Alors que le bilan du terrible tremblement de terre ne cesse de s’alourdir avec plus de 22 000 victimes, l’aide occidentale ne se presse pas au portillon syrien. La politisation de la solidarité des États-Unis et de l’Union européenne gangrène pour le moment le soutien destiné à la Syrie. Sanctionné et asphyxié économiquement, Damas peut néanmoins compter sur un sursaut arabe et l’appui d’autres pays.
Dans la matinée du 6 février, plusieurs séismes ont ravagé le sud de la Turquie et le nord de la Syrie. Les secousses sismiques ont même réveillé les habitants de Beyrouth et de Bagdad. Le bilan de cette terrible catastrophe naturelle n’est pour l’heure pas définitif compte tenu du nombre de personnes encore sous les décombres. Le 10 février, soit 4 jours après le tremblement de terre plus de 22 000 personnes sont décédées et ce alors que les secouristes sont toujours à l’œuvre.
Plus de 60 pays ont envoyé une aide financière ou des équipes de secouristes sur le territoire turc, dont la Grèce, la Suède et l’Arménie trois pays qui ont des relations pour le moins conflictuelles avec Ankara. Israël, qui a récemment renvoyé son ambassadeur en Turquie, a également fourni une aide logistique. La France elle, implantera un hôpital de campagne sur une superficie de 2000m², qui comprend une salle d’urgence, une salle d’opération, un laboratoire, une unité de réanimation et de nombreuses spécialités médicales.
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L’Agence américaine de développement (USAID) a souligné le 9 février dans un communiqué que 85 millions seraient versés à des partenaires sur le terrain « pour fournir l’aide urgente nécessaire à des millions de personnes » notamment en matière de nourriture et de soins de santé. Si l’aide occidentale et internationale s’active pour prêter main forte à la Turquie, ce n’est pas encore le cas pour la Syrie.
Une aubaine pour Bachar el-Assad ?
Pour des raisons politiques évidentes, l’Union européenne et les États-Unis ne se précipitent pas à Damas pour acheminer l’aide humanitaire. Une politisation de la solidarité qui provoque l’ire des autorités gouvernementales et religieuses syriennes. Le patriarche grec catholique melkite Joseph I, le patriarche syriaque orthodoxe Aphrem Ignatius II et le patriarche grec orthodoxe John X ont lancé un appel commun pour la levée de « l’embargo ». Cette demande fait écho à la déclaration du directeur du croissant rouge syrien. « J’appelle tous les pays de l’UE à lever les sanctions économiques contre la Syrie », a déclaré M. Khaled Haboubati lors d’une conférence de presse à Damas. L’organisation humanitaire, qui opère dans les zones gouvernementales, a également appelé « l’Agence américaine pour le développement (USAID) à fournir une assistance au peuple syrien ». Le régime syrien a pour sa part multiplié les appels à l’aide internationale pour opérer urgemment dans les zones touchées par le séisme. Le chef de la diplomatie syrienne Fayçal Moqdad affirme par ailleurs que le régime de Damas est prêt à « faciliter toutes les (procédures) nécessaires aux organisations internationales pour qu’elles fournissent une aide humanitaire». De surcroît, une campagne médiatique pour lever les sanctions a largement été partagée sur les réseaux sociaux syriens.
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Les États-Unis et l’Union européenne refusent tout contact direct avec Bachar el-Assad. Depuis plus d’une décennie de conflit, l’aide humanitaire transite par les zones non contrôlées par Damas, respectivement les régions rebelles du nord-ouest à Idlib via le passage de Bab al-Hawa frontalier avec la Turquie ou les régions sous domination kurde dans le nord-est. Le département du Trésor américain a toutefois annoncé la levée temporaire de certaines sanctions en lien avec la Syrie, avec l’objectif de voir l’aide être acheminée aussi vite que possible aux populations touchées. Cette mesure « autorise pour 180 jours toutes les transactions liées à l’aide aux victimes du tremblement de terre qui seraient autrement interdites » par les sanctions envers la Syrie.
