[02:38, 06/07/2024] Noreen Shah:

Les origines du conflit entre l’Iran et Israël

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L’Iran a répondu à la frappe israélienne sur son consulat à Damas. Les tensions entre les deux pays ne datent pas d’hier. Aux quatre coins du Moyen-Orient, Téhéran et Tel-Aviv s’espionnent, nouent des alliances régionales pour maintenir un équilibre de la dissuasion avec son ennemi. 

Ce qui devait arriver arriva. L’Iran a mis ses menaces à exécution en ciblant le territoire israélien avec des drones et des missiles dans la nuit du 13 au 14 avril. Depuis le 1er avril, Téhéran promettait une réponse au raid de l’aviation de Tsahal sur son consulat à Damas. Si l’action militaire n’est pas une réussite en soit compte tenu de l’interception des projectiles par la Royal Air Force, l’aviation américaine, jordanienne et la défense israélienne, force est de constater qu’il s’agit de la première attaque étatique sur Israël depuis plus de 30 ans. En effet, la dernière salve de roquettes tirée sur l’Etat hébreu remonte à l’époque de Saddam Hussein, ou le raïs irakien avait lancé 39 missiles scud sur Tel-Aviv, Haïfa et Bi’r As Sabeh et ce, en pleine guerre du Golfe en 1991. 

Cette rivalité israélo-iranienne s’inscrit dans la durée. Les deux ennemis régionaux se font la guerre par procuration de l’Irak à la Palestine, en passant par le Caucase et le golfe persique. Retour sur un conflit de basse intensité qui façonne la géopolitique du Moyen-Orient. 

Au commencement la révolution islamique iranienne 

Après la seconde guerre mondiale, le Moyen-Orient était divisé en deux, une partie alignée sur l’Occident et l’autre sur l’Union soviétique. L’Iran du Shah et Israël faisaient partie du même camp. Les deux pays entretenaient des relations commerciales, sécuritaires et même militaires. Téhéran fournissait du pétrole à l’État hébreu et les services de renseignements du Mossad et du Savak coopéraient. Après la première guerre israélo-arabe de 1948, plusieurs milliers de juifs irakiens ont même trouvé refuge en Iran. 

L’avènement de la République islamique en 1979 bouleverse les équilibres préétablis dans la région. Opposé à l’impérialisme américain et à Israël, la première mesure de politique étrangère du nouveau pouvoir en place est de remplacé l’ambassade israélienne par la palestinienne. D’ailleurs, Yasser Arafat, le leader de l’Organisation de libération de Palestine (OLP), est le premier dirigeant étranger à venir à Téhéran. L’Iran, étant un pays majoritairement chiite isolé sur la scène moyen-orientale, entend ainsi disposer du « passeport palestinien » pour plaire aux masses arabes sunnites du Moyen-Orient. L’année suivante, en 1980, l’Irak de Saddam Hussein entre en guerre contre l’Iran révolutionnaire. Bagdad bénéficie de l’appui financiers des pays du Golfe et de l’aide militaire de l’Occident qui considèrent la révolution iranienne comme un danger pour la région. 

Or, pour Israël le raïs irakien est son principal ennemi. Pour preuve, l’aviation israélienne a détruit le réacteur nucléaire d’Osirak dans la banlieue de Bagdad en 1982. Ainsi aux débuts des années 80, l’État hébreu avec l’aval du gouvernement de Ronald Reagan fournit en catimini des armes à Téhéran alors que le pays est littéralement sous embargo. Le but de cette opération était la libération d’otages américain au Liban et de profiter des retombées économiques du contrat pour financer la lutte anti-communiste au Nicaragua. Le scandale de l’Irangate est dévoilé en 1986. 

Encercler Israël

Isolé sur le plan géopolitique, l’Iran va profiter du chaos de la guerre civile libanaise pour s’immiscer dans le conflit en soutenant la communauté chiite en prise avec Israël. L’État hébreu a en effet lancé en 1982 une opération massive « Paix en Galilée » dans le sud-Liban jusqu’à Beyrouth pour éradiquer la menace palestinienne de l’OLP. C’est dans ce contexte, que Téhéran va envoyer des Gardiens de la révolution pour former les futurs cadres du Hezbollah. Le mouvement chiite va devenir une puissante milice repoussant les forces israéliennes du Liban. 

L’Iran va également étendre son influence en Palestine même. Avec le déclin du nationalisme palestinien de Yasser Arafat, plusieurs groupes islamistes émergent. L’un d’eux, le Djihad islamique voit le jour en pleine première intifada en 1987. D’obédience sunnite, le groupe va suivre la pensée révolutionnaire iranienne. Le parti aura ses entrées à Beyrouth, à Damas et à Téhéran. Dans les années 1990, c’est au tour du Hamas de se rapprocher de l’Iran. Le parti islamiste créé en 1987 noue des contacts avec les Gardiens de la révolution dès 1991 et va bénéficier d’un soutien militaire et financier dans sa lutte contre Israël. Téhéran bénéficiait ainsi de plusieurs relais locaux aux portes d’Israël. 

