JO 2024 – Les Modernes, les Classiques et les Jeux de Paris

Shares
JO 2024
Montage Le Diplomate

Lionel Lacour, agrégé d’Histoire, est réalisateur de documentaires sur le cinéma, créateur de ciné-conférences et de teambuildings cinéma – Son site : http://cinesium.fr et son blog : https://cinesium.blogspot.com

Au cinéma, le cinéma de Papa, jugé trop classique, s’est fait conspuer par l’avant-garde de la Nouvelle Vague. Puis par volonté d’apparaître moderne, d’autres leur ont emboîté le pas, mode moquée finalement par Audiard devenue plus vague que nouvelle.

Ces oppositions valent pour tous les arts et il en est au cinéma comme pour les cérémonies d’ouverture des Jeux Olympiques. Celle de Paris a créé une sensation planétaire en se voulant résolument moderne en se déroulant pour la première fois en pleine ville et non dans un stade. Et c’est dans cette innovation que Thomas Jolly a proposé une cérémonie spectaculaire et ouverte pour les uns, ignoble et blasphématoire pour d’autres. La modernité aurait-elle alors triomphé du classicisme pour ne pas dire de la réaction ?

Thomas Jolly affirme s’être inspiré de la mise en scène avant-gardiste de Jean-Paul Goude pour le bicentenaire de la Révolution française. Or, si celle-ci rassemblait les cultures du monde entier à la Concorde autour de l’idéal républicain, la cérémonie des JO a utilisé les hauts lieux parisiens pour fragmenter autant la scénographie que la communauté nationale dans un discours politique et sociétal radical, tout en affirmant rechercher inclusion et bienveillance. 

Et quatre séquences ont alors suscité la polémique, et pas seulement en France : la séquence avec Marie-Antoinette décapitée, le trouple, le vrai-faux détournement de la Cène de Vinci et enfin, le Dionysos interprété par Philippe Katerine. 

L’objectif était manifestement limpide et facile à identifier. L’évocation de Marie-Antoinette portant sa tête décapitée à une fenêtre des Tuileries et chantant le « Ah ça ira » était d’un goût douteux. Mettre en avant la période la plus contestable de la Révolution française n’était pas forcément ce qu’il y avait de mieux pour parler de concorde, d’inclusion et de bienveillance. Le message était pourtant simple : la France commence en 1793, à la mort du couple royal. Thomas Jolly parle d’ailleurs sans cesse de valeurs républicaines plus que de la France. Il était d’ailleurs assez drôle d’assister à cette séquence tout en se souvenant que bien des têtes couronnées assistaient à cette cérémonie…

Concernant le trouple, il y avait évidemment une volonté de montrer que la France était le pays de l’amour et donc, pour être moderne, de toutes les amours. En mettant en scène des personnages androgynes feuilletant des livres sulfureux faisant la notoriété de la littérature française dans ce genre, la volonté était donc de montrer la continuité avec le passé tout en choquant le bourgeois.

Quant à la séquence de la Cène suivie par celle de Dionysos, elles ont été les plus commentées, créant une polémique. Certains s’acharnent encore à expliquer que le tableau détourné n’était pas la Cène de Vinci mais celui d’un peintre inconnu du grand public et renvoyant aux dieux de l’Olympe. Peu importe d’ailleurs car ce qui compte est bien comment les spectateurs ont compris le message. Or nombre d’entre eux ont trouvé que la composition de Jolly était blasphématoire, arguant que les moqueries contre les chrétiens n’étaient pas contrebalancées par d’autres contre le prophète musulman. Enfin, passons sur la contradiction du moderne « Imagine there’s no country » de Juliette Armanet après la célébration des pays et de leur drapeau…

Dès-lors, ces « tableaux » de la cérémonie ont provoqué l’ire de leurs détracteurs qui y voyaient l’expression la plus aboutie du wokisme et de la déconstruction du pays. Ce à quoi les créateurs et ceux qui ont aimé le spectacle ont justifié les choix faits par la volonté de  moderniser l’image de notre pays en brisant les codes. Mais ont-ils été brisés pour autant ?

