Un ancien djihadiste, David Vallat, condamné dans les années 1990 pour terrorisme, pose pour une photo à Lyon, dans le centre-est de la France, le 15 avril 2016. De la petite délinquance entre Lyon et Grenoble aux attentats de 1995, en passant par la Bosnie et Afghanistan, le jihad a conduit David Vallat en prison. 20 ans plus tard, il témoigne de sa radicalisation en tant que défenseur de l’idéal républicain. (Photo de ROMAIN LAFABREGUE / AFP)
Il est étonnant de voir que les djihadistes prennent des surnoms avec « abou » comme préfixe, puisque celui-ci signifie « père de (untel) », alors que l’usage arabe veut que l’on se fasse appeler « ibnou (foulène) », le « fils (d’untel) ».
Il y a quatre raisons principales à cela :
1.Il s’agit pour le candidat au djihad de faire table rase de son passé, en commençant par la façon de se faire appeler. C’est d’ailleurs l’une des premières questions que l’on demande au volontaire pour le djihad lors de son intégration à un groupe : « Comment veux-tu te faire appeler ? »
Cela précède même la « bayi’a », le serment d’allégeance à l’émir du groupe.
2. C’est une façon de marquer sa désapprobation avec le père, qui s’il n’est pas djihadiste, sera forcément un « mou », ou un « bisounours » de l’islam. De façon induite, il s’agit de ne plus mettre en avant le lien de sang entre individus. En effet, quand vous dites que vous êtes le fils de, fils de, fils de, au bout d’un moment, si celui qui est en face de vous a la même lignée après par exemple quatre générations, alors c’est que vous avez un lien de parenté. C’est ce lien qu’il s’agit de briser de sorte que même si un cousin est dans le camp d’en face, il n’y aura pas de regret à l’éliminer.
3. Il y a un aspect psychologique de la gestion d’un paradoxe. En effet, pour le djihadiste, il n’est plus grande récompense que de mourir en « shaïde », en martyr. Mais le fait de se faire appeler « le père de » permet de valider que l’idéologie (et son projet de califat.) survivra à celui qui meurt pour elle. C’est une façon de s’inscrire dans le temps long malgré une espérance de vie très courte en zone de djihad.
4. Le quatrième signifiant de cette façon d’être appelé consiste à confirmer faire don de son fils ainé, et les suivants à la cause.
Un dernier élément vent compléter le surnom. Nous avons le préfixe « Abou », puis le prénom du premier fils, et enfin l’origine géographique qui apparait. Si par exemple nous avons un candidat dont le fils s’appelle ‘Omar, et qu’il est né au Yémen, sa kounia sera alors « Abou ‘Omar al Yemeni ». Cela peut sembler s’opposer au point numéro 1, qui explique qu’il s’agit de faire table rase du passé. Le rappel de du pays ou de la ville d’origine a pour but de rappeler la vocation internationale du djihad, mais permet aussi et surtout de procéder à une hiérarchisation. Ainsi, quand un émir voit arriver un « Abou foulene al Belgiki » (Le père d’untel le Belge) il saura qu’il aura certainement quelqu’un de moins résistant, ou plus faible qu’un « abou foulene al ‘Iraqi »…
Nous pouvons constater que tout est pensé dans le djihad, et que si les opérationnels nous font l’impression d’être des simples d’esprits, les idéologues et penseurs de cette doctrine sont loin de l’être.
C’est un peu le talon d’Achille des occidentaux qui pensent que le djihad n’est qu’une réaction aux catastrophiques interventions militaires en Irak, en Afghanistan et en Lybie, pour ne citer que ces trois pays.
En réalité, et mêmes si le résultat net des interventions citées plus haut aura donné de l’ampleur au djihad, les djihadistes sont bel et bien dans l’action structurelle, et pas seulement dans la réaction à la conjoncture.
Le djihad n’est pas seulement une réaction, mais avant tout une action qui porte le projet politique de l’instauration d’un état islamique. La simple « autopsie » de la kounia des djihadistes en fait la démon