Lors des nombreux conflits opposants les factions palestiniennes, l’Iran a fourni des armes et des conseillers dans la bande de Gaza via la frontière égyptienne. En 2006, une guerre de 33 jours oppose l’armée israélienne au Hezbollah libanais. Alors que l’aviation de Tsahal pilonne les points vitaux du pays (ponts, routes, centrales d’eau et d’électricité), le mouvement chiite va infliger une défaite militaire aux forces terrestres de l’État hébreu. L’Iran et la Syrie ont appuyé l’organisation d’Hassan Nasrallah. 

Avec les « printemps arabes » en 2011, le conflit irano-israélien se déplace en Syrie. Israël, redoutant de voir les milices chiites affiliées à l’Iran gagner en influence sur le territoire syrien, cible régulièrement des casernes, des convois ou des entrepôts d’armes iraniennes. L’Etat hébreu craint de voir son pays encerclé par des forces hostiles, a donc militarisé les hauteurs du Golan. Tsahal, au moyen d’une campagne militaire de basse intensité, mène « une guerre entre les guerres » (Milkhama ba milkhamot). 

Encercler l’Iran 

Durant la décennie 2010, Israël s’attèle également à déconstruire le programme nucléaire iranien par tous les moyens. A l’aide de la National Security Agency (NSA), l’unité israélienne 8200 s’est s’attaquée aux centrifugeuses iraniennes d’enrichissement d’uranium avec un ver informatique. Le virus nommé Stuxnet a endommagé par moins de 30 000 systèmes électroniques. Pour empêcher l’Iran de se doter de l’arme nucléaire, les services israéliens ont tué plusieurs scientifiques iraniens dont le dernier Mohsen Fakhrizadeh a été abattu par un drone à Téhéran en novembre 2020 alors que l’engin était piloté à distance. 

Les services israéliens ont de surcroît joué un rôle déterminant dans l’élimination de Qassem Soleimani, le chef de la force Al-Qods iranienne. Le général était l’architecte de la politique étrangère de Téhéran depuis plusieurs décennies et avait consacré sa carrière militaire à façonner des alliances avec différents groupes aux quatre coins du Moyen-Orient. Il était notamment connu pour avoir participé activement à la lutte contre Daech en Syrie et en Irak avec les milices chiites. Le Mossad, le renseignement israélien, a fourni sa localisation aux Américains pour qu’ils puissent le cibler par drone non loin de l’aéroport de Bagdad le 3 janvier 2020. 

Les rivalités israélo-iraniennes se sont étendues au Golfe persique après les accords de normalisation entre l’État hébreu, les Émirats arabes unis et Bahreïn en 2020. Les autorités iraniennes craignent de voir la flotte israélienne non loin de son littoral compte tenu de la coopération militaire accrue entre les nouveaux alliés. Outre la zone du Golfe persique, Israël a également noué des partenariats militaires et stratégiques avec le Kurdistan irakien. Les liens entre les autorités kurdes et israéliennes remontent à l’époque de Saddam Hussein. L’État hébreu fournissait des armes pour lutter contre le raïs de Bagdad. Riche en pétrole, le nord de l’Irak représentait en 2015 pas moins de 77% des approvisionnements en or noir de la consommation israélienne. D’ailleurs, Israël est également le seul pays a avoir soutenu le référendum d’indépendance du Kurdistan en 2017. Cette coopération kurdo-israélienne à la frontière de l’Iran, inquiète les autorités des mollahs qui ciblent régulièrement la zone, prétextant que des bases du Mossad s’y trouveraient. En juillet 2022, Téhéran a annoncé avoir démantelé au Kurdistan irakien un réseau lié au renseignement israélien. 

Autre inquiétude de Téhéran, l’alliance entre Bakou et l’État hébreu. L’Azerbaïdjan et Israël ont noué des relations militaires importantes ses dernières années, provoquant l’ire de l’Iran. Les autorités israéliennes fournissent notamment des armes aux forces azéris dans sa guerre contre l’Arménie. Bien que chiite, les autorités azerbaïdjanaises n’ont pas le même agenda géopolitique que la République islamique iranienne. Bakou aurait notamment autorisé le Mossad à établir une base opérationnelle avancée sur son territoire afin de conduire des opérations à l’intérieur de l’Iran. Un partenariat qui aurait permis à l’État hébreu de collecter des informations sur le programme nucléaire iranien en 2018. 

Ainsi, de Gaza au Liban, en passant par le Caucase, le Kurdistan et le Golfe persique, les deux ennemis régionaux nouent des alliances hétéroclites pour mieux se surveiller et ainsi disposer d’une supériorité stratégique.


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