Le ministre syrien des Affaires étrangères Faisal Mekdad (Centre- droite) rencontre son homologue omanais Sayyid Badr al-Busaidi (Centre-gauche) dans la capitale Damas le 31 janvier 2022. (Photo par LOUAI BESHARA / AFP)
Au lendemain du terrible tremblement de terre qui a ravagé le nord de la Syrie, Bachar el-Assad s’est rendu à Mascate. Attaché à sa politique non-interventionniste et médiatrice, Oman n’a jamais cessé, même en plein cœur du conflit, de militer pour la réintégration de Damas dans l’espace politique régionale.
Bénéficiant d’une solidarité panarabe suite au terrible séisme, Damas entend surfer sur cette conjoncture pour engranger des gains diplomatiques. C’est à ce titre que le président syrien s’est rendu dans la capitale omanaise le 20 février, une première en douze ans. Médiateur discret, mais important sur la scène diplomatique, Oman est l’un des rares pays arabes, et le seul dans le Golfe, à avoir toujours maintenu des relations diplomatiques officielles avec Damas depuis le début de la guerre en 2011. Pour Bachar el-Assad, il s’agit de son deuxième déplacement officiel dans la région après celui effectué aux Emirats arabes unis en 2022.
Le chef d’Etat syrien a donc été reçu en grande pompe à Mascate par le sultan Haïtham ben Tariq lui-même. Les deux hommes se sont entretenus dans le palais Al-Baraka Al-Amer et ont évoqué l’aide humanitaire, les défis régionaux et surtout le retour de la Syrie dans le giron arabe.
Damas peut en effet compter sur le soutien constant de la diplomatie omanaise. D’ailleurs, Bachar el-Assad a salué « les politiques équilibrées » d’Oman. La posture du sultanat garde une ligne directrice bien définie au regard de la crise syrienne.
Le chef de la diplomatie omanaise s’était rendu en novembre dernier dans la capitale syrienne. Le ministre omanais des affaires étrangères Badr bin Hamad al-Busaidi s’était à ce propos entretenu avec son homologue syrien Faisal Mekdad ainsi qu’avec le chef de l’État Bachar el-Assad. Ils ont passé en revue les problématiques régionales et internationales et ont mis l’accent sur la volonté commune d’approfondir les échanges entre les deux pays.
Le chef du gouvernement syrien l’avait par ailleurs remercié pour la constance de la politique régionale d’Oman. Pour sa part, le chef de la diplomatie omanaise avait remis en mains propres une lettre du sultan Haïtham ben Tariq pour présenter ses meilleurs vœux au peuple syrien.
Oman, fourmi ouvrière de la normalisation de la Syrie
C’est la deuxième fois en 2022 que Badr bin Hamad al-Busaidi se rend à Damas. En janvier, il avait qualifié la Syrie de « pierre angulaire de l’action arabe conjointe ». « Tous les frères arabes attendent toujours avec impatience la rencontre avec la Syrie et le retour de la cohésion arabe à son statut normal », avait-il déclaré. Le président Assad avait rétorqué :« Ce qui nous manque, en tant qu’Arabes, c’est de jeter les bases de la méthodologie des relations politiques et de tenir des dialogues objectifs basés sur les intérêts du peuple ». Malgré les turbulences régionales, les deux pays entretiennent des relations stables et constantes. En mai dernier, le ministre syrien de la Culture Lubanah Mshaweh s’était rendu à Oman pour le renforcement des liens culturels entre les deux pays. A ce titre, le musée national du sultanat n’expose pas moins de 175 antiquités syriennes.
Contrairement aux autres pays arabes du Golfe qui ont adopté des positions plus ou moins bellicistes et hostiles à l’égard de Damas, le sultanat d’Oman est toujours resté attaché à sa politique de médiateur des conflits régionaux. Malgré une réduction de sa présence diplomatique, c’est le seul pays de la région à avoir maintenu pendant la guerre des liens avec la Syrie. En octobre 2020, Oman a ainsi renvoyé un ambassadeur à Damas. De surcroît, le sultan Haitham bin Tariq a été le premier dirigeant du Golfe à féliciter Assad pour sa réélection en 2021. Fidèle à sa politique d’ouverture et de dialogue, le sultanat d’Oman n’a pas participé aux ingérences visant à déstabiliser la Syrie d’Assad. Malgré les pressions de ses partenaires du Golfe, l’ancien sultan Qabus ibn Saïd est resté attaché à sa diplomatie non-interventionniste.
Oman apparaît donc comme l’un des principaux soutiens arabes de la Syrie. Mascate milite aujourd’hui aux côtés du Caire, d’Alger et d’Abou Dhabi pour un retour de Damas dans le giron arabe. D’ailleurs, le sultanat a joué un rôle non négligeable dans la réouverture des ambassades de Bahreïn et des Emirats arabes unis en Syrie. Lors de son voyage à Oman en mai, le chef de la diplomatie russe Sergueï Lavrov avait même insisté pour que le sultanat continue de jouer ce rôle d’architecte de la normalisation syrienne. Or, compte tenu des divisions restantes sur le dossier syrien, le refus du Qatar et les incertitudes de l’Arabie saoudite, la Syrie n’a toujours pas retrouvé son siège au sein de la Ligue arabe.
L’allié de mon allié est mon allié
Même au cœur du conflit, Mascate a toujours privilégié la solution diplomatique et humanitaire : comprenant qu’elle pouvait tirer profit de cette neutralité, Damas a envoyé son ministre des Affaires étrangères à Oman en 2015. C’était le premier déplacement du chef de la diplomatie syrienne dans le Golfe depuis le début des hostilités en 2011.
La politique omanaise vis-à-vis de la Syrie s’explique également en partie par ses bonnes relations avec l’Iran. Pays limitrophe de l’Arabie saoudite mais également proche voisin de l’Iran, Oman a toujours entretenu de bons rapports avec Téhéran et Riyad même pendant les crises diplomatiques entre les deux rivaux régionaux.
Ce pragmatisme politique s’inscrit dans la durée, Oman essayant tant bien que mal de maintenir une neutralité dans le dossier nucléaire iranien et lors des rivalités politiques dans le Golfe. Par exemple, Mascate s’était même refusé de prendre parti pour l’un des belligérants lors de la guerre Iran-Irak dans les années 1980. Cette neutralité historique est notamment liée au facteur religieux omanais. Le rite ibadiste, qui représente le courant dominant à Oman, prône un discours pacifique loin des querelles confessionnelles entre chiites et sunnites. De tout temps, les ibadistes refusaient de participer aux conflits régionaux. Cet héritage encré dans la constitution omanaise se vérifie parfaitement au regard du conflit syrien.
Pour Damas, le rôle médiateur de Mascate n’est pas négligeable. Le soutien diplomatique d’Oman et son lobbying en faveur d’un retour de la Syrie au sein de la Ligue arabe pourraient davantage porter ses fruits avec le probable et futur réchauffement des relations avec l’Arabie saoudite. Oman deviendrait de fait l’intermédiaire parfait entre l’influence iranienne chiite et l’influence arabe sunnite sur le territoire syrien.