Actuellement plongée dans un marasme économique précédé d’une guerre civile dévastatrice, certes globalement apaisée mais non révolue, la Syrie fait à présent face, depuis le 6 février 2023, aux conséquences dramatiques d’un séisme particulièrement puissant, avec comme simple pansement, une aide étrangère limitée par une émotion de l’Occident, toujours à géométrie variable, et surtout par de lourdes sanctions internationales, renforcées par les États-Unis avec l’entrée en vigueur en 2020 de ladite « Loi César » visant Damas et ses partenaires.
Le séisme et ses conséquences, une cerise sur un gâteau calamiteux
Une secousse puissante de magnitude 7,5 a frappé de plein fouet, dans la nuit du dimanche au lundi 6 février 2023, le sud de la Turquie et le nord de la Syrie, ayant causé dans ce même pays la mort d’environ 5000 personnes, provoquant sur le sol syrien de considérables dégâts tels que des effondrements d’édifices d’habitation civiles principalement à Idlib et autres territoires placés sous la coupe d’Ankara et échappant au contrôle des autorités syriennes mais également à Alep, ville martyre de la Guerre Civile Syrienne dont les traces demeurent toujours existantes, ainsi qu’à Lattaquié, la zone alaouite, jusqu’ici quasiment épargnée par les diverses péripéties qu’enchaîne le pays depuis 2011.
À lire aussi : Séisme en Turquie et en Syrie : la solidarité occidentale à géométrie variable
Certains sites archéologiques syriens classés au patrimoine mondiale de l’UNESCO comme la citadelle d’Alep comme un vestige des croisades à proximité d’Al-Qadmous dans la province de Tartus ont été partiellement endommagés tandis que l’on en sait peu sur le site de Palmyre dont l’accès requiert une autorisation spéciale difficilement délivrée.
Tenant compte du fait que de nombreux quartiers d’Alep, de Homs ou de la Ghouta orientale voir même de villages entiers ruinés par les combats n’ont actuellement pas été reconstruits faute de moyen et dues aux sanctions économiques et diplomatiques occidentales visant la Syrie, et avec pour exceptions quelques civils lambdas ayant opté pour un retour et à l’investissement de leurs propres fonds dans la reconstruction de leur domicile, il est peu probable qu’une reconstruction rapide à la « japonaise » des nouvelles destructions dues au séisme voit prochainement le jour…
D’après des images postées récemment par des internautes sur les réseaux sociaux Snapchat et Instagram, de nombreuses personnes ont fait le choix, dans un cadre de foi religieuse, de se réfugier au sein d’églises et de mosquées perçues comme spirituellement protectrices.
À lire aussi : Qui pleure pour les Syriens ?
Aussi, le manque crucial de place disponible et de matériel médical élémentaire dans les hôpitaux de Syrie plonge davantage le pays et ses habitants dans une impasse interminable d’autant que la dépréciation continue de la Livre Syrienne et l’hyperinflation qu’elle engendre notamment en raison toujours des sanctions et accentuant les difficultés à importer des médicaments, font de l’accès aux soins un luxe au prix généralement très élevé moyennant 5000 euros dans un pays ou le salaire moyen actuel ne dépasse à peine 20 euros mensuels.
