Bombardement du consulat iranien à Damas : vers une escalade régionale ?

En Israël, le long de la frontière avec le Liban et la Syrie, un druze de l’armée israélienne patrouille à la recherche d’éléments du Hezbollah infiltrés de nuit. Photo Jean-Paul Louis Ney.

Les milices affiliées à Téhéran ont vivement condamné l’attaque de l’annexe consulaire de l’ambassade iranienne à Damas. La brigade des Kataeb Hezbollah en Irak a averti qu’elle disposait de 12 000 combattants en Jordanie et la milice chiite libanaise a rétorqué que cette attaque renforcerait sa détermination pour affronter Israël. La région a maintenant les yeux rivés sur Téhéran.

Dans l’après-midi du 1er avril, des avions F-35 israéliens ont tiré six missiles sur l’annexe de l’ambassade iranienne dans le quartier de Mezzeh de la capitale syrienne. L’attaque qui a fait onze morts dont sept Gardiens de la révolution et un membre du Hezbollah a été condamnée par les organisations affiliées à Téhéran, faisant de facto peser la crainte d’une escalade.

Le porte-parole du gouvernement iranien Nasser Kanaani a dénoncé « l’attaque du régime sioniste contre le bâtiment consulaire de l’ambassade d’Iran à Damas », la qualifiant de « violation flagrante de la Convention de Vienne sur les relations diplomatiques de 1961 ». Téhéran «se réserve le droit de prendre des contre-mesures contre l’attaque et prendra une décision sur la manière de punir l’agresseur », a-t-il ajouté.  

« Ce crime lâche ne restera pas sans réponse », a de son côté prévenu le président iranien Ebrahim Raïssi. Il n’a pas donné de précision sur la nature de cette riposte, mais des « décisions nécessaires » ont été prises dans la nuit au cours d’une réunion d’urgence du Conseil suprême de sécurité nationale iranien en sa présence. Israël « sera puni » par l’Iran, a quant à lui menacé l’ayatollah Khamenei.

Le chef de la diplomatie iranienne a tenu à préciser qu’un message avait été passé aux États-Unis via l’ambassade suisse pour avertir que Téhéran tenait également pour « responsable » Washington dans cette attaque. Pour leur part, les Etats-Unis ont indiqué à l’Iran qu’ils n’étaient pas impliqués, selon un responsable américain cité par le site Axios. 

Des milices sur le qui-vive

Pour l’heure, le pays des Mollahs a pu compter sur le soutien de ses alliés régionaux. Peu de temps après l’attaque du bâtiment adjacent à celui de l’ambassade iranienne à Damas, dans un communiqué publié sur Al-Manar, le Hezbollah a pleuré la mort des différents défunts. Cela «se traduira par une plus grande détermination à résister et à affronter cet ennemi arrogant et assoiffé de sang », a-t-il affirmé. Le parti chiite rend notamment hommage à Mohammad Reza Zahedi, qui était l’un des architectes de la politique iranienne en Syrie depuis le début de la guerre en 2011 et qui avait entretenu des liens avec le parti d’Hassan Nasrallah depuis 1998.

La brigade des Kataeb Hezbollah en Irak, par l’intermédiaire de son porte-parole Abu Ali Al-Askari, a martelé dans un communiqué publié sur Telegram que la Résistance islamique d’Irak était « prête à équiper 12 000 combattants de la Résistance islamique en Jordanie d’armes légères et moyennes, de lanceurs antichars, de missiles, de millions de balles et de tonnes d’explosifs, afin de couper les routes terrestres menant à Israël ». Du côté des Houthis, le porte-parole Muhammad Abdel Salam a vivement condamné dans un message sur la plateforme X « une violation de la souveraineté syrienne et une agression flagrante contre deux pays frères pour leurs positions en faveur de la Palestine ». 

Les mouvements palestiniens, à l’instar du Hamas, du Jihad islamique, du Front populaire de libération de la Palestine et le Fatah, ont eux aussi dénoncé l’attaque israélienne contre le bâtiment diplomatique iranien.  L’Iran a reçu le soutien de la Syrie. Par l’intermédiaire du ministre syrien des Affaires étrangères Fayçal Al-Miqdad, Damas rappelle que l’État hébreu « ne peut pas affecter les relations entre la République arabe syrienne et la République islamique d’Iran », tout en critiquant Israël comme étant «le symbole du terrorisme dans le monde».

Le dilemme cornélien de l’Iran

En ciblant le bâtiment consulaire de l’ambassade iranienne à Damas, Israël rappelle à Téhéran qu’il a la capacité de frapper n’importe où et n’importe quand les Gardiens de la révolution. De surcroît, ce raid sur la capitale syrienne intervient quelques jours après le déplacement du chef du bureau politique du Hamas Ismaël Haniyeh et du leader du Jihad islamique Ziad al-Nakhala en Iran. Le pays des mollahs est l’un des parrains des partis islamistes gazaouis. Israël a donc tapé fort pour décourager les autorités iraniennes de continuer de se servir de ses proxys. 

Mais derrière ces gesticulations verbales et les nombreuses menaces proférées à l’encontre d’Israël, l’Iran et ses alliés sont face à un dilemme cornélien. Téhéran a-t-il les moyens de rétablir un certain pouvoir de dissuasion tout en évitant d’être entraîné dans une guerre régionalisée qui mettrait en péril son régime ? Il est peu probable que le pays des Mollahs s’aventure dans une attaque directe sur Israël même si le guide suprême a martelé qu’il y aurait une réponse iranienne. Comme en janvier dernier, les Gardiens de la révolution pourraient s’en prendre au Kurdistan irakien ou se trouve des cellules du Mossad. 

Toutefois, il est fort à penser que Téhéran utilisera ses proxys régionaux pour s’en prendre aux intérêts israéliens et américains au Moyen-Orient. Le Hezbollah étendrait la profondeur de ses frappes sur le territoire de l’Etat hébreu, les milices chiites irakiennes augmenteraient leurs frappes de drones et les houthis continueraient le ciblage des navires commerciaux à destination des ports israéliens. 

Autre option envisageable : Les Iraniens pourraient également s’en prendre à des ressortissants de l’État hébreu en dehors de son territoire, ou encore à des institutions juives à travers le monde. Fin 2022, le centre de réflexion israélien The Institute for National Securities Studies avait fait état d’une douzaine d’attaques planifiées par l’Iran déjouée par les services de l’Etat hébreu. 

L’attaque du 1er avril à Damas met en porte à faux Téhéran. Israël cherche à pousser l’Iran à la faute. Dans cette guerre à distance que se mène les deux ennemis régionaux, toutes les options restent ouvertes. Or compte tenu des élections présidentielles américaines, l’administration Biden a aucun intérêt à ce que la région s’embrase. De son côté, Pékin, proche partenaire de l’Iran et de plus en plus présent au Moyen-Orient, prône une stabilité pour assoir son projet des routes de la soie.

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