ANALYSE – Ingérence azerbaïdjanaise sur fond de lutte anticoloniale

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Union populaire pour la libération de la Guadeloupe
Photomontage Le Diplomate

Par Tigrane Yégavian

Note d’actualité du Cf2R N°643/Août 2024

Les 17 et 18 juillet derniers, la capitale de l’Azerbaïdjan a accueilli le premier « Congrès des colonies françaises[1] » organisé par organisé par l’Union populaire pour la libération de la Guadeloupe avec le soutien du Groupe d’Initiative Bakou. Cet événement a réuni des dirigeants de plus de quinze partis politiques et mouvements indépendantistes provenant de Corse, de Mélanésie, de Polynésie, des Caraïbes et des Antilles. Les participants ont, au terme de cette conférence, signé une déclaration sur la création d’un « front international de libération ». Tout porte à croire que le régime azerbaidjanais a déclaré une guerre hybride contre la France en s’attaquant à son maillon faible : l’outre-mer.

  • UNE MESURE DE RÉTORSION CONTRE PARIS

Rien ne va plus entre Paris et Bakou depuis la guerre du Haut-Karabagh de 2020 et la dissolution effective du Groupe de Minsk de l’OSCE. Jusqu’alors, la France, en sa qualité de coprésidente, était tenue à une neutralité absolue. Depuis novembre 2020, les relations franco-azerbaïdjanaises se sont considérablement dégradées, Paris ayant renforcé son soutien politique, diplomatique et militaire à l’Arménie. Une décision justifiée par son soutien à la défense d’Erevan contre les velléités annexionnistes de l’Azerbaïdjan qui occupe près de 200 km2 de son territoire, après avoir annexé le Haut-Karabagh en septembre 2023.

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A Bakou, on crie à l’hypocrisie car Paris n’a jamais dénoncé les quatre résolutions des Nations Unies qu’elle avait votées en 1993 soutenant la souveraineté azerbaïdjanaise sur l’ensemble de l’ancienne région autonome du Haut-Karabakh et les sept districts environnants. Lors d’une conférence organisée par ce même groupe, à Bakou, en novembre dernier, Aliyev lui-même avait même prononcé un discours à forte connotation anticoloniale, au cours duquel il faisait référence à la France plus de vingt fois[2].

Ayant échoué à imposer son narratif auprès des médias et influenceurs de l’Hexagone, la dictature azerbaidjanaise a opté pour une stratégie de guerre hybride menée sur deux fronts : le numérique d’abord, en multipliant des opérations d’intoxication pour ternir l’image de la France via des faux comptes relayant des informations en lien avec la sécurité des Jeux olympiques (les punaises de lit … ), mais aussi la répression brutale des « forces coloniales françaises » contre les manifestants kanaks en Nouvelle Calédonie.

Le régime de Bakou fait preuve de créativité pour accroître la résonance de ces revendications indépendantistes.  Celles-ci sont relayées sur le réseau X par des anonymes azerbaïdjanais et des personnalités plus influentes, comme le directeur du think tank AIR Center, Farid Shafiyev. Depuis octobre 2023, le parlement azerbaïdjanais accueille même un groupe de soutien au peuple corse et a publié un communiqué de presse début février pour dénoncer « la dictature macroniste[3] ».

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Bakou a également été accusé en décembre dernier d’avoir envoyé des journalistes « connus pour leur proximité avec les services de renseignement azerbaïdjanais » pour suivre un voyage en Nouvelle-Calédonie du ministre français des Armées, Sébastien Lecornu. Leur objectif : « écrire des articles sous l’angle de l’anti-France », selon la radio française Europe 1, qui avait révélé l’affaire[4].

  • LA NOUVELLE CALÉDONIE, CIBLE DE BAKOU

Bakou se trouve à 13 800 kilomètres de Nouméa. Rien n’indique que ce modeste pays du Caucase, certes riche en gaz et en pétrole, ait des intérêts à défendre en Mélanésie et dans la lointaine Océanie. Hormis les drapeaux, dont les bandes latérales sont curieusement de la même couleur, l’Azerbaïdjan et la Nouvelle-Calédonie ont peu de choses en commun. Pourtant, dans les manifestations nationalistes qui ont secoué l’île, on pouvait voir de nombreux militants autochtones kanaks arborer des tee-shirts portant le logo du groupe Initiative de Bakou, fondé en juillet dernier en marge d’un sommet des pays non-alignés, ainsi que le drapeau azerbaïdjanais lui-même, ou l’effigie du dictateur Ilham Aliyev, le poing levé, celui-là même qui a un jour déclaré qu’il allait « chasser les Arméniens comme des chiens ». Le compte Instagram de l’Initiative de Bakou compte plusieurs milliers de followers. Il s’emploie à relayer les messages des Kanaks et du Front socialiste de libération nationale et à attiser le ressentiment anti-français. Ce compte fait de même pour la Guyane et la Polynésie française, la Guadeloupe ou la Corse. Sans oublier les posts évoquant les pages sombres du passé colonial de la France – sans souci de vérité historique[5] -, en Algérie et ailleurs en Afrique.

