Le défi Kamala Harris : une étoile montante ou filante ?

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Kamala Harris
Photo : Kamala Harris (sous licence) Tous droits réservés

À moins de quatre mois de l’élection présidentielle, Kamala Harris, actuelle vice-présidente des États-Unis, atteint la position qu’elle attendait depuis longtemps : la tête du ticket démocrate et potentiellement la présidence. Après la contre-performance historique du président Biden, lors du débat télévisé contre Donald Trump, son challenger, Harris a choisi la loyauté envers Joe Biden. Après s’être exprimée sur CNN, MSNBC et lors d’un meeting de campagne, elle choisit de défendre le bilan de son partenaire politique et attaque l’adversaire républicain.

Il y a quatre ans, l’ancienne candidate à l’investiture démocrate se serait réjouie d’être propulsée sur le devant de la scène et de rentrer dans l’arène. Toutefois, elle se retrouve en juillet 2024, dans une position bien plus précaire et incertaine, ses chances de briguer un nouveau mandat étant liées aux performances de Joe Biden.

Durant son mandat de vice-présidente, Kamala Harris aura eu du mal à remporter l’adhésion populaire, malgré le rôle qu’elle a pu jouer dans certains dossiers comme le droit à la reproduction, le droit de vote et la réforme de l’immigration. Pour certains, elle a été également la porte-parole la plus efficace de Biden sur les questions d’accès à l’avortement et la sensibilisation de la communauté afro-américaine.

Une femme aux multiples identités

Californienne, née d’un père jamaïcain, professeur d’économie à l’université de Stanford et d’une mère oncologue, d’origine indienne, Kamala Harris obtient un premier diplôme en science politique à l’Université Howard à Washington, suivi d’un diplôme de droit à Hastings en Californie.

Après ses études, Kamala Harris intègre le barreau de Californie en 1990. Elle choisit de se mettre au service de l’État et débute comme adjointe au procureur du comté d’Alameda avant d’être élue procureure de San Francisco en 2003. Elle devient ainsi la première procureure issue des minorités, élue en Californie et la première femme à occuper cette fonction à San Francisco. En 2010, elle est élue procureure générale de Californie et réélue en 2014 pour un second mandat. Étoile montante du parti démocrate, elle utilise cette « étiquette » pour se propulser comme sénatrice junior de Californie en 2017.

Ses racines et son éducation biraciales lui ont permis d’incarner et de séduire de nombreuses minorités aux États-Unis. Les régions du pays qui ont connu des changements sociodémographiques rapides et importants voient en Kamala Harris, un symbole de renouvellement de la classe politique et une « inspiration ».

Très attachée à son héritage indien de par sa mère, Kamala accompagnait cette dernière en Inde, lors de ses visites. Harris a déclaré que sa mère avait ensuite adopté la culture noire d’Oakland, immergeant ses deux filles – Kamala et sa cadette Maya – dans celle-ci. Son passage à l’Université d’Howard, l’un des campus américains historiquement afro-américain, sera déterminant à une époque où Reagan est président, où l’apartheid domine où les étudiants parlent beaucoup de désinvestissement de la « Trans-Afrique » et de Martin Luther King.

La mère de Kamala Harris a aussi évolué avec une certaine aisance dans les communautés à prédominance blanche. Elle a passé ses premières années au Canada et y a exercé en qualité d’enseignante à l’Université McGill. La jeune Kamala et sa sœur l’ont accompagnée et ont fréquenté l’école de Montréal pendant cinq ans.

Kamala Harris aura certainement hérité du don de sa mère pour « briser les barrières », l’esprit et l’humour faisant partie de son arsenal.

« Son rire, Giggle », devient immédiatement sa marque de fabrique, inondant les réseaux sociaux depuis l’élection de 2020. Harris s’est illustrée dans le débat universitaire avec humour. Toutefois, c’est sa capacité à adresser des répliques cinglantes à ses adversaires lors des débats en direct qui a joué un rôle déterminant dans sa nomination pour la campagne présidentielle démocrate.

Cependant, elle se confronte à son premier échec en 2020. Ses ambitions présidentielles n’aboutissent pas. Ses performances oratoires ne suffisent pas à compenser son manque de cohérence politique sur le « fond ». Biden la ressuscitera en la prenant sous son aile.

