sur les lignes de front actuelles, l’abandon par Kiev de la Crimée et de l’OTAN, ainsi que l’établissement d’une zone démilitarisée – un scénario « qu’on pourrait écrire au Kremlin » tant il entérine presque toutes les exigences de Poutine. Sans surprise, l’ancien conseiller à la sécurité nationale de Trump, John Bolton, a averti qu’un tel dénouement équivaudrait à une capitulation déguisée et affaiblirait gravement la sécurité de l’Europe.

Face à cette perspective, l’Union européenne expose toutes les limites de sa stratégie. Rhétorique et réalité divergent : Bruxelles proclame un soutien indéfectible à l’Ukraine, mais dans le même temps, certains gouvernements commencent à se demander combien de temps le conflit peut encore durer et à quel prix. La manœuvre de Trump a pris l’Europe au dépourvu, révélant l’absence d’un plan alternatif crédible de la part des Européens. Alors que Trump et Poutine esquissent un accord à deux, les dirigeants de l’UE paraissent désorientés : selon Politico, ils ont « eu du mal à réagir » à l’annonce de négociations menées sans eux ni les Ukrainiens. Macron a tenté de rassembler un front commun européen, mais sa capacité à parler au nom de tous reste limitée. Il en ressort un tableau de désunion : certaines capitales, effrayées par l’audace de Trump, se sont raidies, rejetant toute hypothèse d’accord imposé (« la paix ne peut se faire qu’avec l’Ukraine et les Européens », a par exemple réaffirmé la Lettonie) ; d’autres, plus résignées, semblent se préparer à un fait accompli. Même l’idée de Macron de proposer une force de paix européenne en Ukraine – pour montrer que l’UE « est prête à en faire davantage » – demeure vague et controversée. Des experts comme Bolton mettent en garde : déployer des forces européennes sans mandat clair risque de figer le conflit dans une partition de facto de l’Ukraine. Et de fait, beaucoup à Bruxelles admettent que l’Europe n’a pas encore la capacité de soutenir seule la sécurité du continent : des années d’appels à l’« autonomie stratégique » n’ont pas résolu sa dépendance vis-à-vis des États-Unis. Dans cette optique, l’enthousiasme de Macron pour une Europe enfin plus protagoniste sonne peu cohérent. Alors qu’il proclame que « les Européens sont prêts à faire beaucoup plus », en coulisses, ses émissaires – et ceux de Berlin, Rome, Varsovie – supplient Washington de ne pas se désengager. La volte-face brutale des États-Unis a en effet mis l’Europe sur la défensive : ces derniers jours, Trump a adopté des tons inhabituellement hostiles envers les alliés de l’UE tout en lançant des messages conciliants à Moscou, jetant le doute sur la fiabilité du lien transatlantique. Pour les gouvernements européens, c’est un scénario cauchemardesque : l’ombrelle de sécurité américaine se retire alors que la guerre fait rage à leurs frontières orientales. Cela oblige l’UE à un exercice d’équilibrisme presque schizophrénique : d’un côté, se montrer ferme en rejetant des accords-pièges qui trahiraient l’Ukraine ; de l’autre, amadouer Trump (et l’opinion publique américaine) pour les maintenir engagés. C’est la quadrature du cercle que la diplomatie européenne s’efforce aujourd’hui de résoudre, non sans contradictions évidentes.

Les ambiguïtés de Giorgia Meloni sur le dossier ukrainien

Dans ce contexte, la position de l’Italie – et en particulier de la Première ministre Giorgia Meloni – est emblématique des ambiguïtés européennes. Depuis le début de la guerre, Meloni a cherché à se présenter comme une alliée fidèle de l’OTAN et de l’Ukraine, prenant ses distances avec les sympathies prorusses de certains de ses partenaires de coalition. De fait, dans les premiers mois de son gouvernement, la leader de Fratelli d’Italia a confirmé l’envoi d’armes à Kiev et s’est rendue en visite auprès de Zelensky pour manifester son soutien. Cependant, face au « plan Trump », Meloni s’est enfermée dans un silence surprenant. Alors que Macron, Scholz et d’autres dirigeants commentaient publiquement l’initiative américaine (qui pour la critiquer ouvertement, qui pour en fixer les conditions), elle est restée muette, seule parmi les principaux chefs de gouvernement européens. Un mutisme qui trahit l’embarras et la difficulté de la situation pour le gouvernement italien. Meloni se trouve en effet entre deux feux : d’un côté, la loyauté atlantique et européenne, bâtie notamment grâce à son ferme soutien à l’Ukraine ; de l’autre, sa proximité idéologique avec Trump et la pression de l’aile la plus souverainiste de son électorat, historiquement sceptique sur les sanctions contre la Russie et l’implication italienne dans le conflit.

