Le grand entretien politique du Diplomate – Joachim Murat et Georges Kuzmanovic, candidats aux élections européennes

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Montage Le Diplomate

ENTRETIEN CROISÉ – Le président du parti République souveraine, Georges Renard-Kuzmanovic, mènera une liste souverainiste pour les élections européennes du 9 juin prochain. Il a été rejoint par le prince Joachim Murat, héritier du maréchal d’Empire et arrière-petit-neveu de Napoléon Ier.

À quelques jours du scrutin, Le Diplomate a interrogé les deux candidats.

Propos recueillis par Angélique Bouchard

 Le Diplomate : Georges Kuzmanovic, vous avez décidé de lancer la liste « Nous le Peuple » pour les prochaines élections européennes. Définie comme une liste souverainiste, en quoi vous vous distinguez des autres listes déjà en lice et décrites aussi comme souverainistes à l’instar de celle du RN, de Reconquête, de François Asselineau voire celle de François-Xavier Bellamy ? Que pensez-vous apporter de plus à cette élection ?

Georges Kuzmanovic : Notre liste défend la souveraineté, tant nationale que populaire, c’est-à-dire la démocratie, largement bafouée dans le clair-obscur de la Commission européenne et une construction européenne qui se fait sans l’accord des peuples qui la compose.

Certes, d’autres listes se disent souverainistes, mais nous avons d’importantes différences. J’écarterai celle menée par François-Xavier Bellamy : au Parlement européen, Les Républicains (LR) sont membres du Parti Populaire Européen (PPE) – le parti d’Ursula von der Leyen. Reconquête et le RN font la même erreur que la gauche dans les années 1990 : ils croient pouvoir profiter d’être majoritaires en Europe pour pouvoir changer celle-ci de l’intérieur, alors que c’est impossible. Les listes de Florian Philippot et de François Asselineau, quant à elles, sont authentiquement souverainistes, mais elles se concentrent sur le moyen – le Frexit – au lieu de penser aux finalités : la politique que, libérés de l’UE, nous pourrions mener.

Nous le peuple est un collectif de citoyennes et de citoyens venant d’organisations politiques différentes, voire sans aucune affiliation, animés par l’esprit et la méthode du Conseil National de la Résistance. Nous ne sommes pas d’accord sur tout, même si nous partageons l’essentiel : la défense de la souveraineté nationale et populaire, principe constitutionnel mis en danger par la fuite en avant vers le fédéralisme, l’élargissement et la guerre de nos gouvernants.

LD : Prince Joachim Murat, vous avez rejoint, en troisième position, la liste menée par Georges Kuzmanovic (président de République souveraine, ex-LFI). Pourquoi avoir franchi le pas du combat politique et pourquoi avec Georges Kuzmanovic ? Vos parcours militaires communs ont-ils joué ?

Prince Joachim Murat : Ma candidature a deux vocations principales : la première est d’alerter et de lutter face au risque mortel que représente pour notre pays la construction d’une Europe Fédérale, « d’États-Unis d’Europe » où la France serait réduite au niveau du Colorado. La seconde est d’inciter tout le monde à se mêler de politique. Cette destruction de notre pays par sa dilution dans l’Europe d’Ursula von der Leyen se fait depuis 50 ans dans le dos des peuples. Même le dernier référendum n’a pas été respecté en 2005. Mêlez-vous de ce qui vous regarde ! Votez, engagez-vous, demandez des comptes. Ne laissez pas une petite bande de technocrates arrogants au niveau européen ou français décider à votre place ce que va être votre vie.

Avec Georges, nous partageons une même vision de l’indépendance et de la grandeur de la France, une même volonté de sauver son modèle social et laïque unique au monde. Ce n’est pas un hasard si nous avons vécu chacun cet engagement depuis des années de façon très concrète jusqu’à nous engager sur des territoires de conflit.

LD : Que reprochez-vous à l’Union européenne actuelle ? Et au gouvernement français d’aujourd’hui par rapport à notre politique européenne et internationale ?