Gil Duran, son directeur de communication en 2013 s’est livré sur Kamala Harris : « Beaucoup de gens ne pensaient pas qu’elle avait la discipline et la concentration nécessaires pour accéder aussi rapidement à un poste à la Maison Blanche. Même si les gens savaient qu’elle avait l’ambition et un potentiel de star. Il était clair qu’elle avait un talent à l’état brut » (Source : The many identities of the first woman vice-president, par Rachel Looker et Holly Honderich, BBC News, publié le 21 juillet 2024.

L’image d’une « famille recomposée, américaine moderne de l’upper-class » qui se heurte à l’aile gauche indigéniste du parti démocrate

En 2014, la sénatrice Harris épouse l’avocat « blanc » Doug Emhoff et devient la belle-mère de ses deux-enfants. Elle accorde une longue interview en 2019 sur son expérience de famille recomposée, une image reprise par les médias qui concourt à l’inscrire comme une femme américaine moderne et bien inscrite dans son époque.

Toutefois, certaines activistes noires préfèrent soutenir une Kamala Harris comme héritière d’une autre génération, celle des femmes politiques afro-américaines, qui ont ouvert la voie à la Maison Blanche. Les femmes politiques noires sont perçues par les militantes indigénistes comme une force politique et un moteur pour le parti démocrate.

Il est intéressant d’examiner les réactions de l’organisation de gauche Black Lives Matter à la nomination de Kamala Harris, qui appelle la Convention nationale démocrate à créer un processus qui permette la participation du public au processus de nomination. Les démocrates sont qualifiés de « parti d’hypocrites, pour avoir installé Harris sans processus de débat public ».

« Nous ne vivons pas dans une dictature. Les délégués ne sont pas des oligarques. Installer Kamala Harris comme candidate démocrate et un vice-président inconnu, sans aucun processus de vote public ferait du Parti démocrate actuel un parti d’hypocrites. Black Lives Matter exige que la DNC organise immédiatement une primaire informelle et virtuelle à travers le pays avant la convention en août » affirme BLM (Source : Black Lives Matter says Dems are « party of hypocrites » for installing Harris sans « public voting process », par Brianna Herlihy, Fox News, publié le 23 juillet 2024).

« Le paysage politique actuel est sans précédent, le président Biden se retirant d’une manière jamais vue auparavant. Ce moment exige une action décisive pour protéger l’intégrité de notre démocratie et la voix des électeurs noirs. Les élites du Parti démocrate et les donateurs milliardaires tentent de manipuler les électeurs noirs en désignant Kamala Harris et un vice-président inconnu comme nouveau ticket démocrate sans le vote primaire du public. Ce mépris flagrant des principes démocratiques est inacceptable. Même si le résultat potentiel d’une présidence Harris peut être historique, le processus pour y parvenir doit s’aligner sur les véritables valeurs démocratiques » poursuit le communiqué de BLM.

À force de jouer et d’adopter les codes des élites blanches, il semblerait que l’identité politique Kamala Harris suscite l’ire et la désaffection de la base communautariste, socle de l’électorat démocrate dans de nombreux États.

Son bilan, ses défis à venir

Dotée d’un « flair politique », Kamala Harris a joué un rôle clé dans les réalisations les plus abouties de l’administration Biden. Elle lance sa tournée nationale en faveur des libertés reproductives Fight for Reproductive Freedoms, pour inciter les femmes à être libre de leurs choix concernant leur corps. Elle souligne les dommages causés par l’interdiction de l’avortement et appelle le Congrès à rétablir les protections induites par la loi Roe v. Wade, qui protège depuis 50 ans le droit à l’avortement aux États-Unis.  Les juges conservateurs de la Cour suprême ont annulé le droit constitutionnel à l’avortement en 2022. Si l’arrêt historique Roe v. Wade venait à être balayé, les États fédérés pourront à nouveau légiférer comme bon leur semble sur l’avortement au sein de leur territoire. Harris pointait déjà Trump comme « coupable » d’avoir réduit les libertés des femmes et déclenché une crise des soins de santé à l’échelle nationale.

Elle réussit également son pari au Sénat. Son vote et l’adhésion qu’il suscite, en emportant un nombre record de votes, contribue à l’adoption de la loi sur la réduction de l’inflation et du plan de sauvetage américain, qui a permis de débloquer des fonds d’aide durant la crise de la Covid. 

Son vote décisif aura également permis la nomination de la juge Ketanji Brown Jackson à la Cour suprême.

