Europe : La présente Commission et les abus du Traité de Lisbonne, le document le plus important en vigueur 

Ursula von der Leyen en 2023. Photo: Dati Bendo / Commission européenne

Par Sébastien Marco Turk 

« J’ai compris que tout le malheur des hommes venait de ce qu’ils ne tenaient pas un langage clair. J’ai pris le parti alors de parler et d’agir clairement. » Ainsi parlait l’écrivain français Albert Camus dans son roman inoubliable, La Peste. Ses mots semblent se réaliser de manière prophétique au cours de la période la plus difficile que l’Europe ait traversée depuis la guerre. Ils prennent forme à travers la rhétorique d’Ursula von der Leyen, la présidente de la Commission européenne, figure éminente du Vieux continent. Son langage est inédit si on le considère du point de vue de l’art oratoire politique classique. Toutefois, la rhétorique actuelle à Bruxelles, celle des mandarins modernes, se révèle être de la même sorte.

Si l’on considère le discours d’ouverture de la présidente de la Commission européenne le 16 juillet 2019 à Strasbourg, il apparaît que par lui l’Europe a symboliquement franchi le seuil de sa période la plus critique depuis 1945. On était embarqué, comme disait Blaise Pascal. Ursula von der Leyen, représentant le summum de la politique européenne, n’a pas su relever les défis postérieurs à son discours inaugural. Ses propos méritent donc une réévaluation critique, tant ils semblent nappés d’un optimisme sucré et omniprésent, frisant le kitsch. 

Chaque faction parlementaire, représentant les citoyens de l’UE, semble pouvoir réaliser ses désirs immédiatement. Ce qui paraissait impossible a été rendu possible par l’audace rhétorique de la figure la plus influente de l’UE. Die Zeit a résumé sa performance ainsi : « Il ne reste plus grand-chose à offrir. On ne peut guère promettre plus : c’est le principal écueil de sa prestation. C’est une astuce : ‘Demandez quelque chose’ : vos auditeurs l’obtiennent. » Il va de soi que les promesses extensives de Von der Leyen pourraient difficilement être concrétisée. C’est notamment elle qui le sait en première place. 

Von Leyen incarne donc l’élite des bureaucrates européens, dont la devise pourrait se traduire par cette maxime : tout ce que nous entreprenons est soigneusement pensé pour offrir « plus d’Europe » de manière optimale, démocratique et profondément européenne. Cependant, « plus d’Europe » se traduit souvent par plus de « verbiage » bureaucratique.

Mais qu’entend-on par « plus d’Europe » ? Paradoxalement, tout ce qui détoure le texte fondateur de l’Union, le Traité de Lisbonne. Les actions de la Commission européenne durant le mandat 2019-2024 semblent être marquées par un arbitraire inédit, pour utiliser un euphémisme. Les initiatives essentielles prônées par Ursula von der Leyen ne trouvent guère de fondement dans le premier document de l’UE. Voilà pourquoi nous en sommes là, et les politiques en sont les responsables. Il y dix ans, l’Europe était bien différente. Personne ne songeait à la quitter, mais au contraire, à y adhérer. 

La situation a changé. Le premier virage notable s’est produit en 2015, lorsqu’Angela Merkel a déclenché la crise migratoire. Il est indéniable que c’est avec le soutien de la chancelière allemande qu’Ursula von der Leyen a accédé à son poste. Elle a joué un rôle clé dans cette ascension. Toutefois, le Traité de Lisbonne ne mentionne pas les migrants illégaux. Deux fois on évoque les « travailleurs migrants » ce qui est autre chose. Toutefois, ce qui s’en rapproche le plus est la mention de la « protection des minorités ». Cependant, le document ne définit pas ces minorités de manière concrète, encore moins en termes de ce qui est devenu le sujet le plus controversé du mandat de von der Leyen, à savoir les migrants et les personnes LGBT+. LGBT+ n’est mentionnée nulle part dans le Traité évoqué. 

Si le concept de « protection des minorités » était interprété conformément à ce à quoi fait référence le préambule du Traité, c’est-à-dire que l’UE est fondée sur « l’héritage culturel et religieux de l’Europe », il pourrait alors être envisagé dans le cadre défini par la Bible, pierre angulaire de cet « héritage religieux européen ». 

En prenant « l’étranger » comme exemple premier des minorités, nous observons qu’il existe certes un dénominateur commun entre « l’étranger » tel que perçu par les détenteurs du pouvoir en Europe et « l’étranger » tel que dépeint dans le livre du prophète Jérémie, ainsi que dans l’ensemble de l’Ancien et du Nouveau Testament. Il subsiste néanmoins une différence fondamentale : dans la tradition biblique, l’étranger est quelqu’un à qui l’on offre l’hospitalité, que l’on accueille temporairement, parfois pour une durée indéterminée si le besoin s’en fait sentir. La Bible ne stipule jamais que l’étranger est celui qui vient pour changer de statut social, c’est-à-dire pour devenir membre d’une autre communauté.