Au sein même de son gouvernement, les positions ne sont pas unanimes. Le ministre des Affaires étrangères, Antonio Tajani – membre de Forza Italia aux solides références européistes – a réaffirmé la ligne officielle : « Nous soutenons l’Ukraine et le gouvernement légitime de Zelensky. Tant qu’il sera président, nos interlocuteurs seront lui et son équipe. À la table d’une éventuelle négociation, il devra y avoir les Ukrainiens et les Européens, en plus bien sûr des États-Unis. » Des mots prudents mais clairs, défendant le rôle de Kiev et de l’Europe dans les pourparlers. Il est frappant que Meloni elle-même ne soit pas allée jusque-là. La Première ministre évite soigneusement de se prononcer dans les détails : elle sait que chaque nuance pourrait mécontenter quelqu’un. En privé, selon des indiscrétions relayées depuis le Palazzo Chigi, son entourage réfléchit depuis des mois à la nécessité d’une « négociation réaliste » et considère le président ukrainien Zelensky comme « de plus en plus un problème ». En public, cependant, Meloni ne peut se permettre de telles déclarations sans trahir l’engagement pris avec ses alliés. C’est un exercice d’équilibrisme politique : maintenir les apparences, tout en préparant sous la table un éventuel ajustement de cap.

Trump, avec son irruption, a rendu ce jeu encore plus délicat. Le magnat américain n’a pas fait de cadeaux rhétoriques : il a attaqué Zelensky, le qualifiant de « dictateur et piètre comique, avec à peine 4 % de soutien », et a suggéré que les États-Unis pourraient échanger leur soutien à Kiev contre des concessions sur les ressources naturelles ukrainiennes. Soudain, le héros célébré jusqu’alors en Europe est dépeint (par un allié occidental de premier plan) comme un obstacle à la paix. Meloni est dans une situation très inconfortable : elle ne peut endosser ce revirement sans perdre la face à son tour. Elle a trop investi dans la relation avec Kiev pour pouvoir abandonner Zelensky du jour au lendemain, d’autant plus que c’est sur son atlantisme fiable qu’elle a construit sa crédibilité en Europe, se démarquant de ses partenaires Salvini et Berlusconi. Comme le note une analyse, Meloni « s’est trop exposée par le passé pour pouvoir se permettre des ambiguïtés sans porter un coup fatal à son image, en passant pour une traîtresse ». Si elle se ralliait subitement au récit de Trump contre Zelensky, elle verrait s’effondrer « comme un château de cartes » les relations avec Bruxelles qu’elle a patiemment tissées au cours de cette année de gouvernement. D’un autre côté, Meloni ne veut pas non plus se retrouver en conflit frontal avec la future administration américaine, surtout si elle est dirigée par son allié idéologique Trump. D’où sa stratégie : temporiser, se taire, aussi longtemps que possible. Des sources proches du gouvernement indiquent que la seule voie, pour l’instant, pour ne pas se mettre l’UE à dos tout en évitant des frictions avec Trump, est précisément ce silence. Un attentisme calculé, dans l’attente de voir comment évolueront les rapports de force.

