L’offensive russe sur Kharkov : premier bilan

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L’armée Ukrainienne recule devant l’avancée inexorable de l’armée Russe à Kharkov. Photo Defense of Ukraine (@DefenceU)

Par Sylvain Ferreira de Veille Stratégique (https://siteveillestrategique.blogspot.com/ )

Le 10 mai dernier, l’armée russe a lancé une offensive au nord de Kharkiv, le long de la frontière avec l’Ukraine. Cette offensive était annoncée depuis plusieurs semaines par de nombreux services de renseignement occidentaux qui évoquaient la présence d’un corps de bataille russe de 30 à 40 000 hommes et 300 chars au sud de Belgorod. Une semaine plus tard, voici une première analyse de cette opération.


Cette opération est chapeautée par le groupement opérationnel Nord (SEVER) récemment créé et basé dans le district militaire de Saint-Petersbourg. Les opérations offensives sont menées par les 11e et 44e corps d’armée récemment créés. Chaque corps d’armée a engagé une division de fusiliers motorisés : la 18e division de fusiliers motorisés de la Garde pour 11e CA et la 72e pour le 44e CA. Soulignons que la 72e est encore partiellement en cours de formation. Ces deux divisions sont également soutenues par des éléments d’appui de la 6e Armée Combinée, des deux brigades indépendantes de fusiliers motorisés ainsi que des éléments de la 1re Armée de Tanks de la Garde[1]. Enfin des groupements tactiques des troupes aéroportées ont également été engagés mais sans pouvoir, encore aujourd’hui, évaluer le nombre. Il semble que les unités de combat engagées au feu depuis une semaine représentent environ 10 000 hommes ce qui signifie que les Russes disposent de réserves tactiques fraîches.

L’objectif de cette opération peut se décomposer de la manière suivante :

1/ créer une zone tampon pour empêcher l’armée ukrainienne de mener des raids transfrontaliers dans l’oblast de Belgorod.

2/ immobiliser les unités locales ukrainiennes et attirer le plus grand nombre possible de réserves ukrainiennes depuis d’autres secteurs du front.

3/ placer Kharkiv à portée de tir de l’artillerie de campagne.

Par ailleurs, il est clair que la prise de Kharkiv est, en l’état, impossible pour ce dispositif d’attaque. Il reste maintenant à déterminer si les Russes vont renforcer ce dispositif pour étendre leur offensive notamment vers l’est de Volchansk afin de prendre à revers les défenses ukrainiennes installées face au nord. Aujourd’hui, il apparaît que les Ukrainiens ont déjà été contraints d’engager une partie de leurs réserves (92e brigade d’assaut, brigade « Khartia »[2]) ainsi que de nouvelles brigades de défense territoriale encore à l’instruction. Deux des premiers objectifs sont donc déjà atteints, en plus de la conquête de terrain qui n’a d’importance que dans le champ médiatique, puisqu’une grande partie de celui-ci n’était pas couvert par des défenses appropriées et des moyens importants, et ce en parfaite adéquation avec les canons tactiques en vigueur. Seule inconnue aujourd’hui, le déploiement de plusieurs éléments de la 1re Armée de Tanks de la Garde est un signe quelque peu inquiétant. La question de savoir dans quelle mesure ces éléments ont été déployés dans la région pour jouer ou non un rôle déterminant dans la suite des opérations.

En ce qui concerne le point sur les combats au bout d’une semaine, les Russes n’ont pas encore réussi à s’emparer de la ville de Volchansk à l’est tandis qu’à l’ouest, dans le secteur Lyptsi et de Vesele, les Russes avancent plus facilement. Partout les combats sont très violents et la situation est en cours de stabilisation pour les Ukrainiens, malgré l’arrivée de leurs réserves depuis le début de cette semaine. Au final, la progression des forces russes reste modeste : 5 à 9 km dans trois directions distinctes le long de la frontière. Les jours qui viennent nous permettront d’y voir plus clair dans les intentions russes dans ce secteur. Si aucun gain territorial significatif n’est constaté et que les combats baissent d’intensité, cela signifiera probablement que l’objectif d’attirer les réserves ukrainiennes est atteint et qu’une autre opération est à craindre ailleurs.

La stratégie de Foch

Sur le plan stratégique, cette offensive s’inscrit, selon moi, dans une séquence d’opérations successives qui vont bientôt frapper le front dans d’autres secteurs pour étirer les réserves ukrainiennes et contraindre l’état-major de Syrsky à faire des choix cornéliens et ce d’autant que

l’armée russe continue de faire pression et de sonder les lignes ukrainiennes sur toute la ligne de front. Faute de moyens humains et matériels suffisants, les semaines qui viennent risques d’être critiques pour l’armée ukrainienne. Comme les offensives alliées orchestrées par Foch à partir de la mi-juillet 1918, l’effet cumulatif de ses offensives risque de provoquer un effondrement de l’Ukraine. Comme en 1918, les opérations menées par les Russes restent des poussées sur le plan tactique et en aucun cas des percées du front suivies d’exploitation dans la profondeur. Ce n’est pas, pour le moment, le but recherché. Cela répond aux problèmes que posent les moyens de détection mis à disposition de l’Ukraine par l’OTAN qui interdisent toute dissimulation de concentration de troupes et annule toute effet de surprise. S’il est difficile de prévoir où les prochaines offensives russes auront lieu, on peut évoquer raisonnablement plusieurs options. Tout d’abord, l’armée russe peut poursuivre les opérations offensives en cours en direction de Chasiv Yar, Pokrovsk et Lyman. Il est également envisageable de voir des attaques dans des secteurs « calmes » depuis plusieurs moi. On pourrait assister par exemple à une poussée depuis Svatove en direction de la rivière Oskol ou une percée depuis le sud-ouest de Mariinka dans la direction d’Ougledar. Le redéploiement en cours de la 76e division d’assaut aéroportée de la Garde, unité d’élite expérimentée, depuis le secteur d’Orikhiv pourra peut-être nous donner une indication sur le prochain secteur d’attaque russe, à moins qu’elle ne serve de leurre dans la maskirovka russe. Enfin, l’ouverture d’un nouveau front dans la région de Soumy, évoqué depuis le 10 mai dans les médias occidentaux, pourrait également s’ajouter à la liste des axes offensifs russes pour la fin du printemps.


[1]   https://www.scribblemaps.com/maps/view/The_War_in_Ukraine/091194

[2]   https://www.scribblemaps.com/maps/view/The_War_in_Ukraine/091194

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