Les Etats-Unis ont été conçus dès leurs origines comme un Etat impérial. Un des plus grands spécialistes de l’Amérique, l’historien britannique Paul Kennedy dit : « Depuis l’arrivée des premiers colons anglais en Virginie et leur conquête de l’Ouest, cette nation était une nation impériale, une nation conquérante. » Convaincus d’être la « cité sur la colline » vers laquelle les regards des peuples du monde seraient tournés, les USA n’ont jamais cessé de faire la guerre depuis la révolution des colons britanniques à la fin du XVIIIè siècle. En 1896 on pouvait même lire dans le Washington Post : « Nous sommes face à face avec un étrange destin. Le goût de l’Empire est dans la bouche du peuple tout comme le goût du sang dans la jungle. » Cette soif de conquête a conduit les Etats-Unis à participer à plus de 500 conflits de leur déclaration d’indépendance en 1776 à nos jours.
En 1991, quand l’URSS s’écroule et que le glacis soviétique fond comme neige au soleil, les USA pensent qu’ils ont gagné la guerre froide et qu’ils sont dorénavant seuls au monde sans aucune idéologie ou pays ennemi pour entraver leur quête de domination. George H.W. Bush parle à plusieurs reprises de « nouvel ordre mondial » et l’on aurait pu croire que l’Amérique déploierait son soft power très subtile et efficace pour poursuivre l’extension de son empire mais l’Amérique s’est trompée. Au lieu de poursuivre tactiquement et méthodologiquement, elle a voulu avancer à marche forcée. Dès 1992 le New York Times fuite un document du sous-secrétaire d’Etat à la défense américain, Paul Wolfowitz, qui explique que la stratégie des US doit être de gonfler leur budget militaire est de s’assurer qu’aucun rival ne naîtrait sur le continent eurasiatique ou sur les décombres de l’URSS. Le document fait l’effet d’une bombe mais n’est pas si surprenant que cela. Depuis les théories des géopolitologues MacKinder et Spykman nous savons que les Etats-Uniens ont identifié le centre du continent eurasiatique comme le centre de monde : « Qui contrôle le heartland contrôle la destinée du monde » et ce heartland se trouve essentiellement sur le territoire russe. Il suffit en effet de regarder une mappe monde pour confirmer cette vision américaine. L’Eurasie et l’Afrique représentent à eux deux les trois-quarts de la population mondiale et les trois quarts des ressources naturelles connues. Les USA, en réalité, sont une île par rapport à cet énorme masse terrestre opulente et populeuse.
Pour ne pas laisser de chances à leurs rivaux les USA ne vont pas perdre un instant et montrer au reste du continent européen, et surtout à ceux qui ne rentrent pas dans leur modèle atlantiste, leurs ambitions hégémoniques. Dans les années 1990, les USA participent à la dislocation de la Yougoslavie, en 1999 l’OTAN bombarde illégalement la Yougoslavie et inventent l’Etat fantoche du Kosovo. En 2003 Washington attaque illégalement l’Irak et dans la foulée, avec l’aval du Conseil de sécurité des Nations Unies cette fois-ci, l’Afghanistan puis la Libye puis de nouveau illégalement la Syrie. Là où elle le peut l’Amérique organise des révolutions de couleur pour changer les gouvernements des pays non alignés à travers le financement d’organisations destinées à mettre l’opposition dans la rue et à renverser les gouvernements en place. Vue de Moscou on voit l’avancée des USA avec une crainte de moins en moins dissimulée. Les révolutions de couleur vont cibler des pays proches de la Russie comme la Yougoslavie, le Kirghizstan, la Géorgie et l’Ukraine en 2004 où le diplomate et professeur américain Michael McFaul avoue ouvertement que les US ont inféré dans les affaires intérieures ukrainiennes. Le patron de la NED (ONG américaine utilisée entre autres pour fomenter des révolutions de couleur) en Ukraine, Carl Gershman, reconnaît que l’Ukraine est le plus grand « trophée » des USA. La révolution de 2004 n’ayant pas fonctionné à Kiev et les Ukrainiens ayant voté, de nouveau, pour un candidat proche de Moscou, les USA ont fait monter la pression d’un cran et organisé un coup d’Etat en 2014 avec l’aide de groupuscules ouvertement néonazis. La sous-secrétaire d’Etat états-unienne Victoria Nuland a admis que les US avaient investi plus de cinq milliards de dollars pour instaurer la « démocratie » en Ukraine.