Toutefois, sa personnalité volte-face n’est pas un atout. De nombreuses voix sur son aile gauche la décrient. Harris a été la cible d’attaques répétées pour ne pas être suffisamment progressistes sur les questions du mariage homosexuel et sur la peine de mort. Certains démocrates scandaient lors de la campagne présidentielle de 2020 : « Kamala est une policière ». 

En effet, Biden l’a pressée durant son premier mandat de s’attaquer aux causes profondes de la migration, la question de la gestion de la frontière sud avec le Mexique étant source d’une crise politique durable dans le pays. Ses opposants démocrates comme républicains restent insatisfaits de la gestion de ce dossier par la vice-présidente. Elle a été vivement critiquée par les Républicains pour avoir mis six mois à planifier un voyage à la frontière, après son entrée en fonction.

Sur le plan intérieur, « la Tsar des frontières » comme la qualifie le GOP, aurait fait preuve d’une « incompétence extraordinaire dans l’exécution de ses devoirs et responsabilités, d’un refus catégorique de respecter la loi sur l’immigration existante et d’une indifférence palpable à l’égard du peuple américain qui souffre en raison de la crise actuelle à la frontière sud des États-Unis. (…) Au cours de son mandat de responsable désignée des frontières, l’agence des douanes et de la protection des frontières des États-Unis a rencontré près de 302 000 immigrants illégaux à la frontière sud-ouest en décembre 2023, soit le total mensuel le plus élevé jamais enregistré et représentant 4 mois consécutifs de plus de 240 000 interceptions de migrants illégaux ».

Tel est l’argumentaire rapporté dans les articles de destitution contre la vice-présidente, rédigé par le législateur et Représentant républicain du Tennessee, Andy Ogles (Source : Kamala Harris hit with articles of impeachment over border crisis « mileading » people on Biden, publié par Elizabeth Elkind, Fox News, le 23 juillet 2024).

Sur le plan international, de nombreux experts s’attendent à ce que Harris, si élue en novembre prochain, poursuive l’approche de Biden concernant le droit d’Israël à la légitime défense contre le Hamas. De nombreux post sur le réseau social X allaient dans le sens « d’un soutien inébranlable à la sécurité d’Israël ».

Elle s’inscrira de même dans la voie tracée par son prédécesseur, en soutenant fermement les efforts d’autodéfense de l’Ukraine contre la Russie. Fervente partisane de l’OTAN, elle annonçait en juin dernier que les États-Unis débourseraient plus de 1, 5 milliard de dollars par l’intermédiaire de l’Agence américaine pour le développement international et le Département d’État américain, pour renforcer le secteur énergétique ukrainien. Lors de la conférence de Munich, elle a promis un respect à toute épreuve des États-Unis de l’article 5 de l’OTAN, en vertu duquel, toute attaque contre l’un des membres de l’Alliance obligerait toutes les autres nations à s’engager dans le conflit.

Concernant la Chine, enfin, Harris agira en toute cohérence avec la politique appliquée par l’administration Biden, en se concentrant sur la réduction de l’influence chinoise en Asie. Le président Biden l’a enjointe de se rendre au japon et en Corée du Sud, les deux alliés clés des américains dans la région. Le soutien à Taïwan devrait également perdurer. En septembre 2022, elle avait promis de continuer à soutenir « l’autodéfense de Taïwan, conformément à (la) politique américaine de longue date » (Source : How Kamala Harris views the world : From Gaza and Russia to China and India, Al Jazeera, 22 juillet 2024).

En revanche, la position de Kamala Harris sur l’Inde a changé au cours de ces cinq dernières années. Elle avait critiqué la décision du premier ministre indien Narendra Modi, lorsque celui-ci a révoqué l’article 370, mettant fin au statut de semi- autonomie du Cachemire, administré par l’Inde, puis à l’arrivée de Joe Biden au pouvoir, elle a changé de position et a rencontré Modi en public, en 2021 saluant le rôle de l’Inde dans la production de vaccins contre la Covid-19. 

Les États-Unis et l’Inde, partagent les mêmes préoccupations à l’égard de l’influence croissante de la Chine ; aussi l’Inde est devenue un partenaire stratégique des américains en Asie.

Biden a conclu une série d’accords de défense et de technologie avec Modi au cours de son mandat. Harris a salué en 2023 lors d’un déjeuner officiel le rôle de leadership de l’Inde, comme « puissance mondiale au 21ème siècle ».


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