En guise de dissuasion, l’Iran se rapproche à grand pas de la bombe nucléaire 

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Réunion bilatérale entre M. Behrooz Kamalvandi, vice-président de l’Organisation iranienne de l’énergie atomique pour les affaires internationales, juridiques et parlementaires, et le directeur général de l’AIEA, M. Yukiya Amano, lors de la 58e conférence générale de l’AIEA. AIEA, Vienne, Autriche. 22 septembre 2014.
Photo : Dean Calma / AIEA

Depuis le retrait unilatéral des accords sur le nucléaire iranien par l’administration américaine de Donald Trump en 2018, Téhéran a considérablement augmenté ses stocks d’uranium enrichi, faisant craindre la possibilité d’avoir atteint le seuil pour un usage militaire. Décryptage. 

Répondant aux questions sur le programme nucléaire iranien, Rafael Grossi le directeur de l’agence internationale de l’énergie atomique (AEIA) a déclaré le 12 avril « le résultat est que je ne peux pas garantir que les matières nucléaires n’ont pas été détournées vers d’autres installations ou programmes d’armement ». Toujours est-il, après les attaques iraniennes sur Israël dans la soirée du 13 au 14 avril, le ministre israélien de la Défense Yoav Gallant a martelé que Téhéran menaçait « de placer des explosifs nucléaires sur la tête de ses missiles ». Du côté iranien, les dirigeants maintiennent le doute sur leurs réelles intentions. « Nous ne voulons pas d’armes nucléaires sur la base de nos convictions religieuses. Autrement, ils n’auraient pas pu l’arrêter », avait indiqué le guide suprême iranien Ali Khamenei en juin 2023, en faisant référence à la fatwa (avis juridique islamique) qu’il avait lui-même lancé en 2003 pour s’opposer au développement et à l’utilisation de l’arme nucléaire. 

L’Iran est devenu un pays seuil 

Pourtant, tout laisse à croire que l’Iran chercherait à se doter de l’arme nucléaire. Un article du Washington Post rapporte qu’en février dernier lors d’une visite de l’AIEA dans les sites de Natanz et de Fordo, sur une ancienne base des Gardiens de la révolution, les inspecteurs ont découvert une production anormalement forte. En effet, l’agence a détecté des particules d’uranium enrichi à 83,7% juste en deçà des 90% nécessaires pour un usage militaire. Le seuil des 60% avait été dépassé en novembre 2022. Outre le dépassement des 3,67% fixé par l’accord, l’agence a également noté que l’Iran avait entamé la production d’uranium métal, deux activités qui constituent des étapes clé du développement d’une arme nucléaire et ne sont justifiées par aucun besoin civil crédible. En parallèle, Téhéran a substantiellement réduit les accès de l’Agence internationale de l’énergie atomique à partir de février 2021, en cessant d’appliquer les mesures de vérification, en retirant certaines caméras ou en ne délivrant pas les visas pour des inspecteurs issus de pays hostiles.

Toujours selon le quotidien américain, l’Iran accumule les moyens techniques pour se doter de la bombe sans prendre aucune mesure ouverte pour en construire une. Des informations confirmées par Thierry Coville, chercheur à l’IRIS et spécialiste de l’Iran. « Aujourd’hui il semble que l’Iran a choisi de devenir ce que l’on appelle un pays du seuil, c’est-à-dire un pays qui maîtrise la technologie, et qui est capable, si nécessaire, de construire très rapidement une bombe atomique », explique-t-il, avant d’ajouter qu’ils n’ont toutefois « pas encore pris la décision politique de le faire », surtout que le pays des mollahs est signataire du traité de non-prolifération nucléaire.