« Washington ne pouvait pas laisser l’Ukraine se rapprocher de la Russie et devenir un pont naturel entre Moscou et l’Europe de l’Ouest »
Washington ne pouvait pas laisser l’Ukraine se rapprocher de la Russie et devenir un pont naturel entre Moscou et l’Europe de l’Ouest car cela aurait établi la Russie comme une puissance européenne et aurait rendu la dépendance de l’Europe de l’Ouest aux Etats-Unis précaire. Un des hommes les plus influents de la stratégie étrangère états-unienne, Zbigniew Brzezinski, avait écrit en 1997 que « sans l’Ukraine, la Russie cesse d’être un empire en Eurasie.» C’est pour cela que depuis la création de l’Ukraine en 1991 les USA harcèlent la Russie sur sa périphérie et tentent d’opposer Kiev à Moscou notamment à travers des groupuscules radicaux comme ceux utilisés pendant le Maïdan. En promettant de surcroit à l’Ukraine d’intégrer l’OTAN les atlantistes n’ont pas respecté leur promesse de ne pas avancer l’OTAN « d’un pouce » vers l’Est en contrepartie de l’acceptation de Moscou d’une Allemagne réunifiée. Il est important de rappeler que c’est à travers les plaines de l’actuelle Ukraine que la Russie a été, dans le passé, envahi par les Polonais, les Français et deux fois par ’Allemagne. L’Ukraine n’est donc pas un pays anodin pour la Russie. Le coup d’Etat du Maïdan de 2014 s’est transformé en guerre civile, dans le Sud et l’Ouest du pays, entre Ukrainiens pro-Bruxelles et Ukrainiens pro-Moscou. La guerre du Donbass qui a commencé en 2014 a coûté la vie à plus de 11 000 personnes. Plus de 30 000 personnes ont été blessés et un million de personnes ont fui la région, dont la majorité est partie en Russie. Nos médias oublient souvent que la guerre a commencé il y a plus de huit ans.
Accords de Minsk, échecs ou leurre ?
Malgré les accords de Minsk II, rien ne fut organisé à Kiev pour que la guerre civile cesse et que les régions du Donbass réintègrent l’Ukraine avec un statut d’autonomie. Grâce aux révélations récentes de l’ancien président ukrainien Porochenko et de l’ex-chancelière allemande Angela Merkel, nous savons qu’une des raisons était, entre autres, de laisser du temps à l’Ukraine pour préparer son armée à un conflit majeur avec la Russie. Il n’a jamais été question dans les esprits atlantistes de laisser l’Ukraine en paix. Quand l’Ukraine a amassé plus de 100 000 soldats sur la frontière du Donbass, la Russie a préféré intervenir militairement et envahir l’Ukraine. L’intervention russe est illégale aux yeux du droit international comme celle des atlantistes en Yougoslavie, en Irak ou en Syrie. Moscou souligne que le but de sa guerre est de protéger les Ukrainiens prorusses alors qu’on peut se demander quels sont les liens de parenté ou de proximité qu’il pourrait y avoir entre les atlantistes et les Afghans, les Irakiens, les Libyens ou les Syriens…. La guerre en Ukraine n’est donc pas entre Ukrainiens et Russes mais entre les USA et l’OTAN, d’un côté, et la Russie de l’autre. D’un côté la vision d’un monde unipolaire américain, de l’autre celle d’un monde multipolaire où les US cesseraient d’être le centre omnipotent. Le conflit en Ukraine est un conflit qui dépasse de loin le simple cadre ukrainien. Washington se sert de l’Ukraine pour éloigner la Russie de l’Europe de l’Ouest qui doit demeurer, comme le disait Brzezinski, un « protectorat américain ». Le membre de la chambre des représentants états-unien Dan Crenshaw dit cyniquement : « Investir dans la destruction de l’armée de notre adversaire, sans perdre un seul soldat américain, me semble une bonne idée. »
« Les USA sont les grands gagnants de cette guerre »
Les USA sont les grands gagnants de cette guerre, comme le rappelle Thierry de Montrbrial, fondateur de la World Policy Conference et de l’Institut français des relations internationales (Ifri), les grands perdants sont tous européens et notamment l’Union européenne… Non seulement l’UE a failli à sa mission pacificatrice en laissant de nouveau une guerre exploser sur notre continent depuis 1990 mais elle joue servilement la participation qui lui a été préparée par Washington. Au lieu de chercher la désescalade, Bruxelles et la plupart des capitales européennes alimentent la rhétorique guerrière en finançant abondamment l’effort de guerre