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Outre la tenue du congrès anticolonial de juillet 2023, ce groupe organise des conférences en ligne avec des séparatistes d’outre-mer et prend en charge les frais de voyage de leurs représentants qui se rendent à Bakou. En avril dernier, un mémorandum de coopération a été signé entre le Congrès de Nouvelle-Calédonie et l’Assemblée nationale d’Azerbaïdjan et a provoqué des protestations dans les rangs loyalistes. L’objectif apparent du parlement de Bakou ? Sensibiliser la communauté internationale au droit à l’autodétermination du peuple de Nouvelle-Calédonie. Dernièrement en marge du congrès de juillet, il a été décidé d’accorder des bourses universitaires à des étudiants français ultramarins pour venir étudier dans les universités azerbaidjanaises[6].

N’étant pas à une contradiction près, le régime de Bakou propage son narratif sur la question du Haut-Karabagh, annexé en septembre 2023, auprès de son audience ultramarine, laquelle est peu regardante sur la pratique liberticide de son hôte lequel, outre avoir procédé à un véritable nettoyage ethnique visant les Arméniens opprime les minorités talish et lezguiennes d’Azerbaïdjan.

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  • DEVENIR LE CHAMPION DU « SUD GLOBAL »

On s’interroge sur le fait que le Groupe d’initiative de Bakou se contente de dénoncer le « néocolonialisme » français, tout en épargnant son allié, le Royaume-Uni, et son Commonwealth. De 2019 à janvier dernier, l’Azerbaïdjan a disposé d’un levier précieux en assurant le secrétariat général du Mouvement des non-alignés à l’ONU, organisation créée à Belgrade en 1961. Cela a suffi pour établir des contacts avec des peuples luttant pour leur indépendance. Cette organisation compte aujourd’hui de nombreux régimes autoritaires qui se cachent derrière un discours anticolonial pour justifier la nature de leur régime. Dans ce contexte, le gouvernement azerbaïdjanais, via le Groupe d’initiative de Bakou, le bureau de coordination de la réunion ministérielle du Mouvement des non-alignés, mais aussi le C24 (Comité spécial de l’ONU sur la décolonisation), a organisé en l’espace d’une année une dizaine de conférences avec des militants et des personnalités politiques des territoires français d’outre-mer.

Pour les dirigeants de la Nouvelle-Calédonie, l’Azerbaïdjan constitue vraisemblablement un levier leur permettant de construire un réseau international. Par le passé, le dictateur libyen Mouammar Kadhafi, en conflit avec la France au Tchad, avait soutenu les indépendantistes néocalédoniens. Contrairement à la Chine et à l’Australie, l’Azerbaïdjan ne lorgne pas sur les gisements de nickel de cette île du Pacifique. Mais Bakou continue de frapper Paris là où ça fait mal, son talon d’Achille, et s’ériger en champion du « Sud global » constitue une stratégie d’influence payante.

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[1] https://azertag.az/fr/xeber/bakou_abrite_le_congres_des_colonies_franchaises_mis_a_jour_video-3100238

[2] https://report.az/en/foreign-politics/president-ilham-aliyev-addresses-participants-of-international-conference-on-decolonization-held-in-baku/

[3] https://azertag.az/en/xeber/statement_by_people_of_corsica_support_group_set_up_in_azerbaijans_parliament-2907640

[4] https://www.europe1.fr/societe/info-europe-1-indopacifique-lazerbaidjan-a-mene-une-operation-de-destabilisation-lors-de-la-visite-de-sebastien-lecornu-en-nouvelle-caledonie-4219432

[5] https://azertag.az/fr/xeber/jean_jacob_bicep__la_france_est_un_pays_qui_commet_des_crimes_contre_ses_colonies-3100858

[6]https://azertag.az/fr/xeber/abbas_abbassov__le_groupe_dinitiative_de_bakou_a_annonce_loctroi_de_bourses_d_039etudes_en_azerbaidjan_pour_les_jeunes_des_colonies_franchaises-3100602

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