Cette posture, toutefois, ne peut durer indéfiniment. Tôt ou tard, la Première ministre italienne devra se prononcer. Il est probable que, lorsqu’elle parlera, elle tentera de garder un pied dans chaque camp : réaffirmer son soutien à l’Ukraine et à Zelensky, tout en se disant « ouverte » à la nécessité d’un accord de paix, peut-être en adoptant des tons proches de ceux de Macron (oui à la paix, mais pas une paix « injuste » pour les Ukrainiens). En attendant, Meloni agit avec discrétion sur le plan diplomatique : elle a participé à Paris à un sommet européen extraordinaire sur l’Ukraine, exprimant des doutes et des réserves sur le format (dont l’Italie avait initialement été exclue), et au G7, elle a soutenu une ligne dure envers Moscou tout en évitant des déclarations trop tonitruantes. Ambiguïtés et manœuvres politiques, donc. Sa navigation est faite d’ajustements constants : rassurer les alliés occidentaux sur la fidélité italienne, tout en faisant un clin d’œil aux électeurs plus sceptiques en disant qu’il faut être « pragmatique » et se préparer à la paix dès que possible. Cette duplicité reflète, en miniature, les contradictions de l’ensemble de l’UE : des proclamations solides d’unité et de principes, mais aussi des tentations de realpolitik et des divergences en coulisses.

L’Union européenne et la tempête économique : Inflation, énergie et croissance à l’arrêt

Alors que sur le front géopolitique l’Europe est aux prises avec des dilemmes et des divisions, sur le front économique, la situation n’est pas moins critique. L’UE traverse la phase conjoncturelle la plus difficile de ces dernières décennies, prise en étau entre une inflation galopante, une crise énergétique sans précédent et un net ralentissement de la croissance. Ces facteurs s’alimentent mutuellement, créant une sorte de tempête parfaite pour l’économie du continent.

Pour comprendre la gravité du moment, un seul chiffre suffit : l’inflation dans l’Union a atteint son niveau le plus élevé depuis la création de l’euro. En 2022, les prix à la consommation ont dépassé les 10 % dans de nombreux pays (dans la zone euro, l’inflation annuelle a atteint 8,5 %, avec des pics comme +10,9 % en Italie). Ce sont des chiffres impensables il y a peu, qui ont érodé le pouvoir d’achat des ménages et mis à genoux les entreprises. Aujourd’hui, environ 96 millions d’Européens sont menacés de pauvreté ou d’exclusion sociale, touchés par l’envolée vertigineuse des coûts des biens, des services et, en particulier, de l’énergie. Ce n’est pas un hasard si, l’automne dernier, les places européennes se sont remplies de manifestations : des factures d’électricité et de gaz brûlées symboliquement dans les cortèges, des banderoles désespérées portant des slogans comme « on n’y arrive plus ».

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Manifestations contre la flambée des factures à l’automne 2022 : Des citoyens excédés brûlent leurs factures d’énergie en signe de dénonciation des coûts insoutenables

La cause principale de cette flambée inflationniste est en grande partie la crise énergétique. La guerre en Ukraine et les représailles croisées sur les approvisionnements ont fait exploser les prix du gaz, du pétrole et de l’électricité. En Europe, un scénario inédit s’est matérialisé : depuis l’été 2021, les prix de l’énergie ont connu des pics et une volatilité records, aggravés ensuite par l’invasion russe de février 2022. Pour une économie comme celle de l’Europe, fortement dépendante des importations d’énergie, le choc a été dévastateur. La hausse des coûts du gaz a mis à terre des secteurs industriels entiers à forte intensité énergétique, les obligeant à ralentir la production ou même à fermer des usines. Les effets en cascade ont été immédiats : les coûts de production ont grimpé, se répercutant sur les prix finaux des produits et générant une inflation en chaîne. « La hausse des prix de l’énergie, des matières premières, des services et des biens industriels a engendré une inflation élevée et affaibli la croissance économique », résume un rapport du Comité économique et social européen, soulignant également la forte pression sur les finances publiques et la compétitivité des entreprises européennes. En d’autres termes, l’Europe s’est retrouvée en pleine stagflation : une croissance quasi nulle et des prix hors de contrôle.