ukrainien. En appliquant des sanctions contreproductives, qui font certes mal à Moscou, elle ne se rend pas compte qu’elles font encore plus mal aux producteurs et aux consommateurs européens. Le but des USA est que la guerre dure. Plus elle dure plus la Russie peinera mais par ricochet cela signifie que nous souffrirons aussi. Les US se soucient peu de l’avenir de l’Ukraine qu’ils ne reconstruiront pas (comme ils n’ont pas reconstruit le Vietnam, la Yougoslavie, l’Irak, l’Afghanistan…), ils veulent la défaite et la dislocation de la Russie. Bien loin du conflit et quasiment autonomes en hydrocarbures, ils regardent de loin l’Europe s’effondrer tout en remplaçant le gaz russe par leur gaz de schiste que nous leur achetons quatre fois plus cher que ce qu’il est vendu aux entreprises américaines. La situation est tellement grave qu’Emmanuel Macron a dû tenter de convaincre une soixantaine de chefs de très grandes entreprises européennes de ne pas installer leurs nouvelles usines aux USA qui viennent de voter une loi pour attirer les investissements étrangers (IRA). Bruno Le Maire avait promis « l’effondrement de l’économie russe » mais pour l’instant c’est la nôtre qui s’effondre.
Quelles solutions ?
Pour sortir de ce capharnaüm géopolitique, l’Europe n’a pas d’autre choix que de négocier une paix très rapidement entre les belligérants. Comme Bruxelles semble encore plus américaine que les Américains eux-mêmes il en revient aux nations européennes de prendre leur courage à deux mains et d’entamer des négociations sérieuses avec Washington, Moscou et Kiev. La France devrait prendre la tête de cette coalition . Que demande Poutine ? Que l’Ukraine devienne neutre, qu’elle soit dénazifiée (que la propagande antirusse cesse) et que les territoires habités par des personnes qui se définissant comme russes puissent se réunifier à la Russie. Est-ce que c’est quelque chose que la France ne peut pas négocier ? Sans donner un chèque en blanc à Poutine ni accéder à toutes ses demandes, il ne semble pas hors de la portée de la diplomatie française de pouvoir négocier avec Kiev et Moscou un compromis de paix. Cela prendra du temps certainement mais cela est faisable et dans l’intérêt de l‘Europe et donc de la France. La Turquie tente de jouer ce rôle avec un certain succès il faut le reconnaître. Est-ce que la France et l’Europe se rendent compte de cet affront ? Emmanuel Macron avait déclaré : « Qui croit en l’Europe doit savoir travailler avec la Russie. » En tant que membre de l’Union européenne et membre de l’OTAN la France peut obtenir la fin immédiate de l’offensive russe en s’engageant à ne pas laisser l’Ukraine rentrer dans l’OTAN et en bloquant la campagne d’armement de Kiev par Bruxelles qui se fait sur le dos du contribuable européen. Cet engagement ne peut se faire évidemment que si Moscou accepte une trêve pour négocier. La France ne pourra faire cela seule et aura besoin de monter une coalition de la paix au sein de l’UE et au sein de l’ONU. La majorité des pays du monde n’ayant pas appliqué de sanctions contre la Russie, la France peut entreprendre une telle alliance pour la paix. C’est en tout cas, la seule solution pour revenir à la stabilité et à la paix dont l’Europe a besoin. C’est aussi une occasion idéale pour la France de redorer son blason et de se hisser à une place de premier plan sur l’échiquier mondial.
En guise de conclusion…
La seule façon d’arrêter la guerre est de négocier la paix. Seule la paix permettra aux nations européennes de bâtir un nouvel accord de stabilité de l’Atlantique au Pacifique respectant la souveraineté des nations tout en prenant en compte leurs intérêts vitaux. Un continent apaisé, disposant des principales ressources indispensables à sa survie et à son développement saura affronter les défis et opportunités économiques, démographiques, politiques et technologiques des autres continents. En 1975, en pleine guerre froide, les Européens ont été capables de définir un pacte de paix et de stabilité à Helsinki, alors il n’y a pas de raisons qu’ils n’y arrivent pas de nouveau aujourd’hui. La seule différence par rapport à Helsinki est que les Américains et Canadiens resteront chez eux cette fois-ci. Les Européens doivent pouvoir gérer leurs problèmes seuls.