L’ouvrage s’intitule “un intermède centrafricain”. Son auteur, Charles Malinas, a été Ambassadeur de France à Bangui pendant une période cruciale pour ce pays aujourd’hui tombé dans les griffes de la milice russe Wagner. Ce récit vous parle du temps d’avant, quand la France gardait encore son influence africaine intacte au centre et à l’ouest du continent. Il témoigne d’une expérience diplomatique réussie, Malinas et son équipe “commando” vont œuvrer en faveur d’un dialogue tous azimuts avec les différents clans, factions ou personnalités religieuses d’un pays alors menacé d’une guerre civile sanglante. Sa relation étroite avec les autorités militaires françaises, avec les forces de l’ONU et la force africaine permettront une coordination réussie qui en trois mois permettra de ramener le calme avant qu’un nouveau gouvernement ne soit mis en place puis que soit enclenché le processus qui conduira à l’organisation d’élections.
2013, la guerre civile en Centrafrique fait rage
L’action de la France présentée dans le livre constitue un petit tour de force alors que la milice Seleka s’est emparée de Bangui au printemps 2013 et se rend coupable de massacres dans toute la ville en épargnant néanmoins le quartier musulman et ses commerçants. Un partis pris clanique et religieux assumé. Michel Djotodia, président par interim qui a fait chuter le président Bozizé en mars 2013 au moment de la prise de la capitale par les rebelles, est retranché dans son palais et peu disposé au dialogue… Les tensions claniques et religieuses sont fortes et les capacités d’action du gouvernement réduites : le pays possède des structures étatiques d’une extrême fragilité et ses puissants voisins, le Congo Brazzaville et le Tchad, jouent leur carte politique pour garder ce pays très pauvre mais riche de son sous-sol diamantaire, sous contrôle. De décembre 2013 à Juillet 2016 l’Ambassadeur Malinas accompagnera le retour au calme et sera partie prenante de l’organisation des élections en soutien des autorités centrafricaines. Un bilan diplomatique impeccable.
Malinas, l’honneur de la diplomatie française et la chute d’un Ambassadeur.
Mais l’histoire diplomatique est cruelle. Cet ambassadeur auréolé de la réussite d’une mission à haut risque qui aurait pu se transformer en guêpier a été mis à la retraite d’office voilà 4 ans par le Quai d’Orsay. Une affaire tordue de visas. Le Quai lui reprochera son “laxisme” dans l’attribution de visas aux centrafricains alors que le nombre de titres délivrés sous sa gouverne est à peine supérieur à celui de son prédécesseur. Cette affaire lui coûtera son Ambassade à Prague, où il avait été nommé en 2016 à la sortie de la Centrafrique, et sa fin de carrière. L’homme, un amoureux de culture et de bonne chère, partage aujourd’hui son temps entre ces vieilles régions de France que sont le Limousin et la Bourgogne.
Il a repris le dessus, et l’écriture de cet “intermède centrafricain” aura été pour lui aussi doux qu’un intermezzo de Puccini. Un pansement et une réhabilitation. Cet ancien élève de l’ENA a dû subir le chômage deux ans après qu’il a été sèchement remercié de l’administration du Quai. Aucune rancune dans sa bouche cependant. Ce livre, préfacé par Hubert Védrine qui rend hommage à son action tout en soulignant l’injustice qui lui a été faite, est un plaidoyer en faveur de l’action collective, un hommage rendu à ses collaborateurs et surtout aux partenaires centrafricains avec qui il a pu travailler.
C’est une évidence : Malinas a aimé les Centrafricains et la Centrafrique. Une greffe réussie pour celui qui était considéré jusque-là comme un spécialiste des questions culturelles et allemandes, lui qui a été conseiller de coopération et d’action culturelle à Berlin, numéro deux à Prague et qui a connu une riche carrière de conseiller en cabinet. Il a notamment travaillé comme conseiller budgétaire du ministre Védrine, conseiller diplomatique d’Aurélie Filipetti à la culture ou directeur de cabinet de la ministre de la Francophonie Yamina Benguigui.
C’est à la sortie de cette dernière expérience qui l’a mis en contact avec les États africains membres de l’Organisation Internationale de la Francophonie, que le puissant Alexandre Ziegler, directeur du cabinet de Laurent Fabius, lui proposera l’Ambassade à Bangui.
Malinas est connu comme un homme de caractère qui ne se déballonne pas devant les difficultés. Généreux de son temps et protecteur avec ses collaborateurs il est aussi capable de colères dantesques qui ne lui ont pas valu que des amis dans l’univers feutré du Quai d’Orsay. C’est sans doute ce qu’il paiera, de façon parfaitement injuste, dans l’affaire des visas qui semble avoir été grossie à souhait par ses adversaires.
Imposer la présence du politique au côté du militaire
Quand Charles Malinas est nommé Ambassadeur en décembre 2013 la force militaire française forte de 1500 hommes vient de déclencher l’opération Sangaris et se déploie à Bangui et dans le pays. Le premier impératif de l’Ambassadeur est d’établir un échelon politique solide face à l’échelon militaire. Ni domination ni soumission face aux soldats pourrait-on dire. La Diplomatie déploie ses ailes. L’entente avec les généraux puis les colonels qui dirigent l’opération sera totale et un des gages du retour au calme dans le pays. Une méthode d’action se développe peu à peu. Le lien avec Paris est permanent. Durant les 3 mois où le pays se trouve en véritable guerre civile, il s’opère directement avec le directeur de cabinet du ministre Fabius, Alexandre Ziegler. Puis il sera fondé sur les échanges quotidiens avec Guillaume Lacroix le conseiller Afrique et très fréquents avec le directeur Afrique et de l’Océan Indien, Jean-Christophe Belliard. Loin d’une prise de décision verticale et concentrée à Paris, la liaison Paris Bangui dessine un “faire-ensemble” efficace. Le piège d’une France bouc émissaire, prise en otage politique de tel ou tel clan est évité comme la tentation de faire à la place des centrafricains.