La France a, pour sa part, annoncé qu’elle allait mettre en place une aide d’urgence à la population syrienne à hauteur de 12 millions d’euros. Cette aide sera distribuée « en lien avec les organisations non gouvernementales et avec les Nations Unies, dans l’ensemble des régions touchées par les séismes », a déclaré François Delmas, porte-parole du ministère français des Affaires étrangères, précisant que cela ne changeait pas par ailleurs l’« approche politique » de la France vis-à-vis du régime de Bachar al-Assad.
Depuis près de 10 ans la Syrie est sous sanctions internationales. L’administration Trump avait décidé de durcir ces mesures coercitives en juin 2020 avec la mise en place de la loi César. De ce fait, les entreprises syriennes ne peuvent commercer avec l’extérieur et les comptes de plusieurs hommes d’affaires ou politiques syriens ont été gelés. Cet embargo qui ne dit pas son nom plonge encore un peu plus la population dans la misère et les initiatives pour reconstruire la paix restent lettres mortes.
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Voulant affirmer ses fonctions régaliennes, le président syrien exige que l’aide humanitaire soit contrôlée par les autorités syriennes et non sous l’emprise d’une organisation étrangère. Selon Fabrice Balanche, spécialiste de la Syrie, Bachar el-Assad pourrait profiter de cette catastrophe naturelle pour reprendre la main sur des zones qui lui échappent encore. En effet, la région touchée par le séisme est elle-même subdivisée en quatre zones contrôlées par des groupes différents. Alep est contrôlée par les forces gouvernementales, d’ailleurs le chef d’État syrien s’est rendu sur place le 10 février pour constater les dégâts, le nord-ouest à Idlib est majoritairement aux mains du mouvement Hayat Tahrir al-Cham (HTS) anciennement sous tutelle d’Al-Qaïda. Le Nord d’Alep est contrôlé par des forces pro-turques, elles-mêmes opposées à celles d’Idlib. Et l’est de la ville est dominé par les kurdes des forces démocratiques syriennes (FDS).
Une solidarité panarabe
Pour l’heure, en attendant le déblocage complexe des sanctions et l’acheminement des aides occidentales, la Syrie peut compter sur la solidarité arabe. En proie à des difficultés économiques, le Liban s’est empressé d’envoyer une équipe de secouristes. Par ailleurs, l’ancien président Michel Aoun a appelé le président syrien pour lui témoigner de sa solidarité. Le puissant Hezbollah, allié de Damas, met également en place des mécanismes humanitaires pour apporter de l’aide aux zones ravagées par le tremblement de terre.
La Jordanie, Bahreïn, l’Égypte, l’Algérie et même la Libye ont envoyé de l’aide d’urgence comprenant du personnel médical, des secouristes et des denrées alimentaires de premières nécessités. En effet, trois avions de transport militaire de l’armée de l’air égyptienne ont atterri à l’aéroport de Damas et ont déchargé pas moins de 52 tonnes d’aide médicale et humanitaire. L’Irak voisine, a de surcroît acheminé en urgence plusieurs camions vers les villes dévastées. Dans le sillage de ce séisme dévastateur, le président tunisien Kais Saied a pour sa part décidé de rétablir complètement les liens avec Damas. En 2017, Tunis avait uniquement une mission diplomatique limitée. « La question du régime syrien est une affaire interne qui ne concerne que les Syriens » a déclaré le chef d’État tunisien lors d’une conférence de presse. Les Émirats arabes unis, puissant soutien du régime syrien depuis la renormalisation des relations en 2018, a promis l’envoi d’une aide de plus de 50 millions de dollars. L’Arabie saoudite, qui n’a pas encore renoué officiellement avec Damas, va mettre en place un pont aérien.
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Par ailleurs, Damas a pu bénéficier du soutien de ses alliés traditionnels. L’Iran a dépêché plusieurs convois humanitaires en direction d’Alep. Outre l’envoi d’une aide alimentaire d’urgence, les forces russes présentes sur place dans la base militaire de Hmeimim ont épaulé les équipes de secouristes sur place. D’autres pays comme la Chine, l’Inde, le Pakistan, l’Arménie voire le Venezuela sont venus en aide à la Syrie.
Ce terrible tremblement de terre a pour mérite de mettre en exergue la politique de chaque pays sur le dossier syrien. Indépendamment de la catastrophe, l’occident politise son aide pour éviter que Bachar el-Assad en récolte les fruits.