Séisme géopolitique…

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La chronique de Marc Fromager


Un ancien ministre des Affaires étrangères du Liban a qualifié l’accord entre l’Arabie
Saoudite et l’Iran, sous l’égide de la Chine, de “séisme géopolitique”. Il est vrai que l’actualité
de ces dernières années ne nous avait pas préparé à cela. Une telle réconciliation – parlons
déjà de dégel – devrait avoir des répercussions importantes au Proche-Orient, dont
certaines sont déjà visibles : reprise de relations diplomatiques avec réouverture prochaine
des ambassades entre l’Arabie Saoudite et l’Iran mais aussi avec la Syrie qui devrait faire son
retour au sein de la Ligue Arabe, apaisement réel au Yémen avec plusieurs échanges de
prisonniers sunnites (soutenus par l’Arabie Saoudite) et chiites (soutenus par l’Iran),
consolidation des liens entre l’Arabie Saoudite et l’Irak, mais que se passe-t-il donc au
Proche-Orient ?
L’Arabie Saoudite semble mettre fin à tous ses conflits pour se tourner vers son propre
développement. Certes, une partie de ces rapprochements sont à mettre au crédit de la
Chine, qui a besoin de paix pour sécuriser et développer ses Routes de la Soie mais l’on voit
bien qu’il y a une véritable dynamique saoudienne pour rebattre les cartes dans la région.
Quel impact cela aura-t-il pour les populations du Proche-Orient, y compris les chrétiens
d’Orient ? Nous aurons l’occasion d’en reparler.
Pour en terminer avec l’Arabie Saoudite, on apprend qu’après Ronaldo et Messi, le pays
cherche à attirer 50 autres stars du ballon rond, une destination visiblement de plus en plus
courue.
La Syrie semble donc redevenir fréquentable. Visites d’une délégation libanaise et du chef
de la diplomatie égyptienne à Damas, réception de Bachar el-Assad à Mascate et Abu Dhabi,
invitation probable pour ce dernier à se rendre à Riyad le mois prochain, rétablissement des
relations diplomatiques avec la Tunisie, il faut espérer que cette nouvelle fréquentabilité
permettra à la population syrienne, épuisée par douze années de guerre et de sanctions qui
se poursuivent, le tout couronné par le séisme du 6 février dernier, de reprendre souffle.
Au Liban qui paraît plus faible que jamais après près d’un demi-siècle de guerre – la guerre
civile y a commencé le 13 avril 1975 – on espère donc des retombées positives de ce
nouveau contexte, malgré une recrudescence de violences dans le sud avec plus d’une
trentaine de roquettes tirées depuis le Liban vers Israël qui a riposté. La rencontre au Liban
des chefs du Hezbollah pro-iranien, Hassan Nasrallah, et du Hamas palestinien, Ismaïl
Haniyeh, évoquant un « axe de la Résistance » fait craindre une montée de la tension.
Ces actions ont été condamnées par les évêques maronites du Liban qui les ont qualifiées de
“tentatives visant à transformer le Sud en une boîte aux lettres ».
L’Iran pourrait être le grand gagnant de cette apaisement régional, même si le pays observe
de près la tension sur sa frontière nord : les 20 millions d’Azéris qui vivent au nord de l’Iran
pourraient faire partie de l’ambitieux plan turco-azerbaïdjanais visant à connecter tous les
peuples turcs et dont l’Arménie se trouve être un des derniers obstacles.
Pendant ce temps, la répression se poursuit en Iran avec des exécutions par pendaison qui
ont augmenté de 75% en 2022, une moyenne de 11 personnes par semaine. Le pays installe
des caméras pour repérer les femmes ne portant pas le hijab, un mouvement qui se répand

