Les aventures de Robin des Bois : la légende au service du présent

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Robin des Bois

Errol Flynn en Robin des bois et Franklin D. Roosevelt en 1938 dans le décor du film. Cette photographie n’a jamais existé. Photomontage Service Picto Le Diplomate.

Par Lionel Lacour – Son site : http://cinesium.fr et son blog : https://cinesium.blogspot.com

En 1938, un des plus grands films d’aventure de l’Histoire du cinéma sortait aux USA. Réalisé par le cinéaste d’origine hongroise Michael Curtiz (qui réalisa par la suite Casablanca, rien que ça), Les aventures de Robin des bois avaient comme caractéristique d’être un des premiers films tournés en couleur, une nouveauté de l’époque ayant pour intérêt d’attirer encore davantage les spectateurs dans les salles (comme on a essayé plus tard de les attirer avec le cinémascope, le relief…). Produit par la Warner, studio ouvertement pro administration Roosevelt, le film de Capra rassemble Errol Flynn et Olivia de Haviland pour la 3ème fois après Capitaine Blood (1935) et La charge de la brigade légère (1936), toujours sous la direction de Curtiz, formant un duo de cinéma parmi les plus célèbres, tournant encore ensemble 5 fois, dont 4 pour leur réalisateur fétiche!


Les origines européennes des Américains, et souvent des producteurs comme des réalisateurs, ont conduit les studios hollywoodiens à revisiter les histoires du vieux continent. Disney s’attaqua aux livres de la littérature enfantine (Blanche neige fut le premier long métrage d’animation). D’autres abordèrent l’Histoire des royaumes européens, des guerres entre cousins, frères et autres trahisons familiales qui pullulaient dans les livres d’Histoire et qui mettaient en avant les ragots d’alcôve, les complots et compromissions des familles royales ou seigneuriales et rarement le peuple.

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Les années 1930 correspondirent à la grande dépression américaine conduisant bien des populations ruinées à fuir les villes, à errer, à chercher refuge dans les grandes exploitations agricoles et spéculatives de Californie et de Floride ou à se rassembler dans des bidonvilles en périphérie des grandes villes. Le cinéma américain ne s’est pas gêné pour montrer cela. Chaplin bien sûr, mais Raoul Walsh, John Ford, Franck Capra et bien d’autres encore. Mais c’est peut-être Michael Curtiz qui a réussi le mieux à faire ressentir cette situation de grande détresse du peuple, abandonné par le pouvoir en place dans un film censé se dérouler à la fin du… XIIème siècle! Comment donc un film retraçant les temps (supposés) passés peut-il en dire autant sur le monde contemporain de la société américaine?

Se servir d’une Histoire mythifiée

La légende de Robin des bois est bien … une légende. L’existence de ce personnage, s’il apparaîtrait dans la tradition orale dès le début du XIIIème siècle n’est mentionnée par écrit que près d’un siècle après la capture du Roi Richard. Au XIXe s, Walter Scott reprend ce personnage de Robin dans Ivanhoe  C’est de ce livre que naît l’opposition entre Saxon et Normands, de même que les origines nobles de Robin, seigneur saxon décidant de se mettre hors la loi pour défendre son peuple contre les exactions des Normands dirigés par le Prince Jean, frère de Richard, prenant le titre de régent pendant l’infortune de son frère dans le but de lui ravir définitivement le trône.
En se servant de ce récit romanesque et très fictionnalisé, Curtiz peut se servir, sans la pression de l’exactitude historique, d’une histoire du passé pour en tirer une morale qui serait contemporaine à la production du film. Il ne reste plus qu’à trouver les différents symboles pour cette parabole.

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Le peuple est assez facile à identifier. Il s’agit des Saxons, oppressés par le pouvoir, les taxes et les puissants. Ces derniers sont symbolisés par les seigneurs Normands et leurs hommes. Par comparaison, le film de John Ford, reprenant l’œuvre de Steinbeck, évoque la même logique. En effet, dans Les raisins de la colère, réalisé deux ans après (1940), une séquence montre combien les paysans sont chassés de leurs terres par des hommes parfois eux-mêmes issus du peuple, et obéissant aux ordres des compagnies et des banques, les puissants s’enrichissant sur le dos du peuple. La comparaison est aisée à faire ici entre seigneurs normands et capitalistes de la grande dépression. Robin des bois symbolise celui qui agit et s’oppose à l’oppression sur le peuple. Toujours dans le film de John Ford, le personnage principal, Tom Joad, interprété par Henry Fonda, accepte d’être hors la loi pour permettre à ce que les plus humbles puissent vivre, pour châtier ceux qui s’en prennent au peuple, à être partout où la misère s’abattra. Robin des bois n’agit de fait pas différemment. Mais il est lui issu de la noblesse ce qui n’est pas le cas de Tom.