PJM : Les promesses de paix et de prospérité n’ont pas été tenues. Cette Europe a coûté et coûte énormément à ses citoyens en terme aussi bien financiers, qu’humains, d’identité, de valeurs et même d’écologie. Nos industries et notre agriculture sont livrées à la concurrence la plus déloyale, nos services publics sont en cours de démantèlement au nom du sacro-saint principe de libre concurrence, nos sociétés sont structurellement déstabilisées par une immigration de masse absolument incontrôlée, les pires délires sociétaux sont favorisés avec nos impôts, l’Allemagne empoisonne allégrement le continent avec ses usines au charbon après avoir largement participer à détruire le parc nucléaire français, pourtant seul garant d’une énergie décarbonée. Ajoutez à cela le niveau ahurissant de corruption dans les institutions européennes et le poids écrasant des lobbies, c’est-à-dire des pires ingérences étrangères et vous avez le cocktail parfait d’anéantissement de la France mais aussi d’anéantissement de l’Europe dévorée par des prédateurs grâce au laxisme complice de gouvernements sous influence extra nationale.

C’est évidemment mon reproche principal aux politiques menées par la France depuis 50 ans : dépecer ce pays hors norme fruit de 1500 ans d’une histoire unique au monde. Dépeçage qui s’explique par la courte vue et la voracité d’une classe dirigeante tant politique qu’économique qui n’œuvre depuis des décennies que pour ses intérêts particuliers et la préservation de son propre écosystème de plus en plus fermé. Mais dépeçage qui s’explique également par la démission de plus en plus vaste des citoyens vis-à-vis de la politique. L’abstention alimentée par le « tous pourris » et l’inquisition de nos nouveaux prêtres « bienveillants » d’une partie significative des médias est l’arme ultime pour cette démocratie de connivence qui maintient les peuples devant ses écrans et loin des bureaux de vote.

GK : L’Union européenne est, au moins depuis Maastricht un instrument redoutable de restriction du champ des politiques possibles, donc de la liberté des peuples : sont en effet gravés dans le mardre des traités des principes comme la libre circulation ou la « concurrence libre et non faussée » qui déterminent pour l’éternité les politiques publiques à mener. C’est le cas pour les champs qui relèvent de la compétence de l’Union, comme le commerce extérieur ou l’agriculture, mais aussi celles qui sont censées rester aux mains des Etats comme la fiscalité : en effet, dans une Europe où les capitaux circulent librement entre l’Irlande, le Luxembourg et la France, l’établissement  d’une fiscalité plus juste sur le grand capital et les multinationales est une chimère.

Les gouvernants français successifs, et Emmanuel Macron plus encore que tous, ont tous commis la même erreur, qui révèle leur arrogance et leur inconséquence : croire que, moyennant quelques sacrifices, la France pourrait, par la puissance de ses arguments et son volontarisme, emmener les autres pays européens dans la direction qu’elle juge juste et bonne. Dans l’objectif illusoire de faire de l’UE une France en grand, ils ont détruit méthodiquement la France : F Mitterand et Chirac ont sacrifié la monnaie, l’industrie et les grands services publics ; Macron s’apprête à sacrifier la dissuasion nucléaire et le siège au Conseil de sécurité… C’est que les autres Etats, à commencer par l’Allemagne, ont une relation beaucoup plus pragmatique à l’UE, qui est celle que le général de Gaulle avait : ils tentent de maximiser les profits qu’ils en tirent (pour de Gaulle, la PAC de l’époque) et de minimiser leur contribution. Et ils ont raison !

LD : Quelles sont les grandes lignes de votre programme ? Êtes-vous favorables par exemple à un Frexit ?

GK : Nous défendons la souveraineté nationale et populaire de la France, mais nous refusons de borner notre propos à cette nécessité. Le Frexit via l’article 50 du traité, sans être exclu, n’est qu’une des armes possibles pour recouvrer notre indépendance. Ce n’est pas forcément la meilleure : la procédure a en effet été conçue pour permettre de punir le récalcitrant au point de lui faire changer d’idée, comme on l’a vu dans le cas du Royaume-Uni, pourtant beaucoup moins vulnérable que la France – ayant gardé sa monnaie et n’ayant de frontière terreste qu’avec l’Irlande. Ce qui est sûr, c’est que l’indépendance se prépare et nécessite des mesures préventives contre les attaques qui ne manqueront pas de s’abattre sur un gouvernement français qui voudrait se libérer, que ce soit de la part des marchés, de la Commission ou de la Banque centrale européenne – et je ne parle même pas des juridictions tant européennes que françaises, totalement converties au fédéralisme.

