Israël, le jugement de Salomon et la guerre du droit

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Tribune de Julien Aubert

Coup sur coup, deux juridictions internationales ont pris des positions très polémiques qui ont touché Israël. 

La première décision est venue de la Cour internationale de justice, qui le 26 janvier 2024, a rendu une ordonnance suite à la plainte déposée par Afrique du Sud, soutenu par une soixantaine d’État s, dont 57 pays membres de l’Organisation de coopération islamique, contre l’État d’Israël sur un « génocide » présumé à Gaza. Sans juger au fond, la CIJ a ordonné des mesures conservatoires pour éviter que la situation ne se détériore davantage avant que le tribunal ne se prononce sur le fond. Cet argumentaire juridique mérite d’être expliqué. Non Israël ne s’est pas vu « condamné » par la CIJ. Israël ne s’est même pas vu intimer l’ordre d’arrêter les opérations militaires, mais celui de prendre toutes les mesures en son pouvoir pour empêcher la commission d’actes graves, comme le meurtre ou « le fait de soumettre délibérément des conditions d’existence calculées pour entraîner la destruction du groupe et l’imposition de mesures destinées à empêcher les naissances ». Ces préventions juridiques renvoient à la définition même du génocide. Le génocide, défini par la convention de 1948 sur la prévention et la répression du crime de génocide, est l’acte de détruire une partie d’un groupe national, ethnique ou religieux, c’est à dire sans motivation politique sous-jacente. Le génocide suppose de recenser des faits objectifs. 

Israël ne peut pas ignorer cette demande de la Cour. Rappelons que la CIJ, rattachée au système des Nations-Unie, est de facto reconnue par tous les États de la planète et règle des sujets de responsabilité d’État à État. 

En revanche, dans les faits, le pays ne risque pas grand-chose s’il devait être condamné au fond. Les décisions de la CIJ sont contraignantes mais elle n’a pas les moyens de les faire respecter, seule une résolution du Conseil de sécurité des Nations-Unies pouvant obliger dans les faits un État à les appliquer. Les États-Unis étant opposés à ce qu’on mette en accusation Israël, l’application d’une éventuelle décision de justice serait donc impossible. La flétrissure morale serait cependant douloureuse, pour un État qui s’est construit avec en toile de fond la mémoire de la Shoah. 

On n’en est cependant pas là. Les médias ont déformé le raisonnement de la CIJ en se trompant d’interprétation sur les motivations de sa décision. Le paragraphe (n°54) qui a fondé l’ordonnance de mesures conservatoires a parfois été compris de travers : « La Cour est d’avis que les faits et circonstances (mentionnés ci-dessus) suffisent pour conclure qu’au moins certains des droits que l’Afrique du Sud revendique et dont elle sollicite la protection sont plausibles. Il en va ainsi du droit des Palestiniens de Gaza d’être protégés contre les actes de génocide ». La présidente (britannique) de la CIJ a expliqué que ce qui était plausible, ce n’était pas – contrairement à ce qu’ont expliqué les médias – l’affirmation selon laquelle Israël commettait un génocide à Gaza, mais que l’Afrique du Sud avait le droit de porter plainte contre Israël et que les Palestiniens avaient des « droits plausibles à la protection contre le génocide », c’est-à-dire des droits qui risquaient de subir des dommages irréparables. 

La seconde décision, qui a fait grand bruit, n’est pas, contrairement à ce qui a été écrit de délivrer des mandats d’arrêt contre Benjamin Netanyahou, mais de demander que de tels mandats soient délivrés.

Elle est venue du procureur de la Cour pénale internationale, Karim Khan, qui le lundi 20 mai, a déposé des demandes de mandats d’arrêt, pour « crimes de guerre » et « crimes contre l’humanité », contre le Premier ministre israélien, Benjamin Netanyahou, le ministre de la Défense, Yoav Gallant, pour le conflit actuel à Gaza, et trois dirigeants du Hamas, dont Yahya Sinwar, le dirigeant du mouvement dans la bande de Gaza, Ismaël Haniyeh, le chef du bureau politique, et Mohammed Deïf, qui dirige la branche armée de l’organisation islamiste, pour les attaques du 7 octobre 2023.

