La guerre livrée par les islamistes radicaux frères musulmans combattants ou jihadistes salafistes, est d’abord psychologique et médiatique. Les insoutenables mises en scène de Da’ech ou Al-Qaïda montrant des têtes d’infidèles ou d’apostats coupées ne doivent pas être simplement mises sur le compte de la folie ou de la violence aveugle, car cette stratégie a permis à Da’ech de conquérir sans coup férir des villes et villages entiers de Syrie et d’Irak.
Le but des égorgeurs salafistes est avant tout de saper le moral de l’ennemi grâce à sa sidération et de faire parler d’eux au maximum grâce au pouvoir multiplicateur quasi infini des réseaux sociaux et des médias lorsque leur sujet est terrifiant. La sidération allie l’état de stupeur émotive paralysante à une forme de fascination masochiste et morbide. Dans la propagande mobilisatrice de Da’ech ou Al-Qaïda, elle est associée à une hyper communication fondée sur le processus d’identification et de mimétisme, bien connu du marketing de masse, mais qui est amplifié par la mode narcissique du « vu à la télé » et du voyeurisme propre à l’ère de la téléréalité et de Facebook. Ceci explique pourquoi les jihadistes désireux de sidérer le public occidental privilégient la mise en scène barbare de décapitations diffusées en direct de captifs occidentaux (habillés en orange, clin d’œil aux prisonniers de Guantanamo) – à qui l’on s’identifie aisément et dont la souffrance suscite effroi et démoralisation mimétique. Le choc psychologique de la sidération a pour but de susciter une soumission inconsciente immédiate et d’inhiber l’Autre en ôtant chez lui toute velléité de résistance et de combat. Il est destiné à créer un état de paralysie totale des masses suivie d’une soumission et d’une adhésion de la part d’une minorité électrisée et fascinée.
Dans les temps plus anciens, avant que l’internet, les médias et les réseaux sociaux n’apportent un effet multiplicateur et viral au phénomène, la stratégie de la sidération a moult fois fait ses preuves – comme la rumeur – qui fonctionne également par la communication virale et le bouche à oreille. Le meilleur exemple historique de sidération de l’ennemi demeure celui des conquêtes fulgurantes des Huns et des Mongols, mais les islamistes de Da’ech, AQMI, Al-Nosra ou Boko Haram puisent dans les premières expansions arabo-musulmanes, lorsque les Cavaliers des Califes rachidoun (« bien guidés ») conquirent toute l’Arabie puis le Machreq et le Maghreb et jusqu’à l’Espagne et la France (711 et 732), soit en à peine un siècle. La guerre psychologique déployée par Da’ech sert les batailles sur le terrain qui suivent elles-mêmes les stratagèmes. Comme jadis les terribles Huns d’Attila, Da’ech est toujours précédée de sa réputation barbare (crucifixions, décapitations, massacres en série à la kalachnikov, viols, personnes jetées du haut des immeubles ou brûlées vives, captifs accrochés à des crocs de boucher, etc).
La barbarie médiatisée est scientifiquement mise en scène selon les méthodes de la propagande et de la manipulation de masse héritée du nazisme et du communisme révolutionnaire
L’objectif de la stratégie de la sidération est de :
1/ terrifier psychologiquement les publics visés afin de leur faire perdre toute capacité et envie de combattre même s’ils sont supérieurs en nombre;
2/ « purifier » ethniquement les zones conquises sans combat afin d’élargir le lebensraum califal ;
3/ dissuader ex-ante toute velléité de résistance en créant chez l’ennemi un « syndrome de Stockholm « antérograde » (soumission volontaire par peur et anticipation), tout en acculant les plus tièdes du camp islamique, suspects de “trahison”, à rentrer dans le rang ;
4/ capter les pulsions sadiques de psychopathes en sommeil du monde entier qui voient dans Da’ech le moyen d’assouvir leurs fantasmes en toute légalité, moyennant une conversion, puis, plus largement, créer un effet à la fois viral et mimétique.