Mais l’indépendance en soi n’est pas un programme : si c’est pour en faire ce qu’en ont fait les tories britanniques – un pays encore plus ouvert aux quatre vents, avec moins de cohésion, un État encore plus faible qu’auparavant – non merci ! Si nous voulons la reconquérir, c’est pour défendre ce qui fait le génie français : le maintien de l’agriculture familiale et la renaissance de l’industrie par le protectionnisme, les grands services publics, patrimoine des Français qui n’en ont pas, la laïcité et le droit de chaque Français, même le « dernier de cordée », de France métropolitaine ou ultramarine, à vivre dignement de son travail. Vous trouverez le détail sur le site de Nous le Peuple : https://www.nous-le-peuple.fr/idees/

LD : Alors comment défendre la souveraineté de la France dans les institutions européennes actuelles ? Et quelle devrait être la politique étrangère française (et accessoirement celle de l’UE), pour vous, dans le monde multi-conflictuel d’aujourd’hui ?

PJM : Le sujet immédiat est l’élection au parlement européen. Quel est le rôle d’un député Européen pour défendre la souveraineté de la France ? Il est double : contrôle et alerte. Comme vous le savez le député européen a 3 fonctions majeurs : discuter, amender et voter les lois proposées par la commission ou le conseil de l’union européenne, voter le budget de l’UE, élire le président de la commission et contrôler les commissaires. Un député européen français peut donc activement alerter ses concitoyens sur ce que fait l’UE qui est à l’origine de près de 80% des normes et lois qui s’imposent aux français. Dans l’espoir de provoquer une réaction nationale en cas de problème. Il peut également lutter activement contre la corruption qui manifestement gangrène l’UE et contre les ingérences étrangères qui sont légion dans la pénombre des commissions.

En ce qui concerne la politique étrangère de la France, vis-à-vis de l’Europe, elle doit rebattre les cartes des institutions et des processus européens pour récupérer sa pleine souveraineté en matière de Justice, d’éducation et de gestion de l’immigration. Elle doit obtenir de l’UE des alignements qui favorisent strictement les industries et les agricultures européennes et surtout françaises. Elle doit mettre fin au dumping social organisé par les compétitions fiscales et par les différences de salaire au sein de l’UE. Elle doit récupérer sa pleine souveraineté énergétique et exiger de l’Allemagne qu’elle sorte de son modèle charbon qui empoisonne le continent et la planète. Pour cela elle doit anticiper des accords stratégiques avec plusieurs pays européens et hors Europe (Angleterre, Brésil, Inde, Égypte par exemple) pour pouvoir jouer la carte du Frexit lors de ces négociations. Si les négociations n’aboutissent pas, alors ce sera le Frexit, mais un Frexit préparé pour éviter le retour de bâton d’une UE post-Frexit qui, de toutes les façons, continuera à exister après la France.

C’est tout simplement le retour au projet initial d’une Europe des Nations.

Plus largement la France doit revenir à une politique internationale de multi alignement et pas d’atlantisme béat. Elle doit se réindustrialiser rapidement en s’appuyant sur ses deux leviers de puissance que sont son territoire maritime et l’espace francophone.

Son siège au conseil de sécurité de l’ONU pourrait être un outil efficace pour rétablir notre relation avec les pays africains en favorisant des unions régionales et continentales qui pourraient profiter de ce siège. Quant à sa force nucléaire elle est la clé pour proposer une alternative à l’OTAN aux pays européens.

GK : Je ne saurai mieux dire.

En termes géostratégiques, l’Europe doit apprendre à fonctionner comme un bloc. On en est très loin tant les intérêts des pays qui la composent sont différents, voire divergents. Comme le disait le Général de Gaulle, « Les pays n’ont pas d’amis, ils ont des intérêts » ; or, l’Europe, en l’état actuel de sa construction admnistrativo-politique n’est même pas capable de défendre ses intérêts élémentaires, pire, elle saborde les intérêts particuliers de ses États membres, spécifiquement ceux de la France. Par ailleurs, cette Union européenne est absolument inféodée aux États-Unis. Cette soumission atlantiste soit d’abord cesser avant que de construire autre chose – il faut procéder par étapes.

