Les fausses pistes du Président français

Photo : Présidence de la République / Montage Le Diplomate

Emmenés par le Président de la République, qui leur joue de plus en plus, tels les enfants de Hamelin dans le célèbre conte de Grimm, l’air du joueur de flûte, les français regardent le doigt sans regarder la lune, ou plutôt les lunes, puisqu’il y en a deux.

Les lunes, ce sont la situation internationale d’une part, la situation de la France d’autre part. Le doigt, c’est l’Ukraine.

L’Ukraine, malgré les simagrées et les « narratifs » de plus en plus laborieux des médias de l’oligarchie, n’est plus le sujet d’aujourd’hui, mais celui d’hier. La supériorité russe est patente dans tous les domaines. L’armée ukrainienne est aux abois, et son âge moyen, aujourd’hui de 45 ans, ne lui permettra plus aucune contre-attaque d’envergure, malgré armes, munitions (que nous n’avons plus), crédits (que nous ne voulons plus donner), ou supplétifs étrangers (qui sont frappés par un missile dès qu’ils posent leurs bagages dans le pays). Ce que les occidentaux ont mis 8 ans à construire, entre 2014 et 2022, à coups de milliards, sous l’égide du PPP (le « Partenariat pour la Paix », l’alliance Ukraine-OTAN), et que les russes ont détruit dès le début de la guerre, puis lors de la contre-attaque kiévienne, ne sera pas remis sur pied en quelques mois, et qui plus est sous le feu de l’ennemi. Cette guerre est d’ores et déjà perdue, tous les experts le savent. Les seules choses qui retardaient jusqu’ici l’hallali étaient la présidentielle russe (qui est maintenant passée), la fin de la « raspoutitsa », qui empêche pour l’instant les troupes russes de manœuvrer, et la prudence du commandement militaire et du Président russe, qui attendent que les capacités d’artillerie et les lignes de défense ennemies soient vraiment amoindries pour permettre une attaque tranchante, sans risquer la vie de trop de soldats.

Si la guerre est finie, pourquoi donc, dira-t-on, ne cesse-t-on d’en parler ? Pour deux raisons principales : la première, c’est qu’il s’agit de masquer la défaite, d’autant plus que l’on a, conformément à la politique de « narratifs » imposée par le « parrain » américain, annoncé très imprudemment, jusqu’ici, la victoire comme certaine. Le KO qui se profile, et le discrédit qui ira avec, ne seront que plus difficiles à encaisser. « Il n’est pas question de se faire mettre en culottes courtes », ne cesse-t-on de répéter, et ceci d’autant plus qu’on y est bel et bien…

Mais l’autre raison est bien plus importante : il s’agit de masquer la question prochaine, qui va obligatoirement se poser : « Que faire, dorénavant, de l’OTAN, puisqu’il a failli à sa mission » ?  Or cette question est existentielle pour les USA, puisqu’elle porte en elle le principe même de la domination américaine sur l’Europe depuis 1945. Depuis l’échec de l’AMGOT, magistralement organisé dès le Débarquement par De Gaulle, puis sa tentative avortée d’indépendance européenne avec le Traité de l’Élysée, en 1963, l’emprise américaine sur la petite, mais riche péninsule eurasiatique n’a cessé de se renforcer, et la guerre d’Ukraine a fourni finalement l’occasion d’un dernier et très puissant « tour de vis » militaire, politique, médiatique, économique, auquel aucun pays européen, sauf la Hongrie, n’a osé résister. Cette faiblesse extrême de nos États va permettre aux USA (et pourquoi s’en priveraient-ils ?) un « pillage » des ressources de sa « province », devenue aujourd’hui son garde-manger. Nous risquons de vivre, mutatis mutandis, l’équivalent de la « décennie Eltsine » ultralibérale, où la Russie a été mise à sac par ses oligarques, avec la complicité des USA, et une baisse du niveau de vie des russes de 40%.  