Provoquer un « syndrome de Stockholm antérograde généralisé »
Par la sidération et l’effroi « jetés dans le cœur des Infidèles », les stratèges jihadistes escomptent soumettre à terme les masses « mécréantes ». D’après le défunt professeur Bruno Lussato, qui avait étudié les phénomènes de violence et de soumission volontaire, les sociétés occidentales focalisées sur le combat contre leur propre identité diabolisée (car assimilée au mal totalitaire passé) seraient particulièrement vulnérables au « syndrome de Stockholm antérograde », expression qui décrit une soumission volontaire anticipatrice résultant d’une peur-paralysie induite par des campagnes de terreur à la fois décuplées par la culpabilisation des publics visés et par l’hypermédiatisation des actes terroristes. Le secret du syndrome de Stockholm antérograde provient du processus – voisin de la sidération – qu’est la subjugation exercée sur l’otage (réel ou imaginaire) par son bourreau qui finit par être compris et défendu dans une logique inconsciente de survie et d’explication-justification a posteriori de la violence subie[1]. Ainsi, le public occidental qui regarde terrifié l’image de l’otage en train de lire un message rendant l’« impérialiste-croisé » responsable des égorgements d’Infidèles a vocation à devenir un futur « complice » idéologique objectif qui relaiera, par peur anticipatrice, une partie des griefs des islamistes qui accusent les gouvernements « croisés » d’avoir « envahi des terres musulmanes » (Irak, Afghanistan, Libye, Syrie, Mali, etc) ou « opprimé » les musulmans, la violence n’en étant en fin de compte que la conséquence légitime. Le meilleur exemple passé de ce syndrome de Stockholm collectif fut le vote des Espagnols terrifiés par les attentats de Madrid (2004) en faveur de Luis José Zapatero alors que la droite était donnée largement vainqueure la veille des attentats. En fait la sidération provoquée par les attentats dans la gare d’Atocha à Madrid conduisit les Espagnols non pas à sanctionner J. M. Aznar, puisqu’il ne se représentait pas, mais à justifier le vote soudain à gauche, subitement perçu comme « moins mal vu par Al-Qaïda » et « moins risqué », le parti populaire étant rendu responsable des attentats par son engagement aux côtés des Etats-Unis en Irak.
La force de l’endoctrinement : ne pas sous-estimer l’idéologisation et la guerre des idées
En fait, la force de frappe et la capacité d’attraction des jihadistes qui recrutent sur le sol même des sociétés ouvertes proviennent du fait qu’ils manient parfaitement la guerre des mots et des représentations. Ils opposent en effet à une absence de certitude spirituelle et idéologique des Occidentaux – façonnés par la société de consommation et la repentance – une idéologie théocratique fortement chargée sémantiquement et émotionnellement dont les certitudes absolues sont inoculées par des messages scientifiquement étudiés et amplifiés par les médias. Ils opposent à une société porteuse d’idées de plus en plus « liquides » des certitudes extrêmement denses, des noyaux-durs » sémantiques ou « trous-noirs » conceptuels qui détruisent toute représentation concurrente moins dure.
L’erreur de nombreux intellectuels occidentaux de tout bord qui ne croient qu’aux réalités matérielles et économiques consiste à sous-estimer ce conflit de représentations qui est livrédans le theatrum mentis avant d’être décliné dans le théâtre d’opération militaire. Cette vision pousse par exemple à nier ou minimiser la nature fanatique pure des terroristes sanguinaires et à les réduire à des malheureux déstabilisés victimes de l’exclusion et désespérés ou même à des malades dépourvus de raison sous prétexte que certains auraient eu des dépressions ou des états d’âmes. D’après le psychiatre Boris Cyrulnik, « ces terroristes ne sont pas des fous, ni des monstres. Ce sont des enfants normaux et en détresse, façonnés intentionnellement par une minorité qui veut prendre le pouvoir (…). Avec une minorité d’hommes formés, payés et armés, manipulés et fabriqués, on peut détruire une civilisation. Cela a été fait. L’inquisition et le nazisme l’ont fait » …
Le phénomène de fanatisation et de recrutement des jihadistes est bien plus sophistiqué qu’il n’y paraît. Il ne touche pas uniquement des jeunes désœuvrés ou issus de l’immigration musulmane pauvre – qui « réagiraient » à une situation « d’exclusion économico-sociale » ou « raciste » – mais aussi des musulmans issus de l’immigration et des Français dits « de souche » issus de milieux moyens, voire élevés. Ceci montre que la cause de la radicalisation est d’abord idéologique et psychologique, comme l’a montré Marc Sageman qui a étudié les cas de nombreux terroristes pour le compte de la CIA et de l’armée américaine. Dans son rapport Génération radicale, Malek Boutih confirme ce constat : « Il faut tout de même prendre garde aux effets de contagion et d’identification croisée entre pairs, par lesquels une frange radicale peut influencer l’ensemble d’une génération. On a pu constater lors de la minute de silence organisée dans les établissements scolaires en hommage aux victimes des attentats du mois de janvier le malaise exprimé par une grande partie des élèves. (…). Dans certains établissements ou dans