
Le Diplomate Média a eu le plaisir de recevoir le prince Joachim Murat, arrière-petit-fils du maréchal Murat et de Caroline Bonaparte (sœur de l’Empereur Napoléon Ier et tante de Napoléon IIII). Il est co-auteur, avec l’économiste Olivier Pastré, de Napoléon III, l’incompris (Éditions Odile Jacob, 2025).
Dans cet ouvrage, les deux auteurs revisitent le règne contrasté du neveu de Napoléon Iᵉʳ, brossant un portrait nuancé d’un souverain que l’histoire a souvent caricaturé. Architecte du Second Empire, défenseur du progrès social et de l’industrialisation, Napoléon III laisse pourtant des leçons politiques et institutionnelles toujours d’actualité.
Propos recueillis par Angélique Bouchard
Le Diplomate : Qu’est-ce qui vous a poussé, prince Murat, à entreprendre ce retour sur la figure de Napoléon III, et comment s’est nouée votre collaboration avec Olivier Pastré ?
Prince Joachim Murat : Ce projet répond d’abord à une nécessité historique, celle de rendre justice à une figure majeure injustement oubliée ou caricaturée par l’historiographie républicaine. En tant que descendant direct du maréchal Joachim Murat et arrière-petit-cousin de Napoléon III, j’ai grandi en ayant conscience que cette injustice pesait encore sur notre mémoire collective. Avec Olivier Pastré, économiste reconnu et issu d’une famille historiquement impliquée dans les grandes réalisations du Second Empire, notamment le Canal de Suez, nous partageons une passion commune : mettre en lumière l’impact durable, tant économique que social, du règne de Napoléon III. Notre collaboration s’est donc naturellement imposée comme une évidence, conjuguant la rigueur de l’analyse économique à une réflexion historico-politique approfondie.
Quels types de sources (archives familiales, correspondances officielles, témoignages contemporains) avez-vous privilégiés pour réhabiliter l’image de Napoléon III ?
Avant tout rappelons que ni Olivier ni moi ne sommes historiens. Olivier est professeur d’économie et moi je suis un spécialiste en technologies de souveraineté. Nous sommes des exégètes. Néanmoins, nous avons souhaité nous appuyer sur un éventail très large de sources : tout d’abord la quasi-totalité des biographies consacrées à Napoléon III, les archives officielles, notamment les actes des plébiscites impériaux et les grandes correspondances diplomatiques conservées aux Archives nationales et au Quai d’Orsay. Les archives économiques, comme celles des grandes banques fondées sous le Second Empire (Crédit Lyonnais, Crédit Mobilier, Société Générale, le CIC, la SMC, fondée par la famille Pastré), ont été essentielles pour éclairer la dimension visionnaire de l’action impériale. Enfin, les sources privées, correspondances et témoignages familiaux, nous ont permis de mieux saisir les motivations intimes et la dimension humaine de l’Empereur, souvent occultées dans les récits officiels.
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Pouvez-vous citer trois idées reçues majeures que vous cherchez à déconstruire dans votre livre ?
La première idée reçue concerne la prétendue « illégitimité » de Napoléon III, perçu exclusivement comme un usurpateur et un dictateur. Notre ouvrage démontre qu’il a systématiquement cherché la légitimation par le suffrage universel, remportant des succès électoraux massifs et réguliers. Il est le chef d’état français qui a remporté le plus d’élections au suffrage universel de toute notre Histoire électorale : cinq plébiscites en 18 ans remportés à plus de 80% des voix avec plus de 70% de participation (exclusivement masculine à l’époque). Il est constamment encadré par le Corps Législatif (équivalent de notre Assemblée Nationale) au sein duquel les 283 membres sont également élus au suffrage universel direct. S’y ajoute le Sénat et le Conseil d’État. Napoléon III échouera face à ces chambres à faire passer plusieurs réformes. Notamment la mise en place progressive d’une autonomie de l’Algérie qui sera continuellement repoussée mais également, en 1866, la modernisation des armées refusée par un Corps Législatif libéral, ce qui eut pour conséquence directe la défaite de 1870. Nous sommes loin d’une dictature.
La deuxième idée reçue concerne l’« immobilisme social ». Or, c’est sous Napoléon III que furent instaurées des avancées fondamentales telles que le droit de grève en 1864, l’encouragement des sociétés de secours mutuels, le développement de l’instruction publique gratuite pour toutes et tous, le dimanche comme jour de repos, la retraite pour les fonctionnaires, la première semaine de congés payés, l’assistante juridique et médicale gratuite pour les plus précaires, et l’amélioration tangible du logement populaire et les bases du syndicalisme.
Enfin, la troisième idée reçue est celle de l’Empereur belliciste et imprudent sur le plan diplomatique. Nous montrons que, malgré les erreurs du Mexique et de Sedan, le règne fut globalement marqué par d’importants succès diplomatiques : l’unité italienne, la création du Royaume de Roumanie, l’autonomie du Liban, de la Serbie et du Monténégro, les accords de libre-échange avec plus de 15 pays, la création de l’Union Monétaire Latine réunissant 32 pays, la construction du Canal de Suez en sont des exemples éloquents
Napoléon III est souvent présenté comme un « empereur-arbitre » du progrès social et industriel. En quoi son action préfigure-t-elle les politiques publiques d’aujourd’hui ?
