La semaine dernière, nous avons vu que l’organisation politico-religieuse frériste n’avait plus le vent en poupe dans le monde arabe. Bien que certains pays en dehors du monde arabo-musulman prennent conscience de la dangerosité de cette confrérie panislamiste, comme on l’a vu dans la première partie avec le Paraguay, paradoxalement, c’est en Occident que les Frères musulmans se refont une santé !
Que des pays de par le monde, comme on l’a vu la semaine dernière avec le Paraguay, mais également avant lui avec la Russie ou d’autres, interdisent cette organisation est une bonne chose. Ainsi tout en criminalisant les États qui les soutiennent, cela lui interdit d’agir sur leur territoire et la rend donc inopérante, en la marginalisant et la privant de nouveaux adeptes ainsi que de nouvelles cotisations.
Or c’est là que le bât blesse puisque la confrérie est encore très riche. Grâce d’abord aux contributions de leur centaine de milliers voire de leurs millions d’adhérents à travers la planète et également grâce au soutien politique et financier de la Turquie d’Erdogan (un frère musulman turc !) et surtout du Qatar. Napoléon le disait pour les guerres conventionnelles mais il en va de même pour les guerres idéologiques : pour les gagner il faut trois choses : de l’or, de l’or et de l’or ! Car s’il n’y a plus d’argent, il n’y a plus de conflit possible !
C’est un peu ce qu’a justement fait Mohammed ben Salman en coupant, de manière brutale et historique, les vivres à toutes les organisations salafistes extrémistes et douteuses dans la région mais aussi au niveau international via les purges au sein de la Ligue islamique mondiale et surtout, en éliminant les grands féodaux du royaume qui jouaient leur propre partition dans ce domaine… Aujourd’hui, le prince héritier ne tolère que les mouvances les plus strictement « quiétistes » du wahhabisme à l’instar des madkhalistes…
Lire aussi : Quel avenir pour les Frères musulmans ? [ 1-2]
Sans argent les Frères musulmans ne pourraient plus entretenir cette guerre idéologique qu’ils livrent à l’Occident mais aussi au monde musulman. C’est donc au portefeuille qu’il faut frapper, viser la banque Al-Taqwa et les comptes en banque bien garnis des dirigeants fréristes dans les paradis fiscaux. Et bien évidemment faire pressions sur la Turquie et surtout le Qatar, leur dernier grand argentier, afin que ces deux pays stoppent enfin leur soutien indéfectible. Poutine et même Trump ont essayé en leur temps de faire pression dans ce sens sur Doha. Sans succès. Car légitimement, il était impensable pour les Qataris, et de leur point de vue c’est tout à fait compréhensible, de rompre avec les puissants et omniprésents Frères musulmans qui sont leurs uniques et principaux leviers politiques, diplomatiques et relais d’influence dans le monde arabe comme en Europe (pour acheter la paix civile dans les quartiers immigrés majoritairement musulmans).
Heureux comme un Frère musulman en Europe !
Alors que, comme on l’a dit, cette organisation est aujourd’hui marginalisée voire interdite dans de nombreux pays arabes, un seul pays en Europe, l’Autriche, a eu le courage de décider, après les attentats de Viennes en 2020, d’inscrire cette confrérie politico-religieuse sur sa liste des organisations terroristes !
Ailleurs, en France, en Belgique et en Allemagne par exemple, les Frères et leurs associations ont encore pignon sur rue et y vivent heureux comme des poissons dans l’eau.
En Europe, où bon nombre de cadres des Frères musulmans se sont réfugiés (parfois avec le statut de réfugiés politique !), ces derniers se servent des faibles et malades démocraties occidentales pour prendre d’une manière ou d’une autre le pouvoir. Par la culture voire l’économie, d’abord, avant d’investir la politique au niveau local (et un jour qui sait ? au niveau national) puis la sécurité intérieure. Tout en continuant de développer leur influence au sein des associations communautaires et surtout les universités européennes et américaines, qu’ils ont massivement infiltrées, aidés en cela par leurs idiots utiles que sont les militants de la mouvance Woke et autres islamo-gauchistes…
En France, certains tentent depuis des années de tirer la sonnette d’alarme. En vain ! Il faut dire que la bienpensancen’hésite pas à émettre des fatwas pour « islamophobie » (terme inventé par les islamistes chiites dans les années 1980). Pourtant, il suffit de lire ou relire les précieuses enquêtes et les travaux sérieux des journalistes spécialistes du sujet comme notamment Emmanuel Razavi, Ian Hamel, Christian Chesnot, Georges Malbrunot, ou d’éminents chercheur comme Gilles Kepel, Alexandre Del Valle, Bernard Rougier ou encore Florence Bergeaud-Blackler (Lire d’ailleurs son excellent et dernier ouvrage Le frérisme et ses réseaux, l’enquête,Odile Jacob, 2023).