certains quartiers, le djihad bénéficie d’une sorte d’effet de mode. Cette influence est rendue possible par la démonétisation des valeurs démocratiques, et cette désaffection, ce détachement de la jeunesse des principes républicains, sont très alarmants parce qu’ils peuvent être lourds de conséquence ». Boutih évoque une haine de type nazifiante extrêmement idéologisée, qui, sous couvert d’appartenance à une communauté musulmane fantasmée, grandit dans les banlieues, sans rapport avec la misère. L’ancien élu PS, qui dit ce que Marine Le Pen ou Nicolas Sarkozy n’auraient pas le droit de dire, affirme que cette haine est produite en partie par notre société qui ne sait plus intégrer, transmettre, appliquer les règles puis par l’Etat qui a démissionné dans des zones de non-droit où la haine peut prospérer et où les forces de l’ordre sont impuissantes face aux quartiers tenus par des voyous et des « barbus ». Ceux-ci y ont créé un contre-pouvoir et une contre-économie créatrice de ghetto sécessionniste. Un véritable chaudron ethno-religieux et idéologique est en train de déborder voire d’exploser dans les zones de non-droit où des ressortissants français vouent une haine farouche à la France, à l’Occident, à tout ce que représente la civilisation judéo-chrétienne, et sont parfois même prêts à mourir pour cela.
La prétendue explication économico-sociale du processus de radicalisation
Pour répondre à l’idée entretenue par l’extrême-gauche (souvent alliée aux islamistes) selon laquelle le jihadisme terroriste ne serait qu’une « réaction » à la misère ou à l’exclusion, il est intéressant de consulter une étude menée par les experts du Centre de prévention contre les dérives sectaires liées à l’islam (CPDSI, France), intitulée La métamorphose opérée chez le jeune par les nouveaux discours terroristes. Ce rapport démontre que le radicalisme n’est pas l’effet des discriminations, mais est, comme jadis le nazisme et le communisme – qui ont séduit des personnes de tous milieux – un phénomène éminemment idéologique et psychologique dont les modus operandi empruntent à ceux des sectes et des mouvements totalitaires. L’étude montre que, parmi les 2000 Français embrigadés par l’Etat islamique, le Front al-Nosra en Syrie ou Al-Qaïda au Yémen, « 84% vient de classes sociales moyennes ou supérieures, avec une forte représentation des milieux enseignants et éducatifs (50% de ces 84%. (…). Le reste exerce des métiers variés, qui vont de commerçants à médecins spécialisés ». Les auteurs du rapport mettent en lumière la puissance psychologique et rhétorique redoutable des rabatteurs, qui, parallèlement aux vidéos visionnées, tissent des liens fusionnels avec les publics-cibles, connaissent les méthodes de propagande et savent utiliser les mots les plus adéquats et les symboles les plus chargés de sens pour convaincre et fanatiser en profondeur. Le cas du recruteur d’Al-Qaïda en Syrie, Omar Omsen[2], franco-sénégalais qui a suscité nombre de vocations, est emblématique. Omsen s’est spécialisé dans le montage de vidéos qui font autorité sur les jeunes embrigadés. Il faisait habilement croire aux jeunes prospects qu’ils allaient réaliser un idéal salvifique, qu’ils allaient donner un sens altruiste et héroïque à leur vie afin de servir une cause « noble », mais l’essentiel de son message destiné à couper les jeunes de leur environnement « impie » était fondé sur la diffusion de théories du complot destinées à créer un sentiment de persécution, à démoniser l’ennemi-bouc émissaire et à faire croire au jeune embrigadé qu’il peut faire partie d’une avant-garde héroïque ou « élite éveillée » appelée à lutter contre la conspiration et chargée d’une mission divine unique porteuse de sens et d’auto-valorisation. De son côté, Sageman, qui a interrogé et côtoyé nombre de djihadistes, a démontré que nombre de terroristes ont un passé sans tache et sont des diplômés ou issus de la bourgeoisie, et n’ont pas été motivés par la fin ou l’exclusion sociale. Dans son livre, Le vrai visage des terroristes, il dénonce le fait que « l’idée que nous nous faisons du terroriste est en fait un cliché : celui du déshérité-révolté ayant grandi dans les faubourgs misérables du monde arabe et en proie à quelque désordre mental (…). Le djihadiste (…) ressemble davantage à un étudiant petit-bourgeois acculturé et frustré qu’à un damné de la terre (…), ils ne sont ni fous ni psychopathes, ils sont idéologisés (…)». Ce constat est corroboré par le reporter et producteur franco-israélien Pierre Rehov qui a réalisé de nombreux documentaires sur les motivations des terroristes qu’il a rencontrés en prison ou connus à travers le témoignage des familles. De ce fait, si tant de jeunes basculent dans le jihad, ce n’est pas parce que l’Occident, l’Amérique ou Israël les « humilient » directement, mais parce qu’on leur a inculqué que l’intégration est une « apostasie ou que l’Occident chrétien, les musulmans apostats et les juifs-croisés sont le diable incarnés et doivent donc être éradiqués. Ils ont tout simplement été « idéologisés » et fanatisés de façon quasi scientifique, comme jadis par les Communistes et les Nazis, mais cette fois-ci par les grands pôles institutionnels et insurrectionnels de l’islamisme mondial.