Khan, qui n’avait pas ouvert de mandat d’arrêt international au lendemain du 7 octobre contre les responsables du Hamas, a semble-t-il finalement rendu un jugement de Salomon en renvoyant les deux belligérants dos-à-dos. Il a certes inclus trois dirigeants du Hamas qui sont accusés d’avoir planifié et commandité la commission des crimes perpétrés le 7 octobre 2023, mais la nature des crimes qui leur sont reprochés (attaques ciblées sur des civils, extermination, assassinats, viols, violences sexuelles et tortures) est d’une nature bien moins importante que celle qui frappe le Premier ministre israélien et son ministre de la défense. Si cette approche juridique peut sembler astucieuse de loin – Khan a peut-être voulu montrer son impartialité dans le conflit – elle a donné une résonnance politique particulièrement désagréable : l’agresseur originel se retrouve moins poursuivi que l’agressé… et moralement mis au même plan.  

Comme pour la CIJ, l’impact concret sera sans doute limité : la demande du procureur doit être examinée et ensuite relayée par les autorités nationales. Le risque moral est cependant beaucoup plus dévastateur. 

La raison de ces poursuites contre Netanyahou est un cran plus grave que les accusations portées devant la CIJ : il existe selon lui des motifs raisonnables de croire que Benjamin Netanyahou et Yoav Gallant (le ministre israélien de la défense) portent la responsabilité pénale de crimes de guerre et crimes contre l’Humanité commis sur le territoire de l’État  de Palestine (Gaza) en cherchant à affamer délibérément les civils comme méthode de guerre, privant la population civile de l’ensemble du territoire de Gaza de moyens de subsistance indispensables à sa survie ; en dirigeant intentionnellement des attaques contre une population civile en tant que crime de guerre et en autorisant l’extermination et/ou le meurtre en tant que crime contre l’humanité. 

Le crime contre l’humanité, défini par le traité de Rome créant la CPI, est plus grave que le génocide : c’est une politique planifiée d’éradication pratiqué contre des civils. Au Cambodge, il s’agissait d’un crime contre l’humanité et non d’un génocide car il n’y avait pas de dimension ethnique, mais une volonté politique. Au Rwanda, il s’agit d’un génocide. 

Cette décision a suscité une pluie de critiques, venues notamment des États-Unis et des soutiens d’Israël. 

Le fond du problème est sans doute que la CPI est par nature une institution qui prétend vouloir maîtriser le politique en faisant primer le droit sur la force pure.  La Cour pénale internationale est entrée en vigueur le 1er juillet 2002 et a tenu sa session inaugurale en mars 2003. Née un demi-siècle après la CIJ, non plus pour sanctionner les États, mais pour poursuivre des individus, qui en droit international classique n’étaient que très rarement justiciables (il existait par exemple des règles coutumières sur les pirates), la CPI a représenté un bouleversement juridique majeur. Avec la décision de créer la CPI, l’écran de l’État a sauté en étendant la responsabilité aux agents publics : chef de l’État, fonctionnaires civils et militaires. Le concept de crime contre l’humanité (politique – lié à l’évolution du rôle de l’État dans la guerre moderne) illustre cette évolution et dépasse celui de crime de guerre qui est une simple violation du droit des conflits armés. Le statut fondateur de la CPI recèle donc des limitations ponctuelles à la souveraineté étatique. On peut en distinguer trois, d’inégale ampleur.  Une première limitation découle des règles de compétence de la Cour. Celle-ci peut en effet s’estimer compétente, si un crime international a été commis sur le territoire d’un État Partie ou s’il l’a été par le ressortissant d’un État Partie. Il se peut donc que le ressortissant d’un État non-Partie au Statut ayant par exemple commis un crime de guerre sur le territoire d’un État partie soit attrait devant la Cour pénale internationale. De sorte qu’un État qui n’a pas souscrit à la convention peut -à travers le sort judiciaire réservé à son ressortissant devant la Cour pénale internationale- être malgré tout lié par un texte sans que cet État ait pourtant, à aucun moment, accepté de souscrire au dispositif et donné son consentement à être lié par le Traité.  Une seconde limitation concerne l’exercice de la souveraineté judiciaire interne. En dépit de la priorité reconnue aux juridictions nationales, un État a-t-il toute latitude pour exonérer éventuellement les coupables de crimes internationaux ? Le statut de la Cour répond à cette question par la négative. Il peut donc en résulter une forme d’atteinte à certains principes de souveraineté nationale (exemple : loi d’amnistie). Enfin, une troisième limitation à la souveraineté des États peut intervenir dans le cadre d’une saisine de la Cour par le Conseil de sécurité.

