L’offensive ukrainienne dans l’oblast de Koursk

Shares
offensive ukrainienne
Des chars Ukrainiens en Russie ? Photomontage Le Diplomate

Par Sylvain Ferreira

Six jours après le franchissement de la frontière russe dans l’oblast de Koursk par l’armée ukrainienne, les forces de Kiev ont déjà cessé la phase d’exploitation démarrée dès le 6 août dans l’après-midi face au déploiement des réserves russes.

Une opération combinée

Le 6 août vers 3 heures du matin, douze bateaux transportant des troupes ukrainiennes se dirigent vers le banc de sable de Tendra à la pointe occidentale de la péninsule de Crimée, avec l’intention d’effectuer un débarquement. Au terme d’un bref accrochage, les trois premiers bateaux sont détruits et rejetés sur le rivage. Les neuf autres font demi-tour et repartent dans la direction opposée. Au même moment, à plus de 500 km au nord, les premiers éléments des forces spéciales ukrainiennes franchissent la frontière russe au nord de Soumy. Ils ouvrent la voie à plusieurs éléments blindés-mécanisés qui vont porter la guerre en territoire russe. Avec au moins 1 000 hommes et plusieurs centaines de véhicules blindés – dont des chars – engagés dans le premier échelon de cette offensive, il ne s’agit pas d’un nouveau raid comme ceux lancés précédemment par les forces russes dissidentes dans l’oblast de Belgorod mais bel et bien d’une opération d’envergure. Cette hypothèse est renforcée par l’énumération sur les réseaux sociaux des brigades ukrainiennes engagées – 6 ou 7 selon les sources – pour un effectif total d’environ 10 000 hommes. Si l’échec en mer Noire passe inaperçu dans les médias mainstream, le succès de l’opération terrestre dans l’oblast de Koursk va rapidement faire « la une » des journaux télévisés, même si une certaine retenue face au succès initial ukrainien au cours des 36 premières heures a surpris les observateurs avertis. Après avoir pénétré sans difficulté le mince rideau défensif russe articulé autour des unités de gardes-frontières, les groupes de reconnaissance en profondeur ukrainiens composés d’une demi-douzaine de véhicules blindés à roue se ruent sur les principaux axes routiers vers le nord, le nord-ouest et l’est pour interdire tout rétablissement défensif russe. Certains groupes semblent s’infiltrer dangereusement en direction de la centrale nucléaire de Kourtchatov située à environ 60 km de la frontière. Sur les réseaux sociaux, les soldats ukrainiens se filment à l’entrée de certaines localités traversées en trombe tandis que les premières images de conscrits russes capturés par les Ukrainiens font également leur apparition. De plus, les images des destructions provoquées par les combats, les informations sur la mort de plusieurs civils russes et l’absence de réaction rapide de l’armée russe pour repousser l’attaque sèment un vent de colère et d’incompréhension en Russie. Plusieurs voix s’élèvent notamment chez les « turbo-patriotes » pour critiquer ouvertement le gouvernement, l’armée et Vladimir Poutine. Pourtant, malgré le succès initial ukrainien réalisé sous un astucieux parapluie de drones et de brouillage électronique, les unités ukrainiennes se trouvent déjà en posture défensive et commencent même à perdre une partie du terrain conquis comme le village de Snagost’ reconquis complètement le 12 août au matin. Les pertes ukrainiennes s’élèveraient à plus de 1 200 tués, blessés et disparus ainsi que la perte de plusieurs dizaines de véhicules blindés, dont au moins 10 chars de combat, plusieurs pièces d’artillerie. 

À lire aussi : « L’amicale des Putschistes sahéliens » s’activent désormais au grand jour

Quels objectifs ?

