DÉCRYPTAGE – Alaska 2025 : Derrière la vitrine diplomatique, l’ombre d’un marché inégal

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Donald Trump et Vladimir Poutine se serrant la main lors du sommet en Alaska 2025, avec en arrière-plan les montagnes glacées, symbole d’un bras de fer diplomatique entre Washington et Moscou.
Réalisation Le Lab Le Diplo

Par Giuseppe Gagliano, Président du Centro Studi Strategici Carlo De Cristoforis (Côme, Italie) 

Dans un article publié sur Startmag, Stefano Arrighi présente le sommet du 15 août 2025 en Alaska entre Donald Trump et Vladimir Poutine comme une sorte de « Yalta du XXIᵉ siècle ». Cette image frappe l’imagination : deux grandes puissances redessinant la carte politique mondiale, loin du continent européen, comme en 1945. Mais la comparaison, flatteuse pour les protagonistes, se révèle trompeuse et même dangereuse. 

Arrighi insiste sur l’isolement diplomatique de l’Europe, la prétendue marginalisation de l’Ukraine et la capacité de Poutine à obtenir des concessions territoriales majeures. En filigrane, l’article semble entériner l’idée qu’une paix peut être négociée sur la base d’un échange de territoires, comme si l’histoire récente ne regorgeait pas d’exemples démontrant que ce type d’arrangement nourrit davantage la guerre qu’il ne l’apaise.

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La rhétorique de la fatalité

La première faiblesse de l’analyse d’Arrighi réside dans son ton de fatalisme historique : en évoquant Yalta, il laisse entendre que la division du monde en zones d’influence est non seulement inévitable, mais aussi un instrument naturel de stabilisation. Or, contrairement à 1945, nous ne sommes pas dans une configuration où un conflit mondial vient de s’achever et où les vainqueurs se partagent le fruit de leur victoire. Nous sommes dans un contexte où un État, la Russie, a envahi militairement un autre, l’Ukraine, en violation du droit international, et où un autre État, les États-Unis, cherche à solder le conflit à ses conditions, sans mandat international et en écartant les parties directement concernées. Parler de Yalta revient ici à blanchir l’agresseur et à mettre sur le même plan l’agressé et l’agresseur.

L’Alaska : Symbole ou écran de fumée ?

Arrighi souligne que la tenue du sommet en Alaska constitue une victoire symbolique pour Poutine : se rendre sur le sol américain, loin de l’Europe, légitimerait sa stature internationale. Mais cette interprétation ne prend pas en compte l’autre lecture possible : l’Alaska, région de l’Arctique stratégique, est aussi le lieu où se joue une compétition pour les ressources, les routes maritimes et l’influence militaire. En choisissant Anchorage, Trump ne fait pas que dérouler le tapis rouge à Poutine : il inscrit cette rencontre dans un bras de fer plus large où les États-Unis cherchent à sécuriser leur position face à la Russie et à la Chine dans le cercle polaire. Ce que l’article d’Arrighi passe sous silence, c’est que l’Arctique n’est pas un décor neutre, mais un champ de bataille géoéconomique.

La marginalisation européenne : Un constat superficiel

L’auteur de Startmag insiste sur la mise à l’écart de l’Europe, mais en tire une conclusion réductrice : pour lui, cette absence traduit la faiblesse structurelle du Vieux Continent. Ce qu’il ne dit pas, c’est que cette marginalisation est aussi le résultat d’un choix délibéré de Trump, qui voit dans la division transatlantique un levier pour négocier sans contrepoids. Présenter cette exclusion comme un simple symptôme d’impuissance européenne, c’est ignorer la dimension tactique américaine et la volonté de Washington de réduire le rôle de l’OTAN dans la gestion directe du conflit ukrainien.

La paix contre les territoires : Un précédent explosif

Arrighi reprend sans distance l’idée que Poutine pourrait obtenir un cessez-le-feu en échange de concessions territoriales : Donbass, Crimée et, peut-être, d’autres régions. Cette approche oublie que céder face à un envahisseur ne fait que renforcer son appétit stratégique. Les accords de Minsk, conclus après l’annexion de la Crimée en 2014, devaient garantir la paix ; ils ont surtout donné à Moscou le temps de se réarmer et de préparer l’invasion de 2022. Accepter aujourd’hui un troc similaire reviendrait à institutionnaliser le droit du plus fort, et à fragiliser tous les États voisins de puissances révisionnistes, de la Baltique à l’Asie.

L’Ukraine absente : Une diplomatie à huis clos

Le cœur du problème, que l’article d’Arrighi effleure à peine, est l’absence totale de l’Ukraine à la table des négociations. Dans n’importe quel processus de paix sérieux, la participation de la partie directement agressée est essentielle. Ici, Kyiv est reléguée au rôle de spectateur, tandis que Washington et Moscou discutent de son avenir comme s’il s’agissait d’un objet de transaction. Cette méthode ne conduit pas à la paix, mais à un accord précaire, contesté sur le terrain et politiquement explosif à l’intérieur du pays concerné.

Les motivations réelles de Trump

L’analyse de Startmag met en avant la volonté de Trump d’obtenir un « succès diplomatique rapide » et un prix Nobel de la paix. Mais elle minimise l’impact des promesses électorales du président américain, qui lient ses marges de manœuvre. En promettant la fin rapide de la guerre, Trump s’est enfermé dans une logique où toute solution, même bancale, devient acceptable tant qu’elle est rapide et spectaculaire. Cette contrainte personnelle, que Poutine connaît parfaitement, affaiblit la position de négociation américaine bien plus que ne le laisse entendre Arrighi.

La légitimation de Poutine : Un calcul à courte vue

Enfin, Arrighi reconnaît que le sommet permet à Poutine de retrouver une légitimité diplomatique, mais il n’en mesure pas toutes les conséquences. En rencontrant le président russe sur le sol américain, sans condition préalable sur le retrait des troupes ou le respect des frontières, Washington envoie un signal au monde : l’agression militaire peut être récompensée par un siège à la table des grandes puissances. Ce message ne sera pas perdu pour d’autres acteurs autoritaires, qu’il s’agisse de la Chine à propos de Taïwan ou de la Turquie vis-à-vis de certaines zones syriennes.

Une conclusion qui conforte l’agresseur

En définitive, l’article de Stefano Arrighi sur Startmag propose une lecture biaisée, où la rencontre d’Anchorage apparaît comme un moment historique inévitable, presque naturel. Or, ce sommet est moins une Yalta moderne qu’un marché bilatéral déséquilibré, dans lequel l’agresseur fixe ses conditions et le médiateur autoproclamé courtise un succès personnel. L’Europe, l’Ukraine et les alliés démocratiques ne sont pas seulement marginalisés : ils sont délibérément exclus d’une négociation qui pourrait redessiner les frontières par la force.

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