ARMEMENT – La bombe GBU-57 : Ou le service minimum de Trump ?

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Un bombardier furtif B-2 Spirit de l’US Air Force largue une bombe GBU-57A/B Massive Ordnance Penetrator (MOP-432), conçue pour détruire les bunkers profondément enfouis comme ceux des sites nucléaires iraniens. Photo illustrative d'une frappe stratégique à haute altitude.
B-2 Spirit lançant une GBU-57 lors d’un exercice en 2019. Image : USAF

Par Codjo Orisha 

Testée pour la première fois en 2007, la GBU-57, ou Massive Ordnance Penetrator, est une bombe à guidage de précision développée par les États-Unis pour détruire des cibles fortement fortifiées et profondément enfouies, comme des bunkers ou des installations souterraines.

Aujourd’hui, on estime qu’il en existe une vingtaine construite, et seuls les États-Unis en sont les utilisateurs. Elle est portée par le B2, un bombardier stratégique à long rayon d’action, qu’il a fallu modifier et qui ne peut en emporter que deux au maximum. En effet, le Massive Ordnance Penetrator pèse 13,6 tonnes pour 6,2 mètres de long et 0,8 mètre de large.

Mais contrairement à ce que l’on pourrait penser, ce n’est pas la bombe la plus puissante de l’arsenal américain. Développée dès 2002, la GBU-43, ou Massive Ordnance Air Blast (MOAB), que l’on surnomme également Mother of All Bombs, dépasse de loin la GBU-57 en termes de charge explosive.

Bien que pesant 9,8 tonnes pour 9,14 mètres de long et 1,03 mètre de large, la GBU-43 intègre 8,4 tonnes de charge explosive contre 2,5 tonnes pour la GBU-57. Alors, pour quelle raison cette dernière fait-elle plus parler d’elle ces temps-ci dans l’actualité ?

Comme son nom l’indique si bien, le Massive Ordnance Penetrator pénètre des installations souterraines extrêmement fortifiées pour les détruire. Pour ce faire, la charge explosive est à haut rendement et optimisée pour une détonation contrôlée dans des espaces confinés.

À contrario, la GBU-43, dont le premier usage opérationnel date du 13 avril 2017 à Nangarhar, en Afghanistan, contre un complexe de tunnels d’ISIS-K, sert à la destruction des cibles de surface. En parlant de cibles de surface, il peut s’agir de cavernes, de tunnels ou de zones fortifiées. Elle est aussi conçue pour avoir un effet psychologique démoralisateur sur l’ennemi. La GBU-43 est surtout non pénétrante.

Revenons à la GBU-57 : elle est expressément demandée par Israël, qui dispose plutôt des GBU-28 et GBU-31, et accessoirement du missile Rampage avec son Multi-EFP (Explosively Formed Penetrator). Si ce dernier est un missile aérobalistique israélien avec une version navalisée en développement, le Trigon, les GBU-28 et GBU-31 sont des bunker busters également américaines, mais dont la capacité de pénétration n’excède guère 7 mètres de béton armé pour le premier et 4 mètres pour le second.

Le Massive Ordnance Penetrator dispose d’une enveloppe en acier à ultra-haute résistance, probablement un acier maraging (type 300 ?) ou un acier à haute teneur en nickel-chrome-molybdène. Ces types d’acier ont une résistance à la traction supérieure à 2 000 MPa, et surtout offrent une dureté élevée, autour de 50-60 HRC (échelle de Rockwell), pour résister à l’abrasion et à la déformation lors de la pénétration dans du béton ou de la roche.

Ces performances techniques sont complétées par l’énergie cinétique à l’impact de la bombe. Cette dernière est larguée depuis son porteur à une altitude comprise entre 10 000 et 15 000 mètres, la fourchette d’altitude classique des B2 en opération. Et pour une munition de la taille de la GBU-57 et de cette densité (conçue pour minimiser la traînée), la vitesse terminale peut être estimée entre 300 et 400 m/s (environ 1 080 à 1 440 km/h, soit Mach 0,9 à 1,2). Ici, on tient compte de conditions atmosphériques standards près du sol, de la vitesse de croisière du B2 (800 km/h), mais aussi du fait que les ailerons stabilisateurs pour maintenir la précision de la bombe ne devraient pas être un facteur limitant à sa vitesse à l’impact.

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L’ensemble de ces éléments susmentionnés confère au Massive Ordnance Penetrator la capacité à pénétrer profondément dans le sol ou le béton armé (jusqu’à 60 mètres de roche ou 18 mètres de béton armé à 5 000 psi). Est-il pour autant la panacée pour détruire les sites nucléaires iraniens ?