Au-delà de l’effet de surprise et des commentaires affolés sur les réseaux russes ou euphoriques côté occidental, il faut analyser la situation pour essayer de déterminer les objectifs poursuivis par les Ukrainiens en menant une telle opération loin des combats du Donbass où l’armée russe poursuit sa progression lente et méthodique depuis la chute d’Avdiivka en février dernier. Tout d’abord, certains observateurs pensent que les Ukrainiens visaient la centrale de Kourtchatov pour porter à la fois un coup symbolique très fort à la Russie mais aussi pour « l’échanger » avec celle de Zaporijia contrôlée par les Russes depuis mars 2022. Étant donné les moyens limités – quelques groupes de reconnaissance en profondeur – engagés dans la direction de la centrale, cet objectif semble peu vraisemblable. D’autres évoquent l’idée de provoquer un redéploiement d’unités russes engagées dans le Donbass pour éviter l’effondrement prochain du front ukrainien dans ce secteur. Les Ukrainiens auraient choisi le secteur au nord-est de Soumy parce que les Russes venaient d’enlever les champs de mines en vue du lancement de leur propre attaque dont on nous parle depuis la mi-mai. Cependant, six jours après le début de l’opération ukrainienne, aucune unité russe n’a été redéployée depuis ce secteur. Seules des unités du groupe « Nord » concentré autour de Belgorod ont été engagées pour repousser la pénétration ukrainienne ainsi que des unités de réserve. Cette hypothèse serait couplée avec un autre objectif : les Ukrainiens voulaient s’emparer d’une portion de territoire russe pour avoir des gages territoriaux en vue de prochaines négociations avec Moscou[1]. Cela paraît très hypothétique étant donné la position russe à l’égard de Zelensky considéré comme illégitime depuis la fin de son mandat au printemps dernier. Les nouvelles tentatives d’incursion ukrainienne au sud-est du secteur de Soumy depuis le 6 août tendraient à valider cette option. Sur le plan tactique, le déroulement de l’attaque initiale va dans ce sens. Les groupes de reconnaissance en profondeur ukrainien s’enfoncent en profondeur pour empêcher toute contre-attaque rapide russe, occupent des carrefours stratégiques en montant des embuscades spectaculaires reliées sur les réseaux sociaux pour occuper le champ informationnel et discréditer les capacités de l’armée russe, tandis que le gros de l’effectif engagés, bien doté en engins du génie, se retranche dans une bande de terre de 15 à 20 km à l’intérieur du territoire russe pour contraindre les Russes à la reprendre de vive force dans les semaines qui viennent. Enfin, face aux pertes ukrainiennes qui s’accumulent depuis vendredi et l’arrivée des réserves russes, les Ukrainiens pourraient tout simplement se replier derrière la frontière pour éviter l’attrition à laquelle les Russes vont les soumettre dans les jours qui viennent et qui risquent de diminuer encore leurs moyens pour poursuivre la guerre au-delà de cette année.

À lire aussi : Ukraine : bilan des attaques sur la frontière russe

Une victoire médiatique trop chère

En ce qui me concerne, je pense que cette opération est d’abord conçue pour occuper le champ informationnel en portant un coup au moral de la population russe en remettant en cause le narratif du Kremlin. L’idée d’occuper pour un temps une partie du territoire russe pour détourner une partie du corps de bataille de l’armée russe peut parfaitement s’entendre même si, selon les éléments dont nous disposons à cette heure, cela n’a pas fonctionné. Néanmoins, le risque est très – trop ? – élevé pour une armée dont les moyens sont limités d’abord sur le plan humain mais aussi sur le plan matériel. Alors que partout dans le Donbass, l’armée russe progresse de Kupiansk à Chasov Yar, de Toretsk à Ougledar, cette opération ressemble à s’y tromper à l’opération Frühlinserwachen menée par les Allemands en Hongrie aux abords du lac Balaton en mars 1945 alors que l’Armée Rouge était à moins de 100 km de Berlin[2].

À lire aussi : Ce Jour ou Ukraine et Russie sont devenues ennemies


[1]   Cela paraît très hypothétique étant donné la position russe à l’égard de Zelensky considéré comme illégitime depuis la fin de son mandat au printemps dernier.

[2]   Ferreira, Sylvain, Le III. Panzerkorps, l’élite des Panzer à l’est, Caraktère, 2023, pp. 170-181

À lire aussi : Le grand entretien du Diplomate avec le général Pinatel sur les derniers évènements en Ukraine


#SylvainFerreira, #FrontièreRusse, #OblastDeKoursk, #OffensiveUkrainienne, #DébarquementUkrainien, #Crimée, #Tendra, #Soumy, #OpérationTerrestre, #ForcesUkrainiennes, #RéservesRusses, #CentraleDeKourtchatov, #Donbass, #Avdiivka, #Zaporijia, #Belgorod, #ConflitUkrainien, #GuerreUkraine, #RéactionsRussie, #StratégieMilitaire, #GuerreModerne, #TactiqueMilitaire, #MoralDesTroupes, #Informationnel, #PertesUkrainiennes, #OpérationFrühlinserwachen, #HistoireMilitaire

Shares
Retour en haut