depuis la mort de Mahsa Amini l’an dernier, accusée d’avoir porté le voile de manière
inappropriée et morte en détention.
Selon les chiffres publiés par le FMI, la dette publique iranienne aurait baissé d’environ 19%
en 2022 pour s’établir à 34% du PIB, et ce malgré les sanctions américaines qui pèsent sur
l’Iran (on estime leur nombre à 1500).
En Irak, les cloches de Notre Dame de l’Heure ont recommencé à sonner à Mossoul le 7
mars, comme pour signifier que les vingt années de guerre depuis l’intervention américaine
commencée le 19 mars 2003, n’auraient pas le dessus en dépit de la destruction massive du
pays. Les Nations Unies viennent de déclarer que jusqu’à un million de personnes avaient
« disparu » en Irak au cours du dernier demi-siècle : 290 000 personnes, dont 100 000
Kurdes, vicitmes de la « campagne génocidaire » de Hussein entre 1968 et 2003, capture
ensuite d’au moins 200 000 Irakiens par les Etats-Unis puis vague d’enlèvements par l’Etat
islamique.
Un récent sondage de Gallup International mené en Irak illustre cet abîme : 25% des Irakiens
souhaitent quitter le pays et 60% estiment que la situation de l’Irak est pire aujourd’hui
qu’elle ne l’était avant 2003, du temps de Saddam Hussein.
Cela étant, on apprend que l’Irak vit un mini-boom touristique avec, en 2021, plus de 100
000 touristes venus de France, des Etats-Unis ou même de Norvège, contre 30 000 l’année
d’avant. Parler de tourisme sur les décombres d’un charnier à ciel ouvert pourrait sembler
déplacé, nous pourrions retenir le terme de visiteurs. Depuis quelques années déjà, SOS
Chrétiens d’Orient accompagne des pèlerins venus rendre visite à leurs frères en Irak, une
action militante et pionnière donc.
En Egypte, la situation économique se dégrade avec un taux d’inflation qui a bondi en ce
mois de mars à 32,7%, augmentation essentiellement favorisée par une hausse des prix
alimentaires et une dévaluation continue de la livre égyptienne. Rassurons-nous : Maître
Gims nous appris que les pyramides produisaient de l’électricité, ce qui devrait rétablir les
comptes. De son côté, Netflix nous propose une Cléopâtre noire alors que nous savons
qu’elle était grecque.
La situation au Soudan semble davantage préoccuper les autorités égyptiennes, certains y
voyant une guerre par procuration entre l’Egypte et l’Ethiopie, la tension croissante étant
liée à la construction par l’Ethiopie du grand barrage de la Renaissance sur le Nil qui pourrait
menacer en aval l’approvisionnement en eau de l’Egypte (et du Soudan).
Mais la tentative de coup d’Etat – ou début de guerre civile – qui a eu lieu cette semaine
oppose sans doute d’autres acteurs. D’un côté, nous avons l’armée, dirigée par le général
Abdel Fattah Al Burhan, et de l’autre, le général Mohamed Hamdan Dagalo, connu sous le
nom de Hemedti, qui dirige les Forces de soutien rapide (FSR), le premier, plutôt proche des
Egyptiens et des Américains, le second soutenu par les Russes. A suivre …
Pendant ce temps, l’Inde devrait devenir dans les prochains jours le pays le plus peuplé du
monde. Lorsque l’on sait que dans le Pakistan voisin, le recensement dans certaines zones
reculées se fait à dos de chameau, on peut toujours avoir des doutes sur la fiabilité des
données mais le basculement est inévitable, la Chine perdant déjà de la population.

Même les tigres en Inde semblent s’en réjouir : cette espèce menacée vient de dépasser les
3000 en Inde. « Notre famille s’agrandit » s’est exclamé Narendra Modi, Premier ministre
indien qui a parlé d’un « moment de fierté » !
Terminons sur une bonne nouvelle, encore une : après plus de 380 000 victimes et l’une des
pires crises humanitaires de ces dernières années, la visite d’une délégation saoudienne il y
a quelques jours à Sanaa, capitale du Yémen, semble augurer de la fin de ce conflit débuté
en 2014. Cette chronique a commencé avec l’évocation de ce séisme géopolitique. Des
bonnes nouvelles du Proche-Orient, on en redemande !

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