Si aujourd’hui, la GBU-57 est ce qu’il y a de mieux comme bunker buster, son premier baptême de feu pourrait connaître quelques limites techniques susceptibles d’entamer son potentiel.

« La géographie, ça sert, d’abord, à faire la guerre », titrait Yves Lacoste dans son essai. Cette citation n’a jamais été autant d’actualité que dans le cas iranien. En effet, traversé par des chaînes de montagnes comme le Zagros et l’Alborz, le pays a su développer une véritable ingénierie en matière d’ouvrages souterrains. De ce fait, les sites les plus importants de ses programmes nucléaires et balistiques sont enfouis très profondément dans les zones montagneuses du pays.

Les soupçons sur le programme nucléaire iranien font état de niveaux élevés d’enrichissement, d’environ 60 % à Natanz et jusqu’à 83,7 % détectés à Fordo. Ces sites, bien qu’on ne sache s’il en existe d’autres encore secrets, ont acquis une réputation d’indestructibilité – et à raison.

On estime par exemple que le site de Natanz, qui se trouve dans une région semi-montagneuse près des contreforts du Zagros, à environ 250 km au sud de Téhéran, est enfoui sous 7 à 10 mètres de béton armé, suivis de couches de sol et de roche, avec une protection totale estimée à 20-30 mètres de matériaux composites (roche + béton).

Les types de roches sédimentaires rencontrés dans la chaîne du Zagros sont principalement du calcaire (résistance à la compression : 2 000-5 000 psi) et des couches de grès ou d’argile (1 000-3 000 psi pour les roches plus tendres). Quant au béton utilisé, il n’est pas exclu que ce soit du béton ultra-haute performance (jusqu’à 30 000 psi, soit 210 MPa), bien au-delà des 5 000 psi (34 MPa) que la GBU-57 est conçue pour pénétrer.

L’attaque effectuée par les Américains dans la nuit du 21 au 22 juin 2025 contre le site de Natanz révèle, d’après des sources OSINT, que deux bombes GBU-57 ont été utilisées. Par ailleurs, trente missiles Tomahawk auraient été tirés également sur Natanz et Ispahan. Certaines variantes du Tomahawk, comme le TLAM (Tomahawk Land Attack Missile), ont des charges pénétrantes, mais sont davantage utiles contre des cibles de surface ou semi-enterrées.

Dans ce contexte, si déjà à 10 000 psi, la GBU-57 voit sa capacité de pénétration réduite de moitié dans le béton (soit 10 mètres), à 20 000 psi, elle devrait logiquement passer à moins de 10 mètres de pénétration, et tout au plus à 8 mètres à 30 000 psi.

À l’heure où personne n’a réellement d’idée précise de la structure souterraine du site de Natanz, la seule conclusion qui vaille est que les frappes américaines ont causé peu de dégâts et que nous sommes loin d’une destruction irréversible, encore que la possibilité d’une évacuation du site ait été hautement probable avant la frappe. 

Fordo, situé au centre de l’Iran, à environ 40 km de Qom, est quant à lui enfoui sous des couches de roche à des profondeurs estimées de 80 à 90 mètres, voire 100 mètres, renforcées par du béton UHPC (10–15 mètres). Et contrairement à la chaîne du Zagros, qui est géologiquement constituée d’argile, de calcaire et de grès, Fordo est enfoui dans une montagne appartenant à la chaîne de l’Alborz.

Ici, la formation géologique est constituée de roches sédimentaires (calcaire), métamorphiques (schiste, gneiss) et volcaniques (basalte et rhyolite ~ 10 000-15 000 psi pour les roches dures). Cela offre une protection supplémentaire à la structure du site, dont la valeur psi du béton varie déjà entre 5 000 et 30 000.

Lors du bombardement de la nuit du 21 au 22 juin 2025, les sources OSINT rapportent que « six bombardiers B-2 ont largué douze bombes pénétrantes GBU-57 sur le site nucléaire iranien de Fordo ». On remarque que la concentration de munitions autour de ce site montre à suffisance l’intérêt que suscitent ses fortifications.

Malgré cette densité de bombes, il est peu probable qu’un site comme Fordo soit détruit de façon irréversible. On pourrait supputer que les centrifugeuses restent intactes dans un scénario des plus réalistes. Les dommages se limiteraient aux accès (tunnels), aux conduits de ventilation et aux infrastructures annexes (électricité, refroidissement). Cela n’exclut donc pas que les bombes creusent des cratères significatifs, endommageant les couches supérieures de béton et de roche. D’ailleurs, les Iraniens confirmeront très peu de temps après, dans la journée du 22 juin, qu’il n’y avait eu aucun dégât significatif. 

