Julien Aubert
En cette fin d’année 2023, le monde vit et suit, tenu en haleine, deux guerres en simultané, sans que chacun de ces conflits ne soit totalement indépendants de l’autre même s’ils n’ont a priori aucun lien territorial. Je veux parler du conflit en Ukraine et du conflit entre Israël et le Hamas.
Suivre du reste est une approximation sémantique. En réalité, l’attention de l’oncle Sam et de l’UE oscille entre l’un et l’autre de ces deux conflits, sans que l’Occident soit capable de mener les deux de front, politiquement et militairement. Tout ceci fait quelques heureux – comme Vladimir Poutine, brutalement revenu dans l’ombre, hors des projecteurs. Tout ceci fait deux victimes, puisque, passé l’émotion, cette situation met en concurrence deux leaders : Volodimir Zelensky et Benyamin Netanyahou.
On pourrait insister sur ce qui les rapproche et lister les convergences, qui sont au nombre de sept.
(1) L’un et l’autre ont été frappés par une attaque soudaine qui a créé une onde de choc dans leurs pays respectifs, et un mouvement de sympathie puissant. En France, la tour Eiffel s’est ainsi parée de bleu et jaune le 23 février 2023 et de bleu et blanc le 9 octobre 2023.
(2) L’un et l’autre sont juifs mais sont accusés de « nazisme ». Dans une chronique au vitriol fort contestée sur France Inter, le dirigeant israélien a par exemple été qualifié de « nazi sans prépuce » au motif des pertes civiles enregistrées dans la bande de Gaza, faisant ainsi écho aux critiques du monde arabo-musulman qui voit le peuple palestinien comme la véritable victime. De son coté, Poutine a accusé Zelensky d’être un nazi en pointant notamment la réputation du bataillon Azov, qualifié de néo-nazi.
(3) L’un et l’autre bataillent pour l’intégrité territoriale de leur pays, clé de leur survie en tant qu’Etat, avec la difficulté qu’une partie de ce territoire est majoritairement peuplé par une autre nation (pour l’Ukraine : les régions de Donetsk et Louhansk sont russophones et avaient fait sécession ; pour la Cisjordanie et Gaza : le peuple palestinien), et que les frontières géographiques ont été fluctuantes au cours de l’Histoire ;
(4) L’un et l’autre présentent leur pays comme l’avant-poste de la démocratie face à des civilisations qui veulent détruire l’Occident ;
(5) L’un et l’autre tentent de composer avec des dirigeants militaires, qui ne partagent pas forcément soit leur optimisme (le commandant en chef ukrainien Valeri Zaloujny a parlé d’impasse militaire), soit leur vision (les responsables de l’armée israélienne sont ulcérés par l’incompétence des ministres nommés par Benyamin Netanyahou à des postes régaliens aujourd’hui vitaux) et qui le font savoir.
(6) Les deux leaders ont désespérément besoin de Washington pour tenir dans cette guerre, qui est aussi une épreuve mentale et une bataille de communication mondiale. On pourrait penser qu’Israël est plus forte que le Hamas, et que la relation est donc inversée par rapport à celle qui existe entre le Goliath russe et le David Ukrainien. Il n’en est rien, au moins dans la tête de Tel-Aviv, qui se conçoit comme un petit bout de judéité et d’Occident dans un océan moyen-oriental arabisé et musulman.
En réalité, c’est le septième point qui est le plus intéressant : l’un et l’autre misent beaucoup sur une victoire militaire, sans jamais vraiment réfléchir à une sortie politique du conflit. Or, la contre-offensive ukrainienne a été un échec et la situation au front ressemble de plus en plus à celle qui prévalait en 1915-1917, lorsque les armées, terrées dans les tranchées, lançaient des offensives coûteuses en vies pour gagner quelques arpents de terre. De son coté, même si le Hamas était détruit, le Premier ministre israélien n’a plus d’interlocuteur à part une Autorité palestinienne complètement démonétisée, avec un problème politique à moyen terme sur les bras : les territoires occupés ne pourront pas rester une zone grise juridique longtemps. Soit, ils accèdent à une vraie indépendance, soit Tel-Aviv les annexe mais il faudra en tirer les leçons en termes de droit de vote pour les arabes qui y vivent.
Pour Benyamin Netanyahou comme pour Zelensky, la lucidité devra conduire à un moment d’abandonner la rhétorique sur la civilisation et de négocier sur la terre. Ils ont le choix de faire ceci à l’ombre de Biden ou de tenter un pari en prolongeant le conflit jusqu’aux prochaines élections américaines. Mais si Trump devait être élu, comment réagira celui qui professait sa grande admiration pour Poutine et qui a suscité les accords d’Abraham tout en projetant d’attaquer l’Iran ?