Au début de la crise ukrainienne en janvier 2022 et même après l’invasion russe commencée le 24 février 2022, Emmanuel Macron, qui venait d’accéder à la présidence du Conseil de l’Union européenne, semblait vouloir maintenir le dialogue avec Moscou et s’imposer comme médiateur de la paix. Il avait même déclaré alors, à contre-courant de l’hystérie naissante anti-russe de ses alliés occidentaux, que « la France n’était pas en guerre avec la Russie » ! Or, très vite, les déclarations de ses ministres des Affaires étrangères, des Armées et de l’économie se sont révélées pourtant en contradiction avec cette volonté apparente. Et le président français a fini lui-même par se soumettre, contre les intérêts de la France, à la stratégie inconséquente et irréaliste de l’UE et surtout des Etats-Unis. C’est ainsi qu’Emmanuel Macron a donc raté piteusement une formidable occasion de faire revenir la France dans l’Histoire…
Fin janvier 2022 et alors que les tensions à propos de l’Ukraine sont en train de s’exacerber, et malgré les premiers échanges téléphoniques entre le président français et Vladimir Poutine ainsi qu’avec son homologue ukrainien, Zelensky, la ministre des Armées de l’époque, Florence Parly avait déclaré que « la France était prête, si l’Otan le décidait, à déployer des éléments militaires en Roumanie », évoquant « plusieurs centaines » d’hommes, « pour pouvoir contribuer » à une « réassurance » dans ce pays frontalier de l’Ukraine et de cette région menacée par la Russie.
Dès le lendemain de la sortie de la ministre française, emboîtant le pas à son homologue d’outre-Rhin issue des très atlantistes Verts allemands, le ministre français des Affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian, s’était fendu dans un entretien au Journal du Dimanche (JDD)d’une déclaration on ne peut plus ferme : « Toute atteinte nouvelle à l’intégrité territoriale de l’Ukraine aura des conséquences massives. On ne peut pas être plus clair. Ma collègue allemande a dit ‘pas un pas de plus’, je fais mienne cette expression ! ». L’ancien chef de la diplomatie avait également rappelé la stratégie française, reposant sur trois axes : la fermeté avec la Russie, la solidarité avec l’Ukraine et le dialogue. Tout en martelant et promettant que tout manquement de Vladimir Poutine entraînerait « des conséquences graves » et aboutirait « à des sanctions massives ».
Quelques jours après le déclenchement du conflit, et bien que les échanges entre l’Élysée et le Kremlin sont toujours en cours, le ministre français de l’Économie d’alors, Bruno Le Maire affirme : « Nous allons provoquer l’effondrement de l’économie russe ! ». Des propos violents qui apparaissent alors comme totalement déconnectés des réalités et qui surtout, resteront dans les annales des bêtisiers de notre personnel politique si prompt à se ridiculiser !
Pourquoi donc ces sorties bellicistes des membres les plus importants du gouvernement et qui étaient de plus en totale contradiction avec la tentative, toujours d’actualité à l’époque, de dialogue et de médiation du président français avec Poutine ? Couac de l’exécutif, jeu de rôle ou tactique diplomatique concertée du « bon et mauvais flic » ou encore simples initiatives personnelles de ministres en « services commandés » par des forces occultes plus influentes que le locataire de l’Élysée ?
Impossible de savoir. Ce qui est certain c’est que cette posture de la France était pour le moins incohérente. Ce que n’avait sans doute pas manqué de rappeler le président russe à Emmanuel Macron lors de leurs derniers entretiens téléphoniques de l’année dernière…
Quoi qu’il en soit, elle fut surtout le meilleur moyen de braquer les Russes et, à cause de leur francophilie historique, de finir pour de bon de les décevoir et littéralement les écœurer au sujet de la France et de ce qu’elle est devenue…
L’occasion manquée pour la France de revenir dans l’Histoire
Pourtant, si la France avait voulu vraiment jouer un rôle et renouer avec sa grandeur et sa tradition d’indépendance diplomatique (certes depuis longtemps oubliées malheureusement), elle le pouvait. Et ce n’était pas de la science-fiction !
Aussi simple et étonnant que cela puisse paraître, elle aurait pu même être la grande faiseuse de paix dans cette nouvelle guerre en plein cœur de l’Europe.
