
Par Giuseppe Gagliano, Président du Centro Studi Strategici Carlo De Cristoforis (Côme, Italie)
Ce n’est pas la première fois que les arsenaux stratégiques de l’aviation russe sont visés par les Ukrainiens. Et ce n’est pas non plus la première que Moscou se montre mal préparée. Les épisodes précédents — comme l’attaque contre un Tu-22M3 dans la région de Novgorod ou les Tu-95 endommagés sur la base d’Engels en 2022 — n’ont pas suffi à modifier une doctrine qui continue de sous-estimer la vulnérabilité de ses actifs les plus précieux.
Les polémiques relayées sur les canaux Telegram russes le révèlent : absence totale d’abris anti-drones pour les avions stratégiques, alors même qu’il existe aujourd’hui des solutions préfabriquées, déjà adoptées ailleurs pour des chasseurs bien plus petits. La question, inévitable, est celle-ci : vaut-il mieux investir dans un hangar blindé ou perdre un bombardier stratégique capable de lancer des missiles de croisière conventionnels ou nucléaires ? Trop tard pour se poser la question maintenant.
Les drones ukrainiens — selon plusieurs sources — auraient frappé avec précision les points les plus sensibles des Tu-95MS : les pylônes d’aile où sont accrochés les missiles Kh-101, ainsi que les zones proches des réservoirs de carburant. Une opération apparemment chirurgicale, mais dont les effets concrets restent à évaluer. Combien d’appareils ont été effectivement touchés ? La réponse varie selon les versions. Ce qui est certain, c’est qu’il s’agit d’un revers sévère pour l’image de la Russie, déjà écornée par les incursions récurrentes dans ses arrières stratégiques. Mais il ne faut pas confondre perte de prestige et réduction des capacités opérationnelles. Le dommage est réel, mais non décisif : l’arsenal stratégique russe demeure vaste, dispersé et — bien que partiellement obsolète — en partie redondant.
L’impact véritable de l’opération se joue sans doute sur le plan diplomatique : l’attaque est survenue à la veille de discussions entre Moscou et Kiev en Turquie. Difficile d’y voir une simple coïncidence. Peu probable qu’une opération aussi complexe, déclenchée depuis cinq points distincts et coordonnée à l’échelle continentale, ait pu être planifiée sans un appui occidental — sans doute britannique — en matière de renseignement et d’imagerie satellite. Et les soupçons deviennent encore plus lourds quand on observe le calendrier : saboter la possibilité d’un accord de paix est aujourd’hui un objectif pour certains pays — au premier rang desquels le Royaume-Uni — qui préfèrent une guerre prolongée à un compromis diplomatique qui acterait leur marginalisation stratégique.
Les États-Unis, officiellement, ont immédiatement nié toute implication. Mais on sait ce que valent ces démentis. La tentative ukrainienne d’impliquer Washington dans une attaque visant les vecteurs de la dissuasion nucléaire stratégique russe a provoqué un tollé. On touche là au cœur même des doctrines de dissuasion. Une frappe contre les composantes de la triade nucléaire n’est jamais un acte symbolique : c’est, dans les doctrines militaires, un acte potentiellement existentiel. Le dialogue confidentiel entre Marco Rubio et Sergueï Lavrov, ainsi que les probables échanges entre chefs d’état-major, indiquent à quel point une ligne rouge a été frôlée.
La réaction britannique, en revanche, est éminemment politique : le Premier ministre Keir Starmer a défendu l’action comme relevant du droit légitime à l’autodéfense, en profitant pour exalter “l’esprit de résistance et le courage” des Ukrainiens. Mais cet enthousiasme trahit l’objectif réel : non pas simplement affaiblir la Russie, mais maintenir vivante une guerre qui permet à certains acteurs extérieurs de rester au centre du jeu. Pour Kiev, ce n’est plus seulement une guerre de survie. C’est désormais une course contre la montre pour ne pas perdre le soutien de ceux qui, davantage que la paix, veulent un déséquilibre permanent permettant d’influencer, de vendre, de déstabiliser.
La déclaration du secrétaire général de l’OTAN, Mark Rutte, vient parachever ce tableau : “Le chemin de l’Ukraine vers l’Alliance est irréversible.” Mais en l’absence de date, et si ce chemin ne s’inscrit pas dans une perspective de paix, cette promesse ne fait que renforcer une logique d’affrontement. Le message est limpide : aucun compromis ne sera toléré s’il contredit le projet atlantiste, quitte à torpiller un processus de négociation déjà fragile.
Dans le grand théâtre de cette guerre, il ne s’agit plus seulement du sort de quelques bombardiers. C’est la possibilité même d’une sortie de crise qui est désormais en jeu.
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