Des sanctions persistantes
La loi César promulguée en 2020 à la suite de rapports d’un photographe de la police militaire syrienne accablant Damas et renforçant les sanctions économiques à l’encontre du pouvoir syrien est instrumentalisée par les États-Unis et leurs alliés ayant pour objectif principal d’étouffer la présence iranienne en Syrie, source d’isolement diplomatique du pouvoir de Damas et d’hostilités diverses de la part de l’Occident à son encontre : le pouvoir syrien considère l’Iran comme la puissance régionale ayant les plus forts intérêts stratégiques à s’investir dans un maintien de présence à long terme sur le territoire syrien par un accès à la méditerranée qu’il peut lui offrir soit un vieux rêve perse datant de l’antiquité, mais également aux portes d’Israël que Téhéran souhaite intimider pour gagner en soft-power auprès d’un monde musulman constitué de plus d’un milliard d’individus. En effet, l’Iran a investi plusieurs milliards de dollars dans sa guerre contre les adversaires du pouvoir de Bachar El-Assad… des milliards de dettes que le pouvoir syrien peine à régler par une faible entrée de ressources due principalement toujours aux sanctions, privant ainsi Téhéran d’un retour bénéfique. Cette mainmise de l’Iran sur les territoires syriens et irakiens tend donc à renforcer sa suprématie ce qui de ce fait irrite ses rivaux américains et israéliens qui soit répliqueront par des sanctions ou qui parallèlement tendront leurs mains à Assad pour l’aider à se défaire des chaînes iraniennes.
À lire aussi : Quel impact de la guerre en Ukraine sur l’échiquier Syrien ?
Même s’il est tacitement souhaité par Assad et son allié russe (ne voulant pas d’une présence iranienne pérenne dans la zone et comme j’ai pu m’en apercevoir lors de mon séjours en Syrie en février/mars 2020 – Cf. mon livre, Sommes-nous arrivés à la fin de l’histoire ?, VA Éditions, 2021), ce divorce ne peut s’opérer facilement à cause de la prépondérante dépendance de Damas vis-à-vis de Téhéran notamment par un affaiblissement considérable des forces armées gouvernementales syriennes, épaulées par des milices et groupuscules chiites supplétifs de l’Iran tels que le Hezbollah aux effectifs considérablement élevés par rapport à ceux de l’Armée Arabe Syrienne. Tenter de se détourner de l’Iran reviendrait ainsi pour Damas à se tirer une balle dans le pied : des cadres des services de renseignements syriens qui œuvraient avec l’aide de la CIA et de l’Arabie Saoudite à assouplir l’emprise iranienne afin d’alléger les étouffantes sanctions économiques furent assassinées comme Rustum Ghazalah en avril 2015.
Qui aide la Syrie ?
À contrario de Idlib et autres territoires sous contrôle de l’opposition non soumis à la loi César et bénéficiant d’aides turques et internationales sans fortes difficultés, la partie gouvernementale quant à elle, ne tire d’aides humanitaires que de pays traditionnellement alliés tels que l’Iran, l’Irak, le Liban, et bien sûr et surtout la Russie ou encore le Venezuela qui a envoyé le mardi 7 février 2023, par le biais d’un vol Conviasa charter direct reliant Caracas à Damas, une équipe de médecins et pompiers ainsi que du matériel médical à destination de la Syrie dans le cadre d’une stratégie de diplomatie et soft-power médical et humanitaire quasi-similaire à celle de Cuba, mais encore l’Égypte ou les Émirats Arabes Unis servant de point d’intermédiaire entre Riyad et Damas puis ayant envoyé en Syrie un cargo de médicaments et de matériels médicaux manquants et voyant une certaine nécessité à soigner ses liens économiquement jamais rompu avec le pouvoir syrien afin de l’épauler à se détourner de l’Iran.
Enfin, la diaspora syrienne joue également un rôle par l’entraide familiale ou la création de collecte de fonds par le biais d’associations à destination des victimes du séisme.
Finalement, le point d’équilibre parfait entre le concept de sécurité humaine et celui de sécurité nationale semble difficilement atteignable dans le cas syrien, d’autant que les rapports de force semblent toujours culminer.
À lire aussi : Séisme turco-syrien, quand la géopolitique se rappelle à son bon souvenir…
Cependant, la Turquie, n’étant pas ciblée par des sanctions internationales pesantes contrairement à la Syrie et qui n’a pourtant jamais été tendre avec l’Europe ces dernières années, a pu bénéficier d’un afflux d’aides internationales de manière plus ou moins fluide. Il n’en en demeure pas moins que le séisme se soit montré bien plus « indulgent » à l’encontre de la Syrie où le nombre de victimes est trois fois inférieur à celui de la Turquie soit 15000 morts en Turquie contre 5000 en Syrie et où l’endommagement des sites historiques est moindre : le château de Gaziantep s’est totalement effondré à l’inverse de la citadelle d’Alep qui de son côté n’est que peu atteinte.