Pour cela, il aurait suffi que Paris annonça solennellement, en tant que membres de l’OTAN – et non des moindres ! – et comme le prévoit ses statuts, qu’elle s’opposait officiellement à l’adhésion de l’Ukraine, tout en œuvrant pour que ce pays obtienne un statut de neutralité. D’ailleurs, un point de la charte de l’Organisation prévoit également la possibilité de refuser l’intégration d’un nouveau membre si celui-ci est confronté à des tensions ou des conflits territoriaux… Idem pour une éventuelle adhésion à l’Union européenne…
Moscou, qui n’envisageait pas raisonnablement une invasion totale de l’Ukraine, aurait assurément reculé d’un pas (en quelques semaines l’armée russe occupait déjà 30 % du territoire ukrainien), puisque sa principale exigence était ainsi reconnue. Certes la France se serait attirée les foudres de Bruxelles et surtout de Washington, mais elle aurait été de nouveau écoutée et prise au sérieux par les Russes et les 3/5e de la planète qui ont refusé de suivre les Américains pour sanctionner la Russie…
En parallèle, pour rassurer et calmer les pays de l’Union européenne les plus à l’est et inquiets légitimement par la Russie, comme la Pologne, la France pouvait alors également entreprendre une révolution copernicienne en apportant son soutien franc et massif dans leur intransigeante et réaliste politique anti-migratoire, ce qui est loin d’être le cas actuellement…
Au lieu de cela, nous avons assisté en direct à une nouvelle soumission de nos élites à leurs maîtres américains qui ont sacrifié jusqu’ici des vies ukrainiennes à leurs propres intérêts (en sabotant toute tentative diplomatique de résolution du conflit) et étaient prêts à faire jouer à nos soldats le rôle de simples supplétifs dans un conflit où nous avions plus à perdre qu’à y gagner et surtout aucun enjeu vital à défendre. Ce suivisme atlantiste aveugle nous avait pourtant déjà fait perdre tout crédit auprès d’une Russie, un allié historique et qui elle, était l’un de nos plus importants partenaires commerciaux (il n’y a qu’à voir, entre autres, les préjudices causés à notre agriculture après les sanctions occidentales votées contre Moscou en 2014). Mais qui était également, même si nos responsables ne l’ont jamais compris, notre seul et véritable allié objectif et stratégique contre l’islam politique et le terrorisme jihadiste en Méditerranée et au Moyen-Orient, là où se trouvent nos vrais défis géostratégiques. À force de mordre à chaque fois la main que nous tendent les Russes, dans tous les domaines, pour simplement faire plaisir à Washington, il n’est pas étonnant de les voir, par exemple aujourd’hui, nous pousser toujours un peu plus hors de notre pré-carré africain…
Encore une fois, nos dirigeants semblaient avoir oublié que l’OTAN, jugée il n’y a pas si longtemps par le président français comme en état de « mort cérébrale », n’avait pas bouger le petit doigt lorsque la France, Chypre et la Grèce étaient littéralement agressées en 2019/2020 par la Turquie d’Erdoğan… un autre membre de l’Alliance !
Oublié aussi, le « coup de Trafalgar » porté à la France par les États-Unis, qui, en septembre 2021, avaient forcé la rupture du mirifique contrat (90 milliards de dollars australiens soit 56 milliards d’euros comprenant la commande de 12 sous-marins à propulsion classique de la classe Barracuda au groupe français Naval Group) signé avec Canberra pour prendre tout bonnement la place de Paris !
Non décidément, alors même qu’à plusieurs reprises, au début de son invasion et fort de ses succès militaires initiaux en dépit de quelques erreurs d’appréciations tactiques, Moscou avait accepté – encore aujourd’hui ! – toutes les médiations (turque, israélienne, saoudienne, chinoise…), nos responsables ont préféré, en bons vassaux et à l’encontre des propres intérêts français, se ranger du côté de ses « alliés » les moins fiables et engagés dans une politique antirusse idéologique en Ukraine comme ailleurs.
Pathétique et consternant.
Le triste et inexorable déclassement de la France
Emmanuel Macron a toujours affirmé pourtant vouloir renouer avec l’héritage gaullien, notamment vis-à-vis de la Russie, mais il ne s’en est jamais donné les moyens. En avait-il au moins la liberté ou même l’envie et la volonté ? Pas sûr…
Au final, il est aujourd’hui certain que l’initiative du président français au sujet de l’Ukraine n’aura été qu’une énième gesticulation de sa légendaire diplomatie-spectacle stérile (en février 2022, il était d’autant plus en campagne pour sa réélection) et assurément un nouveau fiasco qui nous aura fait définitivement sortir de l’Histoire et des grands dossiers internationaux, comme déjà au Moyen-Orient, en Syrie, en Libye, au Liban, dans le conflit israélo-palestinien, en Méditerranée et à présent en Afrique…
Dernière preuve de l’effacement et du déclassement de la France sur la scène internationale, la dernière visite du président Macron en Chine. Ce dernier s’est permis une nouvelle leçon de morale aux dirigeants chinois en les prévenant que soutenir « l’agresseur » russe reviendrait à se rendre « complice ». Heureusement que le ridicule ne tue pas ! Autre symbole affligeant : lors de sa visite à Pékin, outre la présence à ses côtés des grands patrons français, le président français était accompagné… d’Ursula von der Leyen !