Cette approche est loin d’être consensuelle et la première disposition précitée, on le sait, a été déterminante dans le refus des États-Unis de voter la Convention de Rome. La France a fait le même choix, même si elle est liée par un accord de coopération. La décision de Khan met le doigt où cela fait mal, c’est-à-dire sur l’objet même du contentieux entre le politique et le juridique, et Israël, qui ne reconnaît pas la compétence de la CPI non plus, n’a pas de raison d’accepter une telle décision. En revanche, pour les pays Parties, c’est un nid à complications qui était prévisible : de facto, ils devraient arrêter le Premier ministre israélien s’il se rendait sur leur territoire. 

Au-delà du droit, le problème est insurmontable : Israël souhaite détruire le Hamas, mais celui-ci est enraciné à Gaza, dont la population est à la fois victime et solidaire de l’organisation terroriste. Si la CPI avait existé pendant la seconde guerre mondiale, elle aurait sans doute poursuivi Roosevelt et Churchill pour la destruction d’Hiroshima et de Dresde, mais aurait-on gagné la guerre ? 

En sens inverse, de la même manière qu’on établit bien la distinction entre Hamas et palestiniens, il est indispensable de ne pas faire de Benjamin Netanyahou le prolongement du peuple israélien (et au passage les juifs du monde entier, le prolongement de Netanyahou). Si la situation est aussi dégradée aujourd’hui, il en porte largement la responsabilité. Si le procureur Khan a commis une erreur politique majeure en mettant sur le même plan Israël et Hamas, il a raison sur le fond de considérer qu’un État démocratique a plus de responsabilités dans la conduite d’une guerre qu’un groupe terroriste. Il serait indigne de délégitimer Khan en faisant penser qu’il agit en bras armé du monde musulman, au même titre que l’Afrique du Sud dans l’affaire portée devant la CIJ.  

Comme son nom ne l’indique pas, Khan est né en Ecosse et est donc britannique, comme la présidente de la CIJ. Décrié comme musulman, donc partial, c’est un juriste reconnu, qui a travaillé côté accusation au bureau des tribunaux internationaux des Nations-Unies pour l’ex-Yougoslavie et le Rwanda, puis a été avocat du Kényan William Ruto, poursuivi pour crimes contre l’humanité et acquitté. Quoique musulman, il a aussi enquêté sur Daesh et recueilli des preuves qu’un génocide avait été commis par l’État islamique. Il s’est aussi illustré en réclamant un mandat d’arrêt contre Vladimir Poutine. Si Khan a choisi de porter ces accusations, il y a tout lieu de penser qu’il y a matière. 

La destruction de la menace terroriste doit se faire par la guerre, mais la paix ne naîtra pas de la seule victoire par les armes. Sur ce point, il est grand temps qu’Israël change de Premier ministre. 


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