Nous vivons une période de charnière. Comme toutes les périodes historiques de grands changements, c’est un moment intéressant, porteurs d’espoirs, mais qui charrie aussi son lot de dangers, voire de conflits. C’est particulièrement le cas avec la guerre d’Ukraine qui a pour cause principale l’absurde entêtement de Washington à vouloir étendre l’OTAN (on pense tout particulièrement au 20ème sommet de l’OTAN à Bucarest en 2008 où Georges Bush a insisté pour inscrire dans la résolution finale que l’Ukraine et la Géorgie avaient pour vocation à entrer dans l’OTAN), et à l’incapacité des dirigeants européens de s’opposer à cette volonté qui conduit l’Europe vers le gouffre.

La parenthèse de l’hégémonie unipolaire américaine avec une Europe vassalisée s’achève. Je considère que cela a été un grand échec, l’Occident aurait pu faire de cette période et de cette domination autre chose qu’une ribambelle de guerres toutes aussi inutiles que perdues, autre chose qu’une mondialisation dérégulée dont finalement elle a principalement subi le contrecoup de la désindustrialisation. Pour notre malheur collectif, l’effondrement de l’URSS en 1991 a été concomitant de l’avènement des néoconservateurs aux manettes de la géostratégie américaine, et l’avènement du néolibéralisme dans l’économie. Nous avons créé et renforcé nos propre adversaires potentiels. On ne peut malheureusement revenir sur la passé, mais il est important de comprendre les causes profondes de cet échec global. Devant nous s’ouvre un monde multipolaire dont la grammaire géopolitique nouvelle est à maîtriser. Pour le moment nos dirigeants européens s’entêtent à jouer le rôle de Proconsul de région inféodées à un empire qui perd sa position dominante les États-Unis.
En attendant de voir l’avènement du bloc européen, qui idéalement, selon le souhait du Général de Gaulle, devrait aller de Brest à Valdivostok, nous devons nous recentrer sur la France, sa place de pivot dans le monde, la défense de ses intérêts. Cela implique bien sûr un effort conséquent pour améliorer nos armées et donc une augmentation du budget de la défense.
Une Europe future selon le rêve du Général de Gaulle devrait être une organisation politico-administrative différentes de l’Union européenne actuelle qui devrait disparaître pour être remplacée par une organisation correspondant au « Traité de l’Elysée » de 1963 qui envisageait une Europe indépendante des USA, de l’OTAN et de l’OMC (donc du libre-échange fanatique) et où les États membres conserveraient leur souveraineté par la primauté in fine de leurs lois nationales sur les lois et réglementations supranationales (donc avant le préambule ajouté par le Bundestag sur pression des États-Unis qui ont remis les USA, l’OTAN et l’OMC).

Bien évidemment, cela suppose d’abord de résoudre le très dangereux conflit en Ukraine. Comme je le préconisait depuis 2015, il faut organiser une grande conférence internationale sur la paix en Europe, qui permettra de résoudre les problèmes frontaliers et de populations laissés en suspend depuis l’effondrement de l’URSS. Ce sera une nouvelle architecture de sécurité, laquelle ne pourra évidemment se faire qu’avec les Russe, l’Ukraine devant acquérir un statut neutre.

LD : Avez-vous prévu de perpétuer votre alliance politique après les européennes et comment au niveau national, quelles sont vos ambitions ?

PJM : Je suis très heureux de notre alliance et de son fonctionnement. Mise en place sur le modèle du Conseil National de la Résistance, elle réunit des membres de tous horizons qui malgré certaines différences d’opinion travaillent harmonieusement pour la sauvegarde de nos intérêts nationaux, de notre modèle social et à la restauration de notre puissance nationale.

Cet alignement réussi mérite de se développer au-delà des élections européennes.

GK : La reconquête de l’indépendance de la France, la sauvegarde de nos services publics, la défense de nos principes républicains, redonner à la France la mesure de sa puissance réelle, sont des combats de longue haleine, et la « méthode du CNR », celle qui nous a permis de fédérer pour ces élections européennes, a un bel avenir devant elle.

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