Comme nous le rappelions dans le premier épisode de cet article, le 22 février 2022, le président Vladimir Poutine a annoncé que la Russie suspendait sa participation à l’accord New Start qui visait à limiter les arsenaux nucléaires de la Russie et des États-Unis. Certes, le ministère de la défense russe et le porte-parole du Kremlin ont précisé qu’en absence d’actes hostiles américains et ou de reprise des essais nucléaires étatsuniens, Moscou continuerait malgré cela à limiter la multiplication des arsenaux atomiques au niveau quantitatif. Toutefois, le fait que les autorités militaires russes aient depuis lors été appelées à se tenir “prêtes à des essais d’armes nucléaires” si Washington en effectuait de son côté ” suggère que le niveau de tension stratégique entre les deux anciennes superpuissances antagonistes de la guerre est à son comble, d’autant qu’aucun des deux protagonistes ne semble prêt ou même intellectuellement disposé à faire des concessions en vue d’un début de négociations visant à la déconfliction. Au contraire, des deux côtés, médias officiels et décideurs politiques se « chauffent » et surenchérissent verbalement dans une logique de diabolisation de l’autre et donc belligène qui accompagne de part et d’autres une montée en puissance et une augmentation constante de l’effort de guerre… Et l’un des dommages collatéraux stratégiques de cette course est bien évidemment l’effort de non-prolifération et les grands accords et traités de désarmements qui ont certes pris beaucoup de plomb dans l’aile depuis les années 2000 mais qui sont en train d’être littéralement réduits à néant, de sorte que la situation est aujourd’hui bien pire qu’aux pires heures les plus sismiques de la guerre froide…
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Relance de la course aux armements sur fond de néo-Guerre froide…
Comme nous le rappelions dans l’article précédent, les Etats-Unis ont violé l’Acte fondateur OTAN-Russie de 1997 qui impliquait de ne pas faire intégrer dans l’Alliance les pays de l’ex-Pacte de Varsovie. Au lieu d’œuvrer à une alliance “panoccidentale” qui aurait donné toute sa place à la Russie face aux menaces communes, notamment chinoise et islamiste, les stratèges de Washington et les élites de McWorld n’ont eu de cesse d’exclure la Russie de l’espace occidental et de poursuivre l’encerclement du Heartland russe par les manœuvres de stationnement et d’extension, toujours plus vers l’Est, des forces de l’OTAN, jusque dans “l’étranger proche” russe: Pays baltes, Roumanie, Pologne, ex-Yougoslavie; Bulgarie, sans oublier la ligne rouge ukrainienne évoquée plus haut. Cet élargissement sans fin de l’OTAN vers l’Est et le soutien américano-occidental aux rébellions et oppositions antirusses en Géorgie, Ukraine, Kirghizistan, a contribué à rendre la Russie bien plus hostile encore envers l’Occident qu’elle ne l’était à la fin de la Guerre froide. Cette stratégie visant à encercler la Russie et la priver de l’accès aux Mers chaudes puis à tenter de compromettre l’élargissement de son marché gazier ouest-européen, est depuis le milieu des années 2000 (guerre d’Irak, révolutions de “couleurs” ou “velours” en Ukraine-Géorgie, etc), un véritable casus belli pour Moscou. En réaction, la Russie poutinienne a renforcé sa coopération avec tous les ennemis de l’Occident: Chine, Corée du Nord, Venezuela, Iran…- La conséquence directe de cette nouvelle Guerre froide, dramatique pour la sécurité collective et pour la Vieille Europe prise en tenailles, a été le retrait, à l’initiative des Etats-Unis, de nombreux accords de non-nuisances, de traités de non-prolifération (nucléaire et balistique), et de non dissémination (armes conventionnelles) qui a permis à Washington, dans le cadre d’une véritable relance de la course aux armements, de retrouver des marges de manœuvres non seulement vis-à-vis de la Russie, mais aussi de la Chine. Cette dernière n’étant en fait contrainte par aucun traité de désarmement passé ou présent, le développement massif de son armement nucléaire, balistique et conventionnel ne souffre plus d’aucune limite… D’évidence, ces retraits américains des grands traités de désarmement et de contrôle des armes, suivis des réponses russes équivalentes sur fond de tensions en Ukraine, au Moyen-Orient et en Syrie, ont rendu plus probable que jamais des conflits entre les deux anciens grands du monde d’avant, y compris nucléaires. Ce retour redouté des conflits interétatiques concerne au premier chef l’Europe, théâtre d’interposition majeure entre la Russie et les forces atlantistes, mais également le Proche-Orient (armées russe et américaines se faisant face en Syrie), la mer baltique, la mer de Chine et l’Asie en général (continent comptant le plus grand nombre de pays dotés de l’arme nucléaire : Chine, Taïwan, Corée du Nord/Corée du Sud, Pakistan/Inde). Ainsi, on notera qu’à peine un mois après la décision de Donald Trump de retirer les Etats-Unis du traité sur les forces nucléaires à portée intermédiaires (INF), en août 2019, Washington a procédé à l’essai d’un missile balistique de moyenne portée qui a atteint sa cible après plus de 500 km de vol et qui n’a pas manqué de faire réagir la Russie comme la Chine, laquelle a dénoncé la recherche systématique de supériorité militaire par les Etats-Unis au risque d’une relance de la course aux armements dans la monde.