Selon l’auteur du livre L’Iran une puissance en mouvement paru aux Editions Eyrolles, Téhéran a commencé « à détricoter l’accord sur le nucléaire un an après le retrait unilatéral de l’administration de Donald Trump en mai 2018 ». En effet, bien avant son élection, l’ancien président américain avait fait part de ses intentions de sortir de l’« horrible accord unilatéral qui n’aurait jamais dû être conclu ». Chose promise, chose due. Une fois élu, l’ancien magnat de l’immobilier sort de l’accord sur le nucléaire et demande l’application du snapbackc’est-à-dire le rétablissement de toutes les sanctions de l’ONU. De ce fait, outre l’extraterritorialité du droit américain qui empêche les entreprises étrangères de commercer avec l’Iran, les Etats-Unis ciblent toute l’économie iranienne, de son industrie pétrolière à son programme de missiles balistique en passant par les services financiers, les avoirs à l’étranger et les différents minerais. 

Plus les Etats-Unis sanctionnent et plus les Israéliens éliminent des scientifiques, plus l’Iran se rapproche de la bombe

Or, cette politique de pression maximale sur l’Iran est « contre-productive », insiste le chercheur qui explique que « cela fait le feu des radicaux en Iran qui ont remporté les élections présidentielles en 2021 ». Aujourd’hui, « les Iraniens sont dans un rapport de force pour faire pression sur les Etats-Unis pour qu’ils reviennent dans l’accord ». Même l’administration de Joe Biden, qui était favorable à la reprise des négociations avec plusieurs sessions de pourparlers à Vienne, a cessé « d’y consacrer de l’énergie et des efforts », rapportait récemment le porte-parole de la sécurité nationale de la Maison Blanche, John Kirby. Compte tenu de la montée des tensions dans la région, « il est probable qu’elles se soient complètement arrêtées à cause de la guerre à Gaza. Mais ce qu’on entend dire, c’est que Joe Biden reprendra sans doute les négociations avec l’Iran s’il est réélu ». Or, en cas de victoire du candidat républicain Donald Trump, « on rentrerait alors dans un niveau d’incertitude extrême », estime le chercheur en précisant que l’ancien président est partisan d’une pression maximale sur l’Iran pour qu’il revienne à la table des négociations.

Concernant une potentielle frappe israélienne sur une installation nucléaire iranienne, le chercheur est également catégorique sur l’échec de la stratégie de l’Etat hébreu, « à chaque fois qu’Israël va éliminer un scientifique iranien ou s’en prendre au programme nucléaire, l’Iran passera un seuil ». En effet, pour empêcher l’Iran de se doter de la bombe, les Israéliens sont accusés d’avoir éliminé plusieurs scientifiques et physiciens iraniens, à l’instar de Massoud Ali Mohammadi, Majid Shahriari et Fereydou Abbassi Davani tués en 2010. La même année, une cyberattaque très sophistiquée via le virus Stuxnet, également attribuée par Téhéran à Israël et aux Etats-Unis, avait frappé le programme nucléaire iranien, entraînant une série de pannes dans son parc de centrifugeuses utilisées pour l’enrichissement de l’uranium. En novembre 2020, Mohsen Fakhrizadeh a été tué par une mitraillette robotisée montée à l’arrière d’un pick-up, et commandé à distance par un opérateur basé en Israël. L’assassinat avait une fois de plus été imputé aux services israéliens.  

Aujourd’hui force est de constater que l’Iran « maîtrise les technologies, dispose de nouvelles centrifugeuses », précise Thierry Coville. Auparavant, le pays des mollahs avait « une coopération officieuse » avec le Pakistan au début des années 2000, voire avec la Chine, détaille le chercheur. La Russie travaille également avec l’Iran sur le nucléaire civil via « le réacteur de Bouchehr depuis 1995 », rappelle-t-il. Le spécialiste de l’Iran explique que « Téhéran cherche à se doter d’une force de dissuasion », en concluant que « cela date de l’époque de la guerre Iran-Irak lorsque les troupes de Saddam Hussein ont attaqué le territoire iranien avec l’aval et l’appui des puissances occidentales ». 


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