Le Second Empire préfigure remarquablement l’intervention moderne de l’État dans l’économie. Napoléon III croyait fermement à un État stratège, capable de planifier les grands chantiers du futur : infrastructures ferroviaires, rénovation urbaine, grands ports, développement des établissements financiers. Aujourd’hui, face aux défis de la réindustrialisation ou de la transition énergétique, l’expérience napoléonienne prouve l’importance d’un pilotage ambitieux et clairvoyant par les pouvoirs publics, combinant étroitement initiative privée et régulation publique
Le Second Empire a mis en place des réformes institutionnelles (Sénat, Conseil d’État, préfecture…). Lesquelles vous semblent les plus durables et pourquoi ?
Parmi ces réformes, celle de la fluctuation du taux d’escompte de la Banque de France ainsi que son monopole sur la création de monnaie demeure les plus décisives et les plus durables. L’outil des taux directeurs appliqués par l’ensemble des banques centrales dans le monde aujourd’hui en est l’héritier direct. La réforme du Conseil d’État dont Napoléon III a profondément renforcé le rôle consultatif et juridictionnel a posé les bases du Conseil d’État moderne, garant du droit et pivot essentiel de notre État administratif contemporain. Le renforcement du corps préfectoral constitue également un héritage crucial : il a permis d’assurer une homogénéité et une efficacité accrues de l’action publique sur tout le territoire national.
Le Second Empire a vu un vaste programme de développement ferroviaire, de modernisation des ports et de création d’infrastructures – quel bilan faites-vous de cette politique industrielle et comment a-t-elle transformé la France du XIXᵉ siècle ?
Ce bilan est extraordinairement positif. Napoléon III a doté la France d’un réseau ferroviaire dense qui a profondément transformé le pays, reliant des régions isolées et stimulant le commerce intérieur. Les ports modernisés (Le Havre, Marseille, Bordeaux, Dakar, Hanoï, Alger) ont permis à la France d’accroître son rayonnement commercial mondial. Enfin, la rénovation urbaine d’Haussmann a durablement changé le visage de Paris, servant de modèle international en matière d’urbanisme moderne. Cette politique volontariste a inscrit définitivement la France dans l’ère industrielle et jeté les bases d’une prospérité dont nous bénéficions encore aujourd’hui.
Selon vous, quelle est la principale leçon de gouvernance que les responsables politiques contemporains pourraient tirer de l’expérience de Napoléon III ?
La principale leçon de gouvernance tient à l’importance d’une vision à long terme, couplée à la nécessité d’une validation populaire régulière. Napoléon III comprenait qu’un État efficace ne pouvait s’affranchir de la confiance populaire. Il savait également que la modernisation économique devait s’accompagner de progrès sociaux concrets. Aujourd’hui, nos dirigeants pourraient s’inspirer de cette double exigence : audace dans les grands projets structurants, et constante attention portée à leur légitimité démocratique.
Vous êtes membre de L’Appel au Peuple, mouvement bonapartiste présidé par David Saforcada. Comment définiriez-vous, à l’aune de votre étude, le « Bonapartisme » et quelles formes ce courant d’idée peut-il encore prendre dans la vie politique française actuelle ?
Le bonapartisme est d’abord une doctrine pragmatique qui fait confiance au peuple et à un exécutif fort, démocratiquement légitimé, pour conduire efficacement la nation. Il refuse les clivages partisans artificiels et privilégie l’intérêt national, la modernisation économique et la justice sociale concrète. Aujourd’hui, il peut inspirer des politiques souverainistes modérées, soucieuses d’équilibrer mondialisation et intérêt national, modernisation industrielle et cohésion sociale. Dans notre société marquée par l’abstention et la défiance envers la politique traditionnelle, le bonapartisme peut être une alternative démocratique réaliste, permettant de renouer le lien entre dirigeants et citoyens.
Enfin, comment évaluer l’influence de Napoléon III sur la diplomatie européenne de son temps, et quelles pistes votre livre ouvre-t-il pour comprendre les dynamiques géopolitiques du XIXᵉ siècle ?
Napoléon III fut indéniablement l’un des principaux architectes de la diplomatie européenne. Sa politique a influencé durablement le continent, favorisant la naissance de nouveaux États-nations (Italie, Roumanie), rééquilibrant les rapports de force (Crimée) et ouvrant des perspectives commerciales et stratégiques considérables (Suez). Notre livre suggère que la géopolitique napoléonienne, fondée sur l’idée d’un équilibre européen stable, d’une médiation permanente entre grandes puissances et d’une diplomatie active hors d’Europe, reste instructive à l’heure où l’Europe cherche sa place dans un ordre mondial bouleversé. Cette expérience historique nous rappelle qu’une France active et indépendante peut être à la fois arbitre et acteur majeur des équilibres internationaux.
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