Reprenons le fil des critiques principales. Si Jolly évacue tout ce qui précède la République, le défilé sur la Seine et les images filmées pour la diffusion télévisée ont montré les monuments témoins de l’histoire pré-républicaine qui jonchaient le parcours des athlètes, à commencer par le Louvre. Et d’autres lieux investis par les JO ne datent pas de la République mais bien de la période absolue de la monarchie avec l’équitation à Versailles. Ainsi, si Jolly affirme que la monarchie avait été abolie et que la France était désormais républicaine et seulement républicaine, le décor du spectacle et des jeux lui démontrait le contraire. Concernant le trouple, il n’est pas d’un grand avant-gardisme, François Truffaut, devenu classique depuis, l’a déjà exploré dans Jules et Jim en 1962. Même la prétendue originalité du trouple olympique jouant sur les questions de genre est annihilé par les compétitions olympiques qui imposent des compétitions non pas genrées mais sexuées, le « classique » biologique l’emportant de facto sur le « moderne » idéologique. Quant au blasphème, non seulement il est de tradition française d’avant la République, mais sa prétendue existence montre surtout la victoire d’une France classique. En effet, en moquant ainsi la représentation classique du dernier repas du Christ, Jolly n’a fait qu’entériner un fait. La France est de culture et de tradition chrétienne et en aucun cas musulmane. La réaction viscérale de ceux qui se sont sentis attaqués, croyants ou pas, n’est que la démonstration de la vivacité de cette culture dans notre pays. Quant à la nudité venue s’ajouter au spectacle en la personne de Philippe Katerine, elle n’a eu le mérite que de permettre une échappatoire en s’appuyant sur le côté paillard et grivois d’un dieu de l’Olympe. Mais depuis le scandale de La Grande Bouffe à Cannes en 1973, les orgies ne choquent plus le bourgeois autant qu’avant !

Tout cela ressemble finalement aux films « modernes » qui portent leur âge quand les années passent. Mais pour conclure sa cérémonie, Jolly a opté pour le film classique, celui dont on sait qu’il passe les époques.  Une Tour Eiffel du génie français du XIXe siècle embrasée de lumières laser du savoir-faire français contemporain de la lumière. Puis le passage de relais, invention pour glorifier le nazisme devenu depuis 1948 un symbole d’union des peuples, des mémoires collectives et des émotions de jadis avec des figures de l’olympisme, étrangères puis françaises. Encore Teddy Riner et Marie-Jo Pérec embrasent d’une lumière électrique une montgolfière, décollant au-dessus du jardin des Tuileries. Malgré son effacement de la cérémonie, c’est bien l’empreinte de Napoléon qui surgit de la perspective de la Concorde et de l’Arc de Triomphe et qui a fini de subjuguer les spectateurs en mondiovision. Et ce n’est pas le playback de la moderne Aya Nakamura qui a clos la cérémonie mais la diva pop Céline Dion. Sublimant l’hymne à l’amour de l’éternelle Edith Piaf, sûrement trop rance pour certains, elle a imposé ce classique des classiques à tous, y compris aux modernes déconstructeurs. Le générique des jeux fini, ses vrais acteurs ont pu alors entrer en scène…


#CinémaDePapa, #NouvelleVague, #CérémonieJO, #ThomasJolly, #Paris2024, #JeanPaulGoude, #MarieAntoinette, #Inclusion, #Bienveillance, #Wokisme, #Déconstruction, #CèneDeVinci, #PhilippeKaterine, #Modernité, #Classicisme, #RépubliqueFrançaise, #CultureFrançaise, #TraditionChrétienne, #Napoléon, #CélineDion, #RisqueTerroriste

Shares
Retour en haut