Trahison Or Noir : Opération fictive de la CIA sur le commerce du Pétrole

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L’invasion de l’Ukraine par la Russie en février 2022, ainsi que le conflit qui s’est intensifié au Moyen-Orient au cours des six derniers mois, ont entraîné une perturbation majeure du commerce international et des marchés mondiaux. Les restrictions imposées aux exportations de céréales ukrainiennes et les sanctions affectant les marchés pétroliers mondiaux ont introduit de nombreux changements significatifs, bouleversant l’ordre déjà complexe des marchés. Ces bouleversements ont – comme il est fréquent en période d’instabilité – favorisé une augmentation de la fraude et de la spéculation de la part d’individus cherchant à profiter immédiatement des vulnérabilités d’autrui. Lorsque des imposteurs opportunistes ciblent des marchés à forte valeur, tels que le commerce international du pétrole, les récits de leurs escroqueries deviennent plus élaborés et extravagants.

Niels Troost est précisément l’un de ces entrepreneurs devenus malgré eux victimes de cette situation géopolitique tendue. Ce dernier a réussi à unir de petits producteurs de pétrole autour d’un projet ambitieux : regrouper leur production pour charger des tankers entiers, facilitant ainsi l’accès au marché asiatique. Sa situation offre un aperçu des mécanismes complexes du marché pétrolier perturbé par les sanctions. Son histoire devient d’autant plus fascinante qu’il avait, par prudence, réduit sa participation dans le secteur des hydrocarbures, se distançant ainsi partiellement des conséquences des sanctions imposées à la Russie. Cependant, il s’est retrouvé malgré lui impliqué dans une mésaventure, décrite notamment par l’ancien journaliste du WSJ et lauréat du prix Pulitzer, Bradley Hope, sur le média « Project Brazen ».

Sa malheureuse aventure commence véritablement au printemps 2022, lorsqu’il rencontre Gaurav Kumar Srivastava, un personnage mystérieux se targuant de liens étroits avec les hautes sphères de pouvoir à Washington. Srivastava prétendait opérer sous une fausse identité pour la CIA, se présentant comme un « invisible », l’un des rares agents « NOC » (Non-Official Cover) de l’agence. Le stratagème de Srivastava était aussi audacieux qu’attrayant. Il proposait une « opération commerciale secrète », soi-disant approuvée de manière officieuse par les autorités américaines, qui permettrait à Troost de poursuivre ses affaires en dollars américains tout en contribuant à l’objectif stratégique des États-Unis de maintenir le flux de pétrole russe sur le marché sous un prix plafond.

L’appât, habilement conçu, était orné de la promesse d’obtenir une licence spéciale de l’OFAC (Office of Foreign Assets Control du Trésor Américain), un sésame offrant la protection des États-Unis. Selon Srivastava, une telle licence n’était octroyée qu’à de très grandes entreprises, parmi lesquelles figuraient, selon lui, des géants comme Trafigura, Glencore, et bien sûr, Paramount Energy & Commodities SA, l’entreprise de Troost. Ces sociétés, bien ancrées dans le paysage économique, auraient l’avantage de bénéficier du soutien du gouvernement américain.

Peu à peu, Troost, séduit par ces perspectives, se laisse entraîner dans ce qui s’avèrerait être un piège bien huilé. Et comme il est souvent de mise dans ces récits, une fois la victime appâtée et engagée, elle est poussée inexorablement dans le piège. La première condition, selon les dires de Bradley Hope, était l’obtention d’une approbation du FBI pour la licence OFAC – une exigence que Troost, rassuré par le sérieux apparent de la demande, a accepté sans hésitation.²

Un rendez-vous est organisé avec un associé de Srivastava pour un entretien « d’évaluation » à l’aéroport de Genève. L’entrevue, digne d’un véritable interrogatoire, aurait, selon Srivastava, convaincu la CIA de l’honnêteté de Troost. C’est alors que Srivastava a posé sa demande exorbitante : le transfert en sa faveur de 50 % des actions de la société de Troost, Paramount Energy & Commodities SA.

Cette exigence, bien que choquante, s’inscrivait dans la lignée de la « légende » concoctée par Srivastava, qui s’était entouré d’une myriade de personnalités influentes, prétendant avoir tissé des liens avec des figures telles que le général Wesley Clark et des anciens agents de la CIA tels que Mary-Beth Long et John Maguire. Ces relations, soigneusement orchestrées, semblaient attester de l’influence et de la puissance de Srivastava. Il semblait, depuis leur première rencontre, être au cœur du pouvoir politique américain, exhibant des photographies de lui aux côtés de personnalités de premier plan, de Joe Biden à Nancy Pelosi.

Impressionné et convaincu par le récit de Srivastava, Troost était prêt à se plier à l’accord proposé. Mais lorsque, en septembre 2022, Srivastava l’a invité à une cérémonie de remise de prix de l’Atlantic Council, partageant une table avec des personnalités comme le général Clark et l’ex-agent de la CIA Mary-Beth Long, l’absence de la licence promise commençait déjà à semer le doute.

Les soupçons de Troost se sont intensifiés en décembre, alors que la licence OFAC n’était toujours pas en vue. Srivastava a alors introduit un nouveau prétexte, affirmant que les actions de la société suisse devaient être intégralement transférées à une entité américaine pour répondre aux critères des autorités américaines. Cela a déclenché un projet de transfert de la totalité des actions de Paramount Energy & Commodities SA à une filiale spécialement créée dans l’État du Delaware. Face à ces exigences croissantes et à la pression montante, Troost a commencé à résister. Srivastava a réagi en suggérant que Troost pourrait rencontrer des problèmes avec les autorités américaines pour non-conformité s’il ne procédait pas au transfert des actions.

Les tensions ont augmenté lorsque des articles diffamatoires ont commencé à paraître sur Paramount dans de prestigieux médias internationaux, se basant souvent sur des informations incorrectes ou déformées. Face à l’absence persistante de résultats de la part de Srivastava, Troost a finalement décidé de lancer une enquête discrète. Les découvertes étaient stupéfiantes : un passé de fraudes, de poursuites judiciaires et une absence totale de liens authentiques avec les agences gouvernementales américaines. En mai 2023, Troost a pris la décision de couper les ponts, annulant le transfert d’actions effectué en juillet 2022 et mettant fin à leur accord.

La rupture avec Srivastava a déclenché une tempête de calomnies et de menaces, ciblant notamment l’implication de Troost dans le terminal GTS Dortyol, une infrastructure clé pour le transbordement du pétrole en Turquie. Il s’agissait d’un actif stratégique, mais Troost n’était qu’un actionnaire minoritaire sans réel pouvoir décisionnel. Srivastava a alors diffusé de fausses rumeurs selon lesquelles Troost aurait été impliqué dans des activités contournant les sanctions de l’UE et des États-Unis contre la Russie. En réalité, l’investissement avait été réalisé bien avant le début de la guerre en Ukraine, et le pétrole russe ne représentait que la portion congrue des transactions du terminal. Face à une campagne de désinformation visant à ternir sa réputation, Troost a choisi de se désengager du terminal, vendant sa part sans réaliser le moindre bénéfice.

Aujourd’hui, Niels Troost se concentre principalement sur l’investissement en Afrique, dans des projets liés à la transition énergétique et à la sécurité alimentaire, notamment dans l’agriculture. Grâce à son expertise en logistique et en commerce, Troost a soutenu les exportations ukrainiennes, notamment par le biais de son investissement dans Harvest Commodities, dont les navires ont été parmi les premiers à risquer le transport de céréales ukrainiennes depuis le port d’Odessa vers le reste du monde.

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