Les racines de cette crise plongent aussi dans des choix politiques discutables faits ces dernières années. L’Europe a poursuivi avec zèle la transition verte, mais parfois sans planification adéquate. L’Allemagne, par exemple, a fermé ses réacteurs nucléaires en misant tout sur le gaz russe à bas coût – une dépendance qui a exposé le continent à un risque géopolitique majeur. Quand le gaz de Moscou a manqué, un vide s’est créé, difficile à combler rapidement : les prix en 2022 ont explosé à plus du double des niveaux d’avant la crise, mettant en lumière toute la fragilité d’un modèle énergétique construit sans filet de sécurité. L’erreur stratégique est devenue évidente : avoir remplacé une dépendance (les combustibles fossiles domestiques et le nucléaire) par une autre (le gaz étranger, provenant qui plus est d’un fournisseur peu fiable). Ainsi, l’Europe, qui ambitionnait de mener la lutte contre le changement climatique, s’est retrouvée à rouvrir des centrales à charbon en urgence et à payer des sommes exorbitantes pour s’approvisionner en GNL auprès des États-Unis ou du Moyen-Orient, juste pour maintenir les lumières et le chauffage allumés. Pendant ce temps, le public protestait contre des factures insoutenables et les entreprises perdaient en compétitivité. C’est un court-circuit qui illustre l’incohérence de certaines politiques : des objectifs nobles (décarbonation, abandon du nucléaire) poursuivis sans évaluer de plans B réalistes.

Il faut dire que l’UE a tenté de réagir. Bruxelles a coordonné des mesures comme le stockage commun de gaz, une réduction de 15 % de la consommation énergétique, et a discuté de plafonds sur les prix. Les gouvernements nationaux, de leur côté, ont mis la main au portefeuille pour atténuer l’impact sur les citoyens et les entreprises. Au total, depuis le début de la crise énergétique en 2021, les pays européens ont déboursé plus de 700 milliards d’euros pour protéger les consommateurs des hausses de prix – un effort financier colossal. Mais là encore, les contradictions n’ont pas manqué : chaque État a agi en ordre dispersé, ceux qui en avaient les moyens (comme l’Allemagne) distribuant des centaines de milliards en subventions nationales, tandis que d’autres, avec moins de marge de manœuvre budgétaire, peinaient à suivre. L’absence d’une réponse véritablement unifiée a suscité des tensions au sein du marché unique, avec des craintes de distorsions de la concurrence. Ce n’est qu’à la fin de 2022 qu’un accord, obtenu laborieusement, a été trouvé sur un mécanisme de solidarité énergétique et sur un (timide) plafonnement des prix du gaz pour éviter les pics spéculatifs. Ces mesures ont permis de passer l’hiver 2022-2023, aidées aussi par un climat doux et des stocks remplis. Mais les experts eux-mêmes préviennent que l’Europe « ne sera pas tirée d’affaire tant qu’elle dépendra, même partiellement, du gaz ». En pratique, la crise énergétique européenne est loin d’être résolue : elle pourrait ressurgir de plus belle si la prochaine saison froide est plus rude ou si d’autres chocs viennent perturber le fragile équilibre mondial de l’énergie.

Sur le front de la croissance économique, le rebond post-pandémie s’est essoufflé, laissant place à une stagnation inquiétante. En 2021, l’Europe avait repris de l’élan après le Covid, mais dès 2022, la guerre et l’inflation ont freiné brutalement l’activité. L’année 2023 a affiché des chiffres décevants : selon les estimations de S&P, le PIB de la zone euro ne croîtra que de 0,6 % cette année, bien loin des +3,4 % de l’année précédente. Certains pays ont glissé dans une récession technique : l’Allemagne – locomotive traditionnelle de l’Europe – a enregistré des trimestres de croissance négative, plombée par des coûts énergétiques élevés et une baisse de la production industrielle. Le chiffre de la production manufacturière allemande, cœur de l’industrie européenne, est éloquent : non seulement elle n’a pas retrouvé ses niveaux d’avant-Covid, mais elle vacille dangereusement, signe d’une vulnérabilité structurelle qui pèse sur toute la zone euro. « L’économie allemande ne tire plus, et sa crise empoisonne le reste de l’économie européenne », observent des analystes économiques avec des tons alarmistes. Dans l’ensemble, la zone euro stagne : la croissance est plate, la confiance des entreprises et des consommateurs est faible, et le mot « stagflation » – combinaison redoutable de stagnation et d’inflation – revient dans les débats comme dans les années 70. Le risque concret est celui d’un déclin compétitif : alors que les États-Unis et la Chine avancent à grands pas (les États-Unis, forts d’une énergie bon marché et de vastes investissements publics, ont déjà dépassé de 5 à 6 % leur PIB d’avant-pandémie), l’Europe reste à la traîne ou recule.