De son côté israélien, le Premier ministre, Benyamin Nétanyahou, avait annoncé lundi avoir « approuvé » l’envoi d’une aide à la Syrie, après une demande de Damas reçue par des canaux « diplomatiques secrets », les deux pays n’ayant pas de relations officielles. Cette annonce a bien évidemment été démentie par le pouvoir Syrien. Or qui connait la région et ses coulisses, il est fort probable que cette aide inentendue soit tout de même concrétisée, d’une manière ou d’une autre, mais dans tous les cas, de façon très discrète…
Roland Lombardi est docteur en Histoire, géopolitologue, spécialiste du Moyen-Orient et des questions de sécurité et de défense. Fondateur et directeur de la publication du Diplomate.
Il est chargé de cours au DEMO – Département des Études du Moyen-Orient – d’Aix Marseille Université et enseigne la géopolitique à Excelia Business School de La Rochelle.
Il est régulièrement sollicité par les médias du monde arabe. Il est également chroniqueur international pour Al Ain. Il est l’auteur de nombreux articles académiques de référence notamment : « Israël et la nouvelle donne géopolitique au Moyen-Orient : quelles nouvelles menaces et quelles perspectives ? » in Enjeux géostratégiques au Moyen-Orient, Études Internationales, HEI – Université de Laval (Canada), VOLUME XLVII, Nos 2-3, Avril 2017, « Crise du Qatar : et si les véritables raisons étaient ailleurs ? », Les Cahiers de l’Orient, vol. 128, no. 4, 2017, « L’Égypte de Sissi : recul ou reconquête régionale ? » (p.158), in La Méditerranée stratégique – Laboratoire de la mondialisation, Revue de la Défense Nationale, Été 2019, n°822 sous la direction de Pascal Ausseur et Pierre Razoux, « Ambitions égyptiennes et israéliennes en Méditerranée orientale », Revue Conflits, N° 31, janvier-février 2021 et « Les errances de la politique de la France en Libye », Confluences Méditerranée, vol. 118, no. 3, 2021, pp. 89-104. Il est l’auteur d’Israël au secours de l’Algérie française, l’État hébreu et la guerre d’Algérie : 1954-1962 (Éditions Prolégomènes, 2009, réédité en 2015, 146 p.). Co-auteur de La guerre d’Algérie revisitée. Nouvelles générations, nouveaux regards. Sous la direction d’Aïssa Kadri, Moula Bouaziz et Tramor Quemeneur, aux éditions Karthala, Février 2015, Gaz naturel, la nouvelle donne, Frédéric Encel (dir.), Paris, PUF, Février 2016, Grands reporters, au cœur des conflits, avec Emmanuel Razavi, Bold, 2021 et La géopolitique au défi de l’islamisme, Éric Denécé et Alexandre Del Valle (dir.), Ellipses, Février 2022. Il a dirigé, pour la revue Orients Stratégiques, l’ouvrage collectif : Le Golfe persique, Nœud gordien d’une zone en conflictualité permanente, aux éditions L’Harmattan, janvier 2020.
Ses derniers ouvrages : Les Trente Honteuses, la fin de l’influence française dans le monde arabo-musulman (VA Éditions, Janvier 2020) – Préface d’Alain Chouet, ancien chef du service de renseignement et de sécurité de la DGSE, Poutine d’Arabie (VA Éditions, 2020), Sommes-nous arrivés à la fin de l’histoire ? (VA Éditions, 2021), Abdel Fattah al-Sissi, le Bonaparte égyptien ? (VA Éditions, 2023).
Vous pouvez suivre Roland Lombardi sur les réseaux sociaux : Facebook, Twitter et LinkedIn