
Par Arthur Grossmann
Accordons-nous sur l’objectif. Voulons-nous respirer un air pur, manger des nourritures saines, nager dans une mer propre et entendre les oiseaux chanter ? A priori, oui. La menace représentée par le réchauffement climatique est-elle de nature existentielle pour l’humanité ? La communauté scientifique le démontre, l’affirme, le hurle. Il faut agir vite. Mais par quels moyens ?
Les chantres de l’écologie politique et du Green Deal, aujourd’hui aux commandes à Bruxelles, ont les mains pleines de réponses : submerger nos secteurs productifs – à commencer par l’agriculture – de normes et de contraintes, tout en signant le Mercosur, ouvrant nos marchés aux produits agricoles sud-américains, notoirement pollués ; interdire la vente de véhicules thermiques à horizon 2035 – au grand dam des constructeurs européens ne maîtrisant pas la chaine de valeur – sacrifiant notre compétitivité industrielle et notre marché au profit de la Chine qui a multiplié par 2 sa production de charbon afin de satisfaire aux besoins industriels induits par cette opportunité tombée du ciel ; déléguer notre approvisionnement énergétique à la Russie afin, entre autre, de limiter la part du nucléaire dans notre mix énergétique, créant une dépendance profonde, rendant impossible toute réaction rapide, cohérente et coordonnée à l’invasion de l’Ukraine. Après avoir touché pendant trente ans les dividendes de la paix, l’Europe paye aujourd’hui au reste du monde les dividendes de la bêtise.
Le premier lien entre la guerre en Ukraine et l’écologie politique se noue le 26 avril 1986, à Tchernobyl, en Ukraine soviétique. L’explosion de la centrale nucléaire déclenche le plus grand rejet radioactif incontrôlé de l’histoire. Les opinions publiques, mal informées, s’effraient. L’atome. La fission nucléaire. Hiroshima. Le récit ambiant attribue à l’énergie nucléaire civile une nocivité démesurée. Nous savons aujourd’hui que cette nocivité est faible, voire inexistante. A l’exception d’un soupçon sur l’augmentation des cancers thyroïdiens en Ukraine et en Biélorussie sur la décennie post 86 – augmentation certainement due également à l’amélioration notable des méthodes de diagnostic – rien à signaler. Mais le mal est fait, dans les esprits. La lutte contre l’industrie nucléaire devient le totem de l’écologie politique, notamment en Allemagne.
La sortie du nucléaire y est actée en 2002 par un amendement de la Loi Atomique, sous l’impulsion de la coalition gouvernementale des sociaux-démocrates (SPD) du chancelier Gerhard Schröder et du parti des Verts. Terminé, les nouvelles constructions de centrales. Les unités déjà opérationnelles iront jusqu’au terme de leur mandat d’exploitation fixé à 32 ans. La sortie du nucléaire semblait réalisable, à condition de compenser le déficit d’approvisionnement par une source nouvelle. Décidé en 97, le gazoduc Nord-stream 1 reliant l’Allemagne à la Russie, via l’Ukraine, est mis en service en 2012, offrant à l’Europe des quantités de gaz bon marché, et à l’Allemagne le dernier pied de son tripode – bouclier américain, marché chinois, énergie russe – ouvrant une décennie de prospérité économique.
La France, pilier européen tracté économiquement par la locomotive allemande, consent. Malgré son avance en matière de technologie nucléaire, malgré l’atout stratégique que représente son exportation, la France tergiverse et aligne finalement son agenda sur celui de l’Allemagne, ralentissant le développement de ses centrales, déviant ses capitaux vers les énergies dites « renouvelables » (solaire, éolien, hydro). La politique de désarmement du nucléaire civil en Europe se mue en politique de vertu. Le 8 novembre 2011, jour de la joyeuse photo de famille rassemblant les dirigeants européens – et Gerhard Shröder, devenu lobbyiste en faveur des énergies fossiles russes – autour du robinet de Nord-stream, le piège de Poutine se referme sous les applaudissements des écologistes européens. Le gaz est un appât. L’Europe du marché unique, une proie facile. Le sort de l’Ukraine est scellé.
Onze ans plus tard, après avoir sacrifié ses atouts stratégiques sur l’autel de l’urgence écologique, l’Europe se réveille au bruit des bottes et des bombes. La guerre est de retour sur son sol. L’Ukraine est attaqué. Son économie, dépendante des droits de passage de Nord-stream – 3 milliards d’euros annuels – est étouffée par la fermeture du gazoduc. L’Allemagne, effrayée par la perspective d’un rude hiver et incapable de fournir à son industrie lourde un flux d’énergie fatal via ses infrastructures éoliennes, relance en catastrophe cinq centrales à charbon, pour subvenir à son besoin grandissant en électricité ainsi qu’à celui de la France. Pour échapper aux griffes de la Russie, l’Europe se jette entre celles des pétromonarchies du Golf, de l’Azerbaïdjan autocratique et expansionniste, des États-Unis d’Amérique, fermant les yeux sur le piétinement des droits humains dans la péninsule arabique et sur l’invasion du Haut-Karabakh par les troupes d’Aliyev.
Le processus d’asservissement de l’Europe s’est enroulé autour d’un axe majeur : la question énergétique. Substituant à la pensée stratégique la logique du profit à court terme, et à la volonté de puissance la peur de l’avenir, l’Europe est tombée dans sa propre trappe idéologique. L’air de nos villes n’est pas plus pur et les déchets étendent leur territoire à la surface des mers. Les produits gorgés d’antibiotiques et de substances phytosanitaires pullulent sur les étals de nos supermarchés. Les cas de cancer chez les moins de 50 ans ont explosé dans nos populations. Chaque semaine qui passe, des espèces d’oiseaux disparaissent. Trump et Poutine, qui voient probablement dans le réchauffement climatique une opportunité de déplacer l’épicentre géostratégique du monde vers le nord, s’en moquent éperdument. Respectivement portés par une popularité massive, ils méprisent ouvertement nos dirigeants conspués par leurs peuples, narguent nos élites auto-satisfaites aux discours incantatoires. Obsédée par sa haute vertu écologique, inhibée par sa dépendance énergétique, braquée à l’ouest, à l’est, et au sud par le déferlement des migrations économico-climatiques, l’Europe vacille et, à écouter nos propres technocrates et ceux de Bruxelles, de défaite en défaite vole vers la victoire.
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Arthur Grossmann est l’auteur de Vertige indien aux éditions Gallimard. Il fonde en 2016 la société Le Miel Sauvage et distribue aux plus grands chefs des miels rares, dénichés aux quatre coins du monde. La société est vendue en 2021. Il devient concepteur-rédacteur ; concepts, pubs, web, architecture commerciale, il travaille pour de nombreuses marques. Enseignant aujourd’hui la conception-rédaction et l’économie des médias à l’ISCOM Paris, il contribue également aux Nouvelles d’Arménie Magazine, en analyses, opinions et interviews. Son prochain roman, Si tu n’as jamais joué, raconte l’histoire d’une rédemption par le rugby. Il sortira en 2026.