Pour compliquer le tableau, il y a la politique monétaire. La Banque centrale européenne a relevé les taux d’intérêt à un rythme record pour tenter de juguler l’inflation. Depuis leur plus bas historique, les taux ont augmenté de plus de 4 points de pourcentage en un peu plus d’un an, marquant la restriction monétaire la plus agressive de l’histoire de l’euro. Cette décision refroidit encore davantage l’économie : des prêts hypothécaires et des crédits plus coûteux freinent la consommation et les investissements. Les effets se font déjà sentir, par exemple dans la chute marquée des transactions immobilières et dans la contraction du crédit pour les entreprises. Maintenant que l’inflation globale ralentit enfin (dans certains pays, elle est redescendue autour de 2-3 %, bien loin du pic de 2022), beaucoup se demandent si maintenir la pression n’est pas contre-productif. Fabio Panetta, gouverneur de la Banque d’Italie et connu comme une « colombe » au sein de la BCE, a lancé un avertissement clair : avec une inflation proche de l’objectif et une demande intérieure stagnante, de nouvelles hausses de taux ne sont plus nécessaires. Au contraire, insiste Panetta, persévérer dans des politiques restrictives risque de condamner l’Europe à une stagnation en 2025 et au-delà, étouffant dans l’œuf toute reprise. De fait, l’Europe se trouve à un carrefour de politique économique : d’un côté, la lutte contre l’inflation n’est pas encore totalement gagnée – notamment au niveau de l’inflation sous-jacente, hors énergie et alimentaire, qui reste au-dessus de 5 % – et la BCE craint de relâcher la bride trop tôt ; de l’autre, l’économie réelle souffre, et les pressions s’intensifient pour donner un répit aux ménages et aux entreprises. Cette tension entre objectifs divergents révèle une fois de plus une incohérence dans la stratégie globale européenne : la politique monétaire tire sur les freins, tandis que la politique budgétaire de nombreux gouvernements (bonus, subventions anti-vie chère) a appuyé sur l’accélérateur ; le résultat a été une annulation partielle des effets respectifs, et maintenant que les finances publiques sont épuisées par les interventions anti-crise, on risque de se retrouver sans munitions ni d’un côté ni de l’autre.

Politiques incohérentes et avenir de l’UE : Une Union en danger ?

Les contradictions apparues dans la gestion de la guerre en Ukraine et de la crise économique dessinent un tableau préoccupant pour l’avenir de l’Union européenne. Jamais l’UE n’a semblé aussi divisée sur des questions fondamentales et incertaine de la voie à suivre. Cette incohérence de fond – proclamer des principes très élevés sans se doter des moyens de les défendre, fixer des objectifs ambitieux sans aligner les politiques nécessaires pour les atteindre – risque de présenter une facture salée.

Sur le plan géopolitique, l’UE revendique le rôle de rempart des valeurs démocratiques face à l’agression russe, mais son action concrète est souvent hésitante et fragmentée. Elle a largement délégué aux États-Unis le leadership militaire et stratégique dans le soutien à Kiev ; maintenant que Washington (en perspective) pourrait se détourner ou même pousser pour un accord gênant, l’Europe découvre qu’elle a peu de cartes en main. L’idée d’une « souveraineté européenne » reste en grande partie un slogan tant que les budgets de défense des pays de l’UE demeurent inadéquats et non coordonnés. Macron, qui a le plus insisté sur l’autonomie stratégique de l’Europe, a dû ces derniers jours composer avec la réalité : les partenaires orientaux (Pologne, pays baltes) regardent avec suspicion toute ouverture négociée vers Moscou, ceux de l’Ouest (Allemagne, Italie, France elle-même) sont divisés entre faucons et colombes, et surtout, personne ne veut ou ne peut remplacer le rôle américain dans la garantie de la sécurité du continent. En définitive, l’UE risque d’apparaître incohérente et impuissante : un géant économique aux pieds d’argile politiques. Le pire scénario serait un recul sur la question ukrainienne qui compromette la crédibilité européenne : si l’UE acceptait une paix punitive pour Kiev, trahissant ses propres proclamations, elle subirait un dommage moral immense ainsi qu’un revers géostratégique, encourageant d’autres acteurs hostiles (la Chine sur Taïwan, par exemple) à tester sa solidité. D’un autre côté, si l’UE campe sur ses positions mais que Trump avance néanmoins unilatéralement, l’Europe devra choisir entre s’aligner en se bouchant le nez ou s’opposer en s’isolant de son allié américain – un dilemme déchirant qui pourrait fracturer l’Union de l’intérieur, entre pays prêts au réalisme et d’autres intransigeants sur la ligne dure.

