Dans un Liban en faillite économique et politique, un homme par sa richesse, sa longévité et son influence attire l’attention. Il s’agit ni plus ni moins que du directeur de la banque centrale du Liban Riad Salamé. En poste depuis trois décennies, il subit aujourd’hui les coups de boutoir de la justice libanaise mais également européenne pour de multiples affaires de corruption.
Au pays du Cèdre, il n’y a pas une semaine sans que le feuilleton Riad Salamé ne connaisse un nouveau rebondissement. Plus à la tête de l’État libanais, Michel Aoun continue d’accuser le directeur de la Banque centrale du Liban (BDL) d’être le responsable du chaos financier. Pour sauver les meubles d’une présidence qui a vu le Liban se décomposer, le général pointe du doigt l’omnipotence et l’omniprésence du banquier dans les affaires libanaises. Pourtant, six mois après sa prise de fonction à la tête du pays il s’était empressé de le reconduire en 2017 aux commandes de l’institution bancaire.
Si l’ancien chef d’État libanais semble vouloir trouver un bouc-émissaire pour justifier les déboires de son propre mandat, Riad Salamé est également la bête noire de la société civile. Il cristallise à lui seul cette méfiance à l’égard des élites libanaises.
De la gloire au discrédit
Issu d’une riche famille ayant fait fortune dans le cacao au Libéria, il obtient son diplôme en économie à l’université américaine de Beyrouth, et débute très rapidement sa carrière chez Merrill Lynch en tant que gestionnaire de patrimoine à New-York. Il gravit les échelons dans la hiérarchie et devient vice-président et conseiller financier de la boîte à Paris. Gérant la richesse de Rafik Hariri, il se rapproche de son clan. Le Libano-saoudien alors Premier ministre du Liban en 1992 le nomme gouverneur de la banque centrale du Liban en 1993. Au lendemain de la guerre civile qui a ravagé des pans entiers de la capitale, sa mission est de financer sa reconstruction. Il a ainsi permis à l’État de s’endetter massivement auprès de créanciers étrangers.
Le jeune banquier arrive tant bien que mal à maintenir la parité entre le dollar et la livre libanaise en 1997 et stabilise donc la monnaie locale. Ses prouesses financières font de lui le «meilleur banquier de la planète», selon le magazine Euromoney en 2006. Il est également considéré comme le « banquier central de l’année 2009 » par le mensuel britannique The Banker pour avoir sauvé le Liban de la crise des subprimes en 2008. De surcroît, selon les informations révélées par Wikileaks, Riad Salamé était même pressenti pour être président de la République libanaise.
Mais fin de l’illusion durant la décennie 2010, la roue tourne pour le secteur bancaire libanais. Entre la guerre en Syrie, l’arrivée massive des réfugiés syriens, la baisse des transferts de la diaspora, la dégradation de la relation avec le principal investisseur étranger l’Arabie Saoudite, les crises se multiplient au Liban. C’est sans nul doute le soulèvement d’octobre 2019 qui va porter un coup fatal à Riad Salamé. Le pays du Cèdre est secoué par une crise économique, sociale et politique, les Libanais vouent aux gémonies la classe dirigeante dont fait partie Riad Salamé. D’un magicien de la finance, on lui accole l’image d’un banquier véreux qui a mis en place des « ingénieries financières » pour s’enrichir.
Une justice sur ses côtes
Il est notamment accusé d’avoir mis en place une pyramide de Ponzi à l’échelle du Liban. Ce système est un montage financier frauduleux qui consiste à rémunérer les investissements des clients essentiellement par les fonds procurés par les nouveaux entrants. Si l’escroquerie n’est pas découverte auparavant, la fraude apparaît au grand jour au moment où le système s’écroule, ce qui est le cas pour le Liban. Ce mécanisme a permis de cacher l’insolvabilité structurelle de l’État, tout en offrant aux banques libanaises et à leurs actionnaires de juteux profits. Ce système, basé sur des taux d’intérêt défiant l’entendement, autour de 15 %.
Tout ce camouflage financier a été dévoilé au grand jour avec la chute vertigineuse de la livre libanaise. Face à la crise, le président de l’époque Michel Aoun ordonne une audit de la banque du Liban, une des conditions sine qua non pour le versement de l’aide internationale, chose que refuse catégoriquement le banquier. Compte tenu de l’imbrication des différents partis politiques, des accointances financières et partisanes, Riad Salamé jouit d’une certaine immunité politique et judiciaire au Liban.
Mais l’homme de 72 ans est finalement inquiété non pas pour sa gestion financière du Liban mais pour des prétendues affaires d’enrichissement illicite, de blanchiment d’argent ou encore de détournement de fonds à l’étranger. Début 2021, la justice helvète s’intéresse notamment à sa fortune et ouvre une enquête préliminaire. Dans les faits, elle soupçonne Riad Salamé et son frère Raja d’avoir détourné plus de 330 millions de dollars de commission sur la vente de titres financiers de la banque centrale du Liban entre 2002 et 2015.
Puis, c’est au tour de la France de mettre son nez dans les affaires du banquier. En juin, le parquet national financier (PNF) avait également ouvert une enquête préliminaire pour «association de malfaiteurs» et «blanchiment en bande organisée» contre Riad Salamé. Cette enquête fait suite aux plaintes émanant de l’ONG Sherpa, qui elle lutte contre la grande délinquance financière, et le « collectif des victimes des pratiques frauduleuses et criminelles au Liban ». Elles ont scruté les origines du patrimoine financier et immobilier du pilote de la Banque du Liban depuis sa prise de fonction en 1993. « Son patrimoine s’élèverait à plus de 2 milliards de dollars » selon les plaignants. L’accusé dénonçait un acharnement judiciaire aux motivations politiques et affirmait que sa fortune provenait de son précédent travail en tant que gestionnaire de patrimoine chez Merrill Lynch.
Vers la chute des élites libanaises ?
Des enquêtes sont déjà ouvertes dans plus de six pays et son entourage est également dans le viseur de la justice. Hormis son frère, il y a également son fils Nadi, son ex-compagne Anna Kosakova et sa collaboratrice Marianne Hoayek.
En octobre 2021, il est de nouveau au cœur de l’actualité avec le scandale planétaire des Pandora Papers. Cette affaire de fraude fiscale à l’échelle mondiale met en lumière l’acquisition de deux sociétés Amanior et Toscana. Mais l’étude apporte surtout plus de détails sur l’entreprise de son frère FORRY Associates Limited, qui aurait reçu pas moins de 300 millions de dollars de la Banque centrale du Liban.
Des enquêteurs allemands, français et luxembourgeois ont fait le déplacement à Beyrouth à la mi-janvier 2023 pour investiguer sur le patrimoine de Riad Salamé. Si une mise en examen n’est pas encore à l’ordre du jour, cette fixette des justices européennes fait trembler le gotha libanais. Avec le nombre d’affaires qui planent autour du banquier, pas certain qu’il soit de nouveau reconduit à la tête de la banque centrale du Liban en juillet 2023. Vu les ramifications du système politique libanais, s’il chute de son trône il risque bien d’entraîner une bonne partie de l’élite libanaise avec lui.