Quant aux deux figures royales du film, l’opposition de comportement entre les deux frères est purement fictionnel et relève de la pure parabole, car ni Jean ni Richard ne furent des souverains populaires. Ainsi, le Prince Jean tenta bien de prendre le trône à son frère mais il fut pardonné et devint son héritier légal. Celui qui devint ensuite le fameux Jean sans Terre, n’était d’ailleurs pas aussi incompétent et violent que ce que la légende signifiait. Et l’Histoire retint même la Magna carta, document célèbre qui limitait l’arbitraire du roi face notamment aux seigneurs (document néanmoins arraché au Roi après une mini guerre civile!). Quant à Richard, il honora si peu son royaume de sa présence qu’il n’y avait que peu de chance de voir en lui ce roi “bien aimé” que la légende se plait encore à prétendre!
Dès lors, si la souveraineté et la nature du pouvoir sont représentées sous les traits de deux personnes, Jean et Richard, elles ne sont que des allégories de deux formes possibles de pouvoir, celui autocratique où seul le bon plaisir du Prince prévaudrait, celui plus libéral qui prend en compte le bien-être du peuple dans un climat de justice sociale.

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Des éléments d’identification forts au présent des spectateurs

Quand Robin fait découvrir à Marianne les camps de la forêt de Sherwood dans lesquels les pauvres saxons à qui le pouvoir normand a tout pris, les spectateurs ne peuvent que reconnaître ces camps qui pullulent en périphérie des grandes villes, peuplés de chômeurs, de vagabonds, de victimes de la grande dépression, vivant entassés et dans une misère extrême. Certes l’action du film est censée se dérouler en Angleterre. Mais les spectateurs voient toujours les films à leur présent. Et ce que vivent les pauvres saxons, pressurés par les taxes et l’absence d’emploi, les guenilles et abris de fortunes qui font le quotidien de ces gueux, bon nombre d’Américains ne peuvent que s’identifier directement ou reconnaître les personnes qu’ils côtoient.

Le personnage de Robin des bois illustre la figure de Franklin Roosevelt. Ce dernier est issu de la grande bourgeoisie américaine. Franklin, dont les origines auraient laissé penser qu’il se serait tourné naturellement vers le parti républicain, va défendre les couleurs du parti démocrate et s’en prendre aux financiers et banquiers lors de sa première campagne présidentielle de 1932, responsables selon lui de la situation sociale du pays. Son souci de défendre les intérêts du peuple contre ceux qui le plonge dans la misère, de mettre en place le “New deal” avec notamment la politique des grands travaux afin de redonner du travail aux millions de chômeurs, va marquer à jamais la personnalité de Roosevelt.

Or le personnage de Robin se confond avec celui du président démocrate. Comme lui il est issu d’une classe privilégiée puisqu’il est seigneur de Locksley. Lui aussi abandonne le camp du pouvoir pour donner son temps et son énergie pour défendre le peuple des exactions des puissants, quitte à être renié par ses pairs. Lui aussi préfère la justice sociale et le partage, notamment quand il détrousse les nobles et évêques pour redistribuer le butin au peuple mais aussi pour la rançon du roi Richard, symbole d’un exercice du pouvoir harmonieux et juste.
Mais la ressemblance entre Robin et Roosevelt ne s’arrête pas là. Ainsi, Lady Marianne, pupille du Roi Richard et soutien en début du film du Prince Jean, est une personne totalement liée au pouvoir normand, et donc oppresseur. Pourtant, elle sait se faire apprécier des Saxons, du peuple, en défendant Robin. Roosevelt est pour sa part mariée à Eleanor, nièce de Theodore Roosevelt, le président américain républicain de 1901 à 1909. Elle aussi a tout pour être une parfaite républicaine et va pourtant se marier à un homme entièrement dévoué à la cause du peuple, le soutenant parfaitement lui donnant une popularité importante.

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Vu en période de croissance comme dans les années 1960, les allusions au présent des spectateurs de 1938 sont complètement effacées, notamment chez les plus jeunes. De même, la politique sociale menée par Roosevelt n’est que de moins en moins perceptible dans le film de Michael Curtiz pour les spectateurs des décennies suivantes. Pourtant, aujourd’hui, à l’heure où la crise économique qui frappe le monde occidental et qui plonge bon nombre de citoyens dans des situations d’une extrême précarité, redonnant naissance à des bidonvilles autour de zones pourtant riches, aux USA comme en France (dans la Silicon Valley, à Lyon ou ailleurs), la contemporanéité du film est réactivée. Cependant, il manque aujourd’hui un élément d’identification car aucun dirigeant actuel ne peut se trouver symbolisé dans le personnage de Robin. La version de 2010 de Ridley Scott se justifierait donc. En décalant l’histoire au moment de la rédaction de la Magna Carta, en faisant de Robin une sorte d’imposteur venu du peuple, mais agissant pour que le pouvoir soit plus respectueux des droits de ses sujets, le discours n’est finalement pas bien différent sur les attentes des spectateurs. Mais si la contestation vient par Robin, celui-ci ne veut pas substituer un souverain par un autre mais veut que l’exercice du pouvoir soit encadré par un texte constitutionnel, établissant des contre-pouvoirs pour empêcher toute forme d’oppression. Le refus du roi Jean de signer est évidemment anhistorique, mais il correspond finalement à ce que les spectateurs-citoyens peuvent ressentir aujourd’hui de leur pouvoir, politique mais surtout économique: une impossibilité de contrôler des pouvoirs qui oppriment.
Le personnage de Robin des bois n’a donc pas fini d’être utilisé pour symboliser les combats pour contrôler les pouvoirs qui plongent le peuple dans la détresse sans que les détenteurs de ce pouvoir ne se mobilisent contre cette injustice, et pire, continuent eux à s’enrichir quand le reste de la population se paupérise.

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