À ce titre, certains envisagent des scénarios de crise existentielle. Le politologue Ian Bremmer a averti que les pressions renouvelées des États-Unis (comme les demandes de Trump que l’Europe rééquilibre la balance commerciale en achetant plus de gaz et de pétrole américains, sous la menace de droits de douane) pourraient exacerber les failles chroniques de l’UE et même « menacer le continent d’une crise existentielle capable de briser l’unité européenne ». C’est un scénario extrême, mais pas impossible : des fissures entre alliés européens sont déjà visibles, par exemple dans leur exposition différente à la crise énergétique (ceux qui souffrent le plus poussent pour mettre fin à la guerre au plus vite, ceux qui souffrent moins sont plus enclins à tenir bon). Si ces tensions internes s’ajoutent à des forces extérieures contraires – une Maison Blanche moins coopérative, ou au contraire une ingérence russe visant à diviser et influencer certains gouvernements –, le risque de désunion croît.

Sur le plan économique, les incohérences des politiques de l’UE pourraient miner en profondeur la confiance des citoyens dans le projet européen. Une inflation élevée combinée à une faible croissance est un cocktail socialement explosif : elle accroît les inégalités, fait grimper le chômage (surtout si les entreprises continuent de fermer face à des coûts insoutenables), et alimente les mouvements populistes prêts à rejeter tous les maux sur « Bruxelles ». Des signes de mécontentement sont déjà perceptibles : des gouvernements eurosceptiques ou radicaux ont remporté des élections dans certains pays (dont l’Italie), capitalisant sur le vote de protestation ; des partis extrémistes gagnent du terrain même dans des nations historiquement pro-UE, surfant sur le thème de la vie chère. Si l’UE ne parvient pas à redresser la barre économique, en apportant des solutions efficaces à l’inflation et en relançant la croissance, le danger est une érosion accrue du soutien populaire à l’Union. Et sans l’appui de ses citoyens, le projet européen deviendrait vulnérable aux forces centrifuges.

En conclusion, l’Union européenne fait face à des défis majeurs qui exposent ses contradictions et ses faiblesses. La gestion du dossier ukrainien met en lumière l’écart entre l’ambition d’être un acteur géopolitique autonome et la réalité d’une dépendance encore forte envers les États-Unis – ainsi que l’incapacité à se montrer véritablement unie en son sein. La situation économique, de son côté, met à rude épreuve le modèle européen de solidarité et de prospérité partagée : l’inflation, la crise énergétique et la croissance zéro sont des tests sévères pour la cohésion entre États membres et la résilience du marché unique. L’incohérence dans les politiques – par exemple, tout miser sur les sanctions contre Moscou sans plan pour l’énergie, ou imposer une austérité monétaire tout en dépensant des centaines de milliards en aides d’urgence – risque d’aggraver ces problèmes au lieu de les résoudre.

L’avenir de l’UE dépendra de sa capacité à surmonter ces incohérences et à retrouver une vision commune efficace. Il faudrait un sursaut politique : investir réellement dans une défense et une diplomatie commune, pour ne plus se retrouver pris au dépourvu face aux chantages des superpuissances ; et, en parallèle, mettre en place des politiques économiques coordonnées qui répondent à l’urgence sans trahir les objectifs à long terme (transition énergétique équilibrée, réformes pour la compétitivité, partage équitable des charges financières entre pays). L’Union a souvent prouvé qu’elle savait se renforcer à travers les crises – « unie dans la diversité » est sa devise – mais cette fois, l’épreuve est particulièrement rude. C’est sur sa capacité à tenir face au dossier ukrainien et à gérer la tempête économique en cours que se jouera une grande partie de sa crédibilité et de son avenir même. Les contradictions actuelles, si elles ne sont pas résolues, pourraient coûter cher : en termes de poids international, de bien-être économique et, en fin de compte, d’unité du projet européen.

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