L’usage actuel du terme « étranger » pour appuyer l’idéologie du « réfugié » constitue une perversion du Traité de Lisbonne. En effet, le sens originel du mot « étranger », tel qu’il apparaît dans la Bible et qui est censé être le point de départ du traité, a été altéré par l’élimination d’un ingrédient essentiel. Ainsi, le terme a été adapté aux besoins contemporains et utilisé de manière erronée. Aujourd’hui, « étranger » ne désigne plus simplement quelqu’un qui est extérieur, mais quelqu’un en cours d’assimilation ou d’intégration. Ce n’est qu’une partie du sens légitime du mot, non la totalité, et certainement pas conforme à l’esprit initial tel qu’il fut envisagé dans la Bible, puis replacé comme tel dans le Traité évoqué. Les migrants illégaux ne sont pas des étrangers, ce qui pointe vers l’absurdité du multiculturalisme prôné. 

Si Bruxelles soutient que les migrants, qu’ils soient légaux ou illégaux, favoriseront l’émergence d’une société multiculturelle, condition sine qua non de leur « démocratie », elle commet une grave erreur. Une société multiculturelle n’est pas intrinsèquement démocratique. L’Union Soviétique était multiculturelle, mais non démocratique. Il en allait de même pour la Yougoslavie. La Chine contemporaine est multiculturelle, mais elle n’est pas démocratique. Le Liban est multiculturel, mais il est surtout marqué par des conflits multiples.

Des abus encore plus significatifs ont été commis dans le cadre de l’intégration des communautés LGBT+, l’un des enjeux majeurs pour l’actuelle Commission européenne, même au risque de la désintégration de l’UE. Rappelons simplement les tensions autour des questions des migrants et des droits LGBT+ entre l’Europe occidentale et sa partie orientale (notamment le groupe de Visegrad, la Pologne et la Hongrie, et plus récemment la République tchèque et la Slovaquie). Nous pouvons aisément constater que l’Europe orientale a respecté le texte fondateur de l’UE, tandis que l’Occident ne l’a pas fait.

Le terme « minorité » n’est pas défini de manière concrète dans le Traité de Lisbonne, et encore moins en ce qui concerne spécifiquement les LGBT+. La Commission actuelle fait un usage abusif de ce terme, entraînant une violation des principes du traité. En effet, sous la direction d’Ursula von der Leyen, certaines minorités ont été placées au-dessus de la majorité, ce qui représente un abus notable, car la Commission n’était pas mandatée pour prioriser les droits d’une minorité par rapport à ceux de la majorité, du moins selon les termes de la charte fondamentale des droits et libertés de l’UE. Le traité stipule explicitement le principe de l’égalité de tous : « Dans toutes ses activités, l’Union respecte le principe de l’égalité de ses citoyens, qui bénéficient d’une attention égale de la part de ses institutions, organes et organismes ».

Concernant le troisième élément de l’agenda de la présidente de la Commission, la « transition verte », il est nécessaire de constater que la focalisation sur la transition vers les énergies renouvelables a impacté la compétitivité économique de l’Europe, la poussant vers la stagnation. Les économies les plus compétitives du monde, telles que celles de la Chine, de l’Inde et des États-Unis, ne s’engagent pas dans une « transition verte » de même nature. La démarche de Bruxelles dans ce domaine semble disproportionnée étant donné que l’UE ne représente que 6% de la population mondiale, une proportion qui continue de diminuer. De plus, la transition évoquée pourrait constituer le cas d’un déni de la science puisqu’il n’est pas scientifiquement prouvé que les facteurs anthropiques soient l’unique cause du réchauffement climatique. De plus, Le traité de Lisbonne ne mentionne pas là ce genre de transition. Le terme « environnement » apparaît trente fois de manière non ciblée, et le « changement climatique » est mentionné une seule fois dans le contexte de l’article 191, qui stipule que la politique de l’Union vise à résoudre les problèmes environnementaux, notamment la lutte contre le changement climatique, mais de façon marginale.

Lors de son dernier discours (d’une envergure pareille à celui de son inauguration en 2019) sur l’état de l’Union européenne 2023, Ursula von der Leyen a de nouveau insisté sur la lutte contre le changement climatique, prétendant que cela devrait être au cœur de son mandat, tout en promouvant des valeurs telles que la « transition verte », le « multiculturalisme lié aux migrants » et les « LGBT+ », qui semblent devenir des valeurs de l’UE sous sa direction. Cette orientation contredit potentiellement le sentiment général de la population de l’UE, qui est sceptique vis-à-vis de ces priorités. Et encore plus : la distorsion et l’abus du Traité de Lisbonne sont même devenus une « valeur » de l’actuelle UE, sous la présente Commission. En effet, si l’on se demande quelles « valeurs » celle-ci promeut le plus, on constate qu’il s’agit de la « transition verte », du « multiculturalisme lié aux migrants illégaux » et des droits « LGBT+ ». 

L’Union européenne est ainsi confrontée à une période tumultueuse, exacerbée par le fait que la “Spitzenkandidatin” Ursula von der Leyen est la première présidente de l’UE à briguer un nouveau mandat tout en faisant l’objet d’une enquête du Parquet européen (affaire Pfeizer). Cela soulève des questions sur la viabilité future de l’UE avec une telle direction et des valeurs potentiellement en contradiction avec celles de ses citoyens. Du 6 au 9 juin, lors des élections, l’Europe a besoin plus que jamais dans un coup de pouce vers la normalité. Ce sera peut-être sa dernière chance.

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