De deux choses l’une : ou bien Emmanuel Macron a sollicité, par faiblesse et dépendance, la présence à ses côtés de la présidente de la Commission européenne ou celle-ci s’est imposée afin de le chaperonner et le surveiller. Dans les deux cas, l’aliénation du président français est patente. La France est donc aujourd’hui clairement sous tutelle et n’a plus voix au chapitre dans les affaires du monde !
L’histoire nous rappelle pourtant que la France n’est jamais aussi grande, respectée et écoutée que lorsqu’avec panache, elle est rebelle et insolente. Malheureusement, pour cela, il faut que ses chefs soient courageux et indépendants ! Une espèce actuellement en voie de disparition…
Car il n’y a rien à attendre des politiciens, aux mains et aux esprits liés, qui nous gouvernent. Sans courage, empêtrés dans de multiples conflits d’intérêts personnels, toujours sous influences diverses, soumis aux « puissances de l’argent » et aux ordres de l’ « État profond » atlantiste du Quai d’Orsay (dixit Macron en 2019), nos « petits télégraphistes » de Washington ou de Bruxelles, feront ainsi à chaque fois passer les intérêts supérieurs des Français et de la nation au second plan. Tout en écornant inexorablement l’image et l’aura de la France sur la scène internationale…
Roland Lombardi est docteur en Histoire, géopolitologue, spécialiste du Moyen-Orient et des questions de sécurité et de défense. Fondateur et directeur de la publication du Diplomate.
Il est chargé de cours au DEMO – Département des Études du Moyen-Orient – d’Aix Marseille Université et enseigne la géopolitique à Excelia Business School de La Rochelle.
Il est régulièrement sollicité par les médias du monde arabe. Il est également chroniqueur international pour Al Ain. Il est l’auteur de nombreux articles académiques de référence notamment : « Israël et la nouvelle donne géopolitique au Moyen-Orient : quelles nouvelles menaces et quelles perspectives ? » in Enjeux géostratégiques au Moyen-Orient, Études Internationales, HEI – Université de Laval (Canada), VOLUME XLVII, Nos 2-3, Avril 2017, « Crise du Qatar : et si les véritables raisons étaient ailleurs ? », Les Cahiers de l’Orient, vol. 128, no. 4, 2017, « L’Égypte de Sissi : recul ou reconquête régionale ? » (p.158), in La Méditerranée stratégique – Laboratoire de la mondialisation, Revue de la Défense Nationale, Été 2019, n°822 sous la direction de Pascal Ausseur et Pierre Razoux, « Ambitions égyptiennes et israéliennes en Méditerranée orientale », Revue Conflits, N° 31, janvier-février 2021 et « Les errances de la politique de la France en Libye », Confluences Méditerranée, vol. 118, no. 3, 2021, pp. 89-104. Il est l’auteur d’Israël au secours de l’Algérie française, l’État hébreu et la guerre d’Algérie : 1954-1962 (Éditions Prolégomènes, 2009, réédité en 2015, 146 p.). Co-auteur de La guerre d’Algérie revisitée. Nouvelles générations, nouveaux regards. Sous la direction d’Aïssa Kadri, Moula Bouaziz et Tramor Quemeneur, aux éditions Karthala, Février 2015, Gaz naturel, la nouvelle donne, Frédéric Encel (dir.), Paris, PUF, Février 2016, Grands reporters, au cœur des conflits, avec Emmanuel Razavi, Bold, 2021 et La géopolitique au défi de l’islamisme, Éric Denécé et Alexandre Del Valle (dir.), Ellipses, Février 2022. Il a dirigé, pour la revue Orients Stratégiques, l’ouvrage collectif : Le Golfe persique, Nœud gordien d’une zone en conflictualité permanente, aux éditions L’Harmattan, janvier 2020.
Ses derniers ouvrages : Les Trente Honteuses, la fin de l’influence française dans le monde arabo-musulman (VA Éditions, Janvier 2020) – Préface d’Alain Chouet, ancien chef du service de renseignement et de sécurité de la DGSE, Poutine d’Arabie (VA Éditions, 2020), Sommes-nous arrivés à la fin de l’histoire ? (VA Éditions, 2021), Abdel Fattah al-Sissi, le Bonaparte égyptien ? (VA Éditions, 2023).
Vous pouvez suivre Roland Lombardi sur les réseaux sociaux : Facebook, Twitter et LinkedIn