Pour empêcher que cette question essentielle se pose, et que la domination américaine ne soit remise en cause, il s’agit, préventivement, de justifier l’OTAN par tous les moyens. Le premier d’entre eux consiste à terroriser l’Europe, en répétant sur tous les tons « Les russes sont à nos portes ! ». Dans cette même veine, les accords bilatéraux de défense des pays européens avec l’Ukraine, en prélude à une future adhésion de ce pays à l’OTAN, permettront, pense-t-on, de retarder une issue pacifique du conflit et de maintenir le plus longtemps possible une plaie politique purulente entre l’Europe et la Russie. Ainsi sera rendue impossible une réconciliation à long terme avec ce pays. En même temps, l’hystérisation de l’Europe sera permanente. Si, en plus, ce sont les européens qui portent, désormais, l’essentiel du fardeau financier de cette guerre, ainsi que, comme le souhaite Trump, celui de la charge de l’OTAN, les USA auront gagné au moins cette partie (non dite !) de la guerre d’Ukraine, celle contre l’Europe, de manière magistrale. Pendant que nos « maîtres » nous vendront l’énergie à prix d’or, ainsi que leur matériel de défense, et qu’ils achèteront ou nous pousseront à délocaliser chez eux tout ce qui les intéresse, nous paierons pour rester en cage, et même pour les frais de notre geôlier !

Si l’on met ces perspectives, bien sombres, et cette stratégie d’hystérisation de l’Europe en regard des propos d’Emmanuel Macron, force est de constater qu’il s’y conforme parfaitement, à la différence près qu’il va plus loin, et sans doute trop loin. En effet, il n’est pas équivalent de dire « les russes sont à nos portes » ou de dire « nous allons envoyer nos « mecs » à Odessa » (propos rapportés par le Monde). Dans un cas, on prend acte d’un danger, réel ou supposé, pour l’Europe, dans l’autre cas, on va chatouiller le museau de l’ours russe. C’est cette différence, probablement, et cette flagrante imprudence, qui ont provoqué les réactions négatives de nos partenaires européens et même américain. 

Mais Macron n’en a cure. Pour lui, cette « saillie » avait un autre objet, bien plus important encore que de faire le jeu de l’Oncle Sam. En effet, depuis sa seconde élection, il « patine ». Il n’a pas trouvé de forte cause pour donner corps à son quinquennat. De plus, il doit impérativement détourner l’opinion des très nombreux problèmes de la France, dont la séquence désastreuse du Salon de l’Agriculture a été le summum. Par ailleurs, il a toujours été très fort pour exploiter les vieilles peurs primales : peur bourgeoise des jacqueries populaires, peur des grandes épidémies, peur des « barbares de l’est », huns, cosaques ou uhlans. Chaque fois qu’il a été enfermé politiquement par le mécontentement contre sa politique, il a pu retourner les majorités inquiètes contre des boucs émissaires bien choisis : Gilets Jaunes, non vaccinés, et aujourd’hui « pacifistes », qu’il traitera de lâches et de traîtres. C’est déjà commencé. De plus, cet argument lui permet de se poser comme le « rempart » contre le RN, une posture qui va l’aider à cliver la vie politique à droite, et à empêcher que grandissent d’autres jeunes pousses. C’est une méthode qu’il a déjà appliquée avec succès. Par rapport à tous ces objectifs de politique interne, la stratégie médiatique choisie face à la défaite attendue de l’Ukraine apporte donc une excellente solution.

Les français se laisseront-ils, une fois de plus, « rouler dans la farine » ? Il semble que cette fois-ci, une partie d’entre eux ait bien éventé la supercherie. Mais qu’en sera-t-il lorsque les russes seront à Odessa ? On aura beau expliquer à nos compatriotes que Poutine a bien meilleur temps d’exploiter sa situation économique exceptionnelle, et de développer grandement son pays, plutôt que d’attaquer l’Europe et de se mettre sur le dos une guerre mondiale, le croiront-ils ? Nul ne peut le dire !

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