Comme Hitler, Trotski, Lénine ou Staline, les adeptes du totalitarisme vert ont un projet de conquête planétaire et leur première arme est l’idéologisation et l’embrigadement. Leur carburant est le ressentiment. Leur savoir-faire consiste à instrumentaliser les malaises individuels et collectifs et les réseaux criminels, afin de déstabiliser l’ordre légal, d’où aussi la complicité des révolutionnaires rouges qui détestent comme eux l’ordre national « bourgeois » et l’Occident judéo-chrétien. Dans les banlieues, l’islamisme jihadiste s’alimente d’un « racisme à rebours » qui inclue la haine de l’Occident, des « Gaulois », des chrétiens et des Juifs. La force des islamistes est d’avoir su utiliser les techniques de fanatisation-endoctrinement propres aux milieux totalitaires et sectaires. Ils imposent petit à petit à leur public-cible une nouvelle croyance et inhibe leur esprit critique par une répétition et un embrigadement mimétique. Ce mécanisme de « captation de l’esprit » est actionné par le harcèlement des vidéos très élaborées des recruteurs qui les orientent vers des forums et blogs où des « ainés » ou « frères » vont les prendre en charge. Le rôle de ces interlocuteurs-recruteurs est aussi déterminant qu’internet dans le processus de radicalisation des jeunes qu’ils contactent quotidiennement par internet, par téléphone pour leur expliquer comment se comporter et décrypter le monde.
Loin d’être devenus salafistes-jihadistes en une semaine presque par hasard sous prétexte « qu’on ne les voyait pas à la mosquée », les jeunes jihadistes qui ont sévi entre Orlando, Paris, Bruxelles et Nice fréquentaient en réalité souvent des salles de prière publiques, privées, ou clandestines, et se retrouvaient en « communautés restreintes ». Le processus de radicalisation est tout sauf improvisé ou surgi de bulle part. MalekBoutih rappelle que, « forts de leur longue expérience dans les pays arabes totalitaires, mélangeant les techniques de recrutement des sectes, des religions et des organisations révolutionnaires, les islamistes ont élaboré une méthode pour s’implanter, élargir leur sphère d’influence et recruter dans notre pays sur tout le territoire. Les étapes de ce mécanisme apparaissent désormais assez clairement : 1. Commencer par planter un drapeau, autrement dit afficher ouvertement l’existence d’individus radicalisés. C’est là le rôle du voile puis de la burqa, ou des barbes non taillées et des vêtements traditionnels, voire de codes comme le port permanent de pantalons courts laissant voir les chevilles. 2. Construire un noyau assez convaincu pour essaimer sur le territoire à conquérir. 3. Elargir le cercle de connaissances aux sympathisants, c’est-à-dire celles et ceux qui ne veulent que discuter. 4. A partir de ce moment ne jamais laisser le sympathisant sans contact journalier ». 5 Le néo-converti devient alors lui-même un élément moteur de recrutement, ce qui permet par capillarité de toucher de plus en plus de monde (…). L’objectif de ce réseau social humain n’est pas destiné à recruter simplement les combattants».
[1] Voir, Del Valle, Alexandre, Le Complexe occidental. Petit traité de déculpabilisation, Paris, Editions du Toucan, 2014.