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A partir de 2010, les Etats-Unis ont ainsi mis en place par le biais de l’OTAN une véritable architecture globale de défense antimissile balistique en Europe (BMDE), couvrant cette fois tous les territoires des pays européens de l’OTAN et qui, au passage, encerclent la Russie, bien que prétextant être dirigés vers l’Iran… Ce système est objectivement destiné à rendre une frappe russe en retour impossible en cas d’une première frappe nucléaire de l’OTAN. En 2014, il a été poursuivi et amélioré par les Américains qui ont ensuite utilisé l’annexion de la Crimée comme prétexte pour implémenter des systèmes de détections radars de défense aérienne supplémentaires et des destroyers.
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La course aux armements est donc loin d’être stoppée, car en réponse, les Russes développent leurs systèmes de défense: un des exemples les plus importants et inquiétants concerne les missiles hypersoniques Avangard, à la pointe de la technologie. Testé en 2018 et mis en service le 27 décembre 2019 (juste au moment de l’abandon du traité FNI), ce missile est extrêmement performant, évoluant à une vitesse moyenne de Mach 20 (le maximum étant Mach 27, tandis que les missiles guidés traditionnel évoluent aux alentours de Mach 5), et pouvant délivrer des charges nucléaires d’une puissance de 2 mégatonnes… Autre particularité, ils sont capables de voler à une altitude anormalement basse (rasage) qui rendent la détection difficile et trop tardive pour une réaction. Ils peuvent ainsi détruire les missiles intercontinentaux ennemis directement dans leurs silos, remettant en question l’efficacité même de la défense de l’OTAN. Ce système a rendu Vladimir Poutine particulièrement fier du fait que “personne d’autre que nous n’a d’armes hypersoniques“… Précédemment, la Russie a également mis au point un missile balistique intercontinental du nom de Satan 2 ou « RS-28 Sarmat », très furtif et qui serait capable de détruire un territoire comme la France en quelques secondes.
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Washington se prépare à un affrontement direct contre la Russie, et cela de manière officielle, comme en témoigne le programme d’exercice « Defender 2020 », qui avait pour but de simuler l’attaque d’un des pays de l’OTAN. Pour cela, 37 000 soldats dont 20 000 Américains étaient attendus pour un budget de 315 millions d’euros, chiffre qui a finalement été considérablement réduit en raison de la pandémie (6 000 soldats américains). Cependant cela met clairement en lumière les objectifs de Washington : afficher leur domination sur l’Europe et leurs menaces à l’égard de la Russie.
Cependant, en se concentrant sur « l’ennemi russe », l’OTAN semble oublier la Chine, pourtant beaucoup plus menaçante, à terme, d’un point de vue géocivilisationnel, économique et stratégique, que la Russie, les forces armées américaines pouvant être dépassées dans quelques dizaines d’années par la Chine en cas de conflit dans le Pacifique. Ce déclassement est favorisé par la priorité américaine accordée au Moyen-Orient et à la Russie. De plus, la plupart des bases militaires américaines du Pacifique-Ouest manquent d’infrastructures de défense et sont vulnérables. Enfin, il ne faut pas oublier que la Chine nucléaire possède aussi l’armée la plus vaste au monde avec plus de deux millions de soldats opérationnels (et 800 000 réservistes) et un budget de la défense presque trois fois supérieur à celui de la Russie (172 milliards d’euros contre 64). En outre, elle a fortement investi dans les missiles balistiques de haute précision. Même si la puissance militaire américaine dispose encore d’une bonne marge de sécurité, dans un monde en évolution très rapide, les rapports de forces peuvent évoluer de façon surprenante. S’ajoute à cela le fait que la Chine développe elle aussi les armes hypersoniques, les outils de guerre informatique ou l’intelligence artificielle, domaine dans lequel elle aurait quasiment déjà atteint l’égalité avec les Etats-Unis et les aurait peut-être même déjà dépassé notamment le domaine de l’informatique quantique…
En guise de conclusion
Et elle arme et équipe, tout en le niant, la Russie, dans le cadre de la préparation de la grande confrontation qui vient avec l’empire américain-occidental qu’elle entend détrôner d’ici peu, en commençant par la récupération symbolique et stratégique de Taïwan qui n’est qu’une question de temps. L’étape d’après ou plutôt l’objectif majeur est de reprendre le contrôle de la Mer de Chine et de renvoyer les anglo-saxons et les occidentaux hors du maximum de territoires de l’Asie-Pacifique…