Des rapports, notamment certaines analyses du Bulletin of the Atomic Scientists, indiquent que même si la GBU-57 peut atteindre les installations, la redondance des systèmes iraniens (centrifugeuses réparties, backups) limite l’impact d’une seule frappe. 

Mais peut-être qu’on devrait patienter encore un peu de temps. Les premières images radars montrent l’absence de cratères énormes sur le site.

Dans ce contexte, dans quel scénario les sites iraniens, notamment celui de Fordo, pourraient-ils être détruits en une seule campagne de bombardement ?

L’essai nucléaire « Cannikin », qui a eu lieu le 6 novembre 1971 avec une ogive thermonucléaire sur l’île d’Amchitka, en Alaska, nous donne une idée du potentiel de l’arme atomique contre des structures densément bunkérisées. Cannikin est le plus grand essai nucléaire souterrain de l’histoire américaine (1 800 mètres). Il fut effectué avec une ogive de 5 mégatonnes destinée au missile antimissile Spartan. Cette dernière fut optimisée pour l’émission de neutrons et de rayons gamma, mais avec seulement 10 % de l’énergie dévolue à l’onde de choc, soit 0,5 Mt.

L’explosion du LIM-49A Spartan a généré une magnitude de 6,9 sur l’échelle de Richter, selon les enregistrements de l’USGS, accompagnée de déformations du sol et d’ondes de choc mesurées à des distances considérables.

Avec les données actuelles, une explosion de GBU-57 devrait générer une onde de choc sismique de l’ordre de 0,05 à 0,1 sur l’échelle de Richter. Même en multipliant le nombre de bombes par 12, la magnitude de l’onde de choc sismique serait de l’ordre de 0,6 à 0,8.

Pour certains spécialistes, détruire les sites iraniens nécessiterait un missile nucléaire. Si le Spartan est aujourd’hui obsolète, le meilleur candidat serait alors le missile Trident II D-5, lancé depuis les sous-marins de la classe Ohio américaine ou Vanguard britannique. Avec ces ogives d’une puissance de 100 kilotonnes (W76) ou de 475 kilotonnes (W88), cela pourrait véritablement compromettre – et pour longtemps – le programme de Téhéran.

Dans ce scénario, on estime que plus de deux ogives seraient nécessaires, si l’on fait fi des retombées radioactives et de la morale.

À côté des missiles Trident II D-5, les missiles Jéricho II/III sont également d’excellents candidats. Mais si l’on connaît la puissance de leur charge conventionnelle (1 000 à 1 300 kg), la puissance exacte des ogives nucléaires reste classifiée.

Alors, que retenir de la frappe américaine des 21 au 22 juin 2025 ? Le 22 juin au matin, Donald Trump a annoncé que les B2 ont mené avec succès leur opération au-dessus de l’Iran sur trois sites : Natanz, Fordo et Ispahan.

Il s’agissait alors d’un raid depuis les États-Unis, ce qui exclut toute escale à Guam ou encore Diego Garcia, comme initialement prévu. Après la frappe, si l’Iran n’a pas évoqué de dégâts majeurs, l’AIEA n’a signalé aucune augmentation des niveaux de radiation à l’extérieur des installations nucléaires iraniennes, non plus.

Au-delà même des limites techniques à la destruction totale des sites nucléaires iraniens qui ont été évoquées, Donald Trump a sans doute fait un service minimum : éviter l’escalade qui pourrait sans doute inclure la Chine et la Russie opposées par exemple dès le départ à un «régime change» comme l’auraient bien voulu les israéliens, donner une chance au compromis – malgré qu’il soit le principal responsable de l’échec du JCPoA –, contenter son allié israélien, éviter l’embarras de certains alliés (les Anglais, par exemple) en ne faisant pas escale à Diego Garcia, etc.

Beaucoup d’observateurs de l’actualité politico-militaire américaine n’hésitent pas à comparer l’opération des 21 et 22 juin à la frappe de 59 missiles Tomahawk depuis les destroyers USS Porter et USS Ross contre la base aérienne syrienne d’Al-Chaayrate, le 7 avril 2017. Ironie de l’histoire : celle-ci était également le fait de Trump – des déclarations nombreuses, une frappe spectaculaire, et surtout beaucoup de symbolique.

Reste enfin la posture iranienne, qui n’a pas manqué de répondre à l’État hébreu par une salve de missiles balistiques et de drones dès la matinée du 22 juin. Et s’il devait y avoir une réponse contre les États-Unis, elle sera sans doute très mesurée.

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