Un dialogue à 360 degrés
L’ambassadeur parle avec tout le monde, et se rend partout. La prise de parole au sein du quartier Musulman, le Km5, est un des moments forts du livre puisque la France est alors dans le collimateur et accusée de parti-pris antimusulman. Des inscriptions anti-françaises tapissent les murs. La tension est palpable mais le discours de l’Ambassadeur et des autorités locales face à la société civile et aux représentants religieux rassemblés dans la cour d’une école aura un effet cathartique. Le soir même les inscriptions seront effacées.
Au final, les autorités transitoires centrafricaines seront accompagnées. La coopération française permet ainsi d’appuyer les efforts de la ministre de l’éducation pour éviter le trafic de diplômes. Le taux de réussite au Bac revient à 8 pour-cent (au lieu de 20 pour-cent auparavant), plus proche de la réalité du niveau scolaire d’un pays qui manque à tel point de professeurs que ce sont parfois les parents qui sont obligés d’assurer la classe. Au plan agricole la culture vivrière est relancée pour un équilibre face aux cultures de la rente (coton, canne à sucre). Le processus de désarmement dit DDR et RRS s’engage également, même si timidement, pour faire diminuer les violences puis les rendre ponctuelles. Le dialogue inter religieux et les réunions de conciliation qui sont mises en place, en particulier le forum de Bangui, permettent enfin de s’acheminer vers les élections de 2016 qui déboucheront sur l’élection d’un nouveau président, Faustin-Archange Touadéra. C’est l’organisation de ce Forum de Bangui, plateforme ouverte à la société civile, aux autorités politiques et religieuses mais aussi aux groupes armés, qui permettra d’aller aux urnes dans un climat apaisé. Charles Malinas rend ainsi hommage, entre autres, au cardinal Dieudonné Nzapalaianga qui sera un des artisans du dialogue inter religieux et qui n’hésitera pas à aller dialoguer avec les populations chrétiennes alors qu’un massacre vient de les toucher, massacre perpétré par un groupe milicien musulman. Des femmes et hommes de bonne volonté sont présentés dans le récit, hommage au courage et à la hauteur de vue de celles et ceux qui dépassent la logique des clans et de la prédation.
Et Wagner arriva en fanfare
L’armée privée russe débarque moins de deux ans après les élections de 2016 qui pouvaient être considérées comme un succès pour les Centrafricains et une réussite diplomatique pour la France.
Le Quai d’Orsay n’a donc pas pu capitaliser sur le mandat d’un Ambassadeur qui quitte le pays à l’automne 2016.
L’influence politico-militaire russe, matérialisée par un accord de défense signé, avec en marge, d’importantes concessions minières, s’est fondée sur un sentiment d’abandon. La force Sangaris se retire le 31 octobre 2016 et laisse le champ libre à la puissance étrangère russe. L’Ambassadeur avait plaidé en vain le maintien d’une force de réaction rapide de 500 hommes dotée d’hélicoptères qui aurait permis une veille militaire en continu et un appui aux forces des Nations Unies.
Cette opération militaire française aura été la 7eme depuis l’indépendance du pays en 1960 alors que la France est la seule puissance européenne à avoir une Ambassade, si l’on excepte la délégation de l’Union européenne.
Un lien militaire fort et une omniprésence diplomatique qui ne riment pas avec une quelconque omnipotence politique cependant.
La France pourrait trouver en l’Europe un relais naturel à son action africaine mais le fonctionnement même des délégations européennes et du service extérieur de l’Union créent un lien complexe avec des fonctionnaires européens qui regardent les autorités diplomatiques françaises avec une pointe de réserve. Y compris (et peut-être surtout) quand ces fonctionnaires sont français.
Le discours anticolonialiste et la litanie autour de la fin de la France-Afrique dans l’opinion publique hexagonale ou chez certains dirigeants africains créent ce paradoxe d’un lien qui reste historiquement fort mais qui est fragilisé par une volonté de rupture. Que cette dernière relève de la posture ou d’une stratégie visant à multiplier tous-azimut les partenaires pour faire monter la mise, la réalité de notre influence est au recul sur une partie du continent. “Le hard power” français est dans le viseur et le retrait des troupes françaises du Mali puis du Burkina en sont les derniers exemples les plus tristement éclatants.
“L’intermède centrafricain” a le mérite de montrer ce que l’alliance entre une diplomatie adroite et un pouvoir militaire fort peut donner en termes d’efficacité.
La fin de cet intermède harmonieux sonne peut-être définitivement le glas d’une relation Paris-Bangui solide. La Russie a mis le pied sur le continent à travers la Centrafrique, sa tête de pont, et est dans une stratégie de déploiement en Afrique de l’ouest avec laquelle la France devra composer. On aurait tort dans ce contexte de faire place nette face aux soldats russes et de sombrer dans une désastreuse politique du “tout ou rien”. La France est un partenaire historique des Centrafricains et la longue histoire de notre coopération commune postindépendance doit amener la redéfinition des modalités de notre présence sur place. Comme l’écrit Charles Malinas en guise de feuille de route possible en conclusion de son livre :
“il faut rétablir les liens avec celles et ceux qui n’ont pas perdus espoir, dans la diaspora et sur place. Utiliser l’ambassade non plus comme un bouclier mais comme instrument d’action. Reprendre, le moment venu, la coopération humanitaire et économique. Bref, cesser de stigmatiser et, en dépit de la difficulté du contexte, rouvrir le dialogue »