Le dernier problème, et de taille, est que depuis que Trump a perdu en 2020, alors qu’il avait promis, en cas de second mandat, d’inscrire lui aussi l’organisation sur la liste noire des États-Unis (ce qui aurait grandement compliqué la marge de manœuvre du Qatar), Biden et la plupart des autres dirigeants occidentaux actuels n’ont plus les mêmes priorités sécuritaires et géopolitiques, focalisés qu’ils sont, de manière hystérique, sur le (faux) « danger russe » et le « méchant Poutine » !
Dans la nouvelle administration américaine et les chancelleries européennes, les Frères musulmans via les lobbies de Doha sont encore très influents. Aujourd’hui, et malheureusement, aucun dirigeant progressiste européen, pour des raisons de faiblesse, d’aveuglement, d’idéologie, de diplomatie commerciale ou encore de conflit d’intérêt (voir le « Qatargate », l’immense scandale de corruption au Parlement de l’Union européenne révélé ces derniers mois) ne se hasarderait à interdire la confrérie. Pour la bonne et simple raison qu’il ne ne pas froisser le néo-Sultan Erdogan et encore moins les riches émirs du Qatar…
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Roland Lombardi est docteur en Histoire, géopolitologue, spécialiste du Moyen-Orient et des questions de sécurité et de défense. Fondateur et directeur de la publication du Diplomate.
Il est chargé de cours au DEMO – Département des Études du Moyen-Orient – d’Aix Marseille Université et enseigne la géopolitique à Excelia Business School de La Rochelle.
Il est régulièrement sollicité par les médias du monde arabe. Il est également chroniqueur international pour Al Ain. Il est l’auteur de nombreux articles académiques de référence notamment : « Israël et la nouvelle donne géopolitique au Moyen-Orient : quelles nouvelles menaces et quelles perspectives ? » in Enjeux géostratégiques au Moyen-Orient, Études Internationales, HEI – Université de Laval (Canada), VOLUME XLVII, Nos 2-3, Avril 2017, « Crise du Qatar : et si les véritables raisons étaient ailleurs ? », Les Cahiers de l’Orient, vol. 128, no. 4, 2017, « L’Égypte de Sissi : recul ou reconquête régionale ? » (p.158), in La Méditerranée stratégique – Laboratoire de la mondialisation, Revue de la Défense Nationale, Été 2019, n°822 sous la direction de Pascal Ausseur et Pierre Razoux, « Ambitions égyptiennes et israéliennes en Méditerranée orientale », Revue Conflits, N° 31, janvier-février 2021 et « Les errances de la politique de la France en Libye », Confluences Méditerranée, vol. 118, no. 3, 2021, pp. 89-104. Il est l’auteur d’Israël au secours de l’Algérie française, l’État hébreu et la guerre d’Algérie : 1954-1962 (Éditions Prolégomènes, 2009, réédité en 2015, 146 p.). Co-auteur de La guerre d’Algérie revisitée. Nouvelles générations, nouveaux regards. Sous la direction d’Aïssa Kadri, Moula Bouaziz et Tramor Quemeneur, aux éditions Karthala, Février 2015, Gaz naturel, la nouvelle donne, Frédéric Encel (dir.), Paris, PUF, Février 2016, Grands reporters, au cœur des conflits, avec Emmanuel Razavi, Bold, 2021 et La géopolitique au défi de l’islamisme, Éric Denécé et Alexandre Del Valle (dir.), Ellipses, Février 2022. Il a dirigé, pour la revue Orients Stratégiques, l’ouvrage collectif : Le Golfe persique, Nœud gordien d’une zone en conflictualité permanente, aux éditions L’Harmattan, janvier 2020.
Ses derniers ouvrages : Les Trente Honteuses, la fin de l’influence française dans le monde arabo-musulman (VA Éditions, Janvier 2020) – Préface d’Alain Chouet, ancien chef du service de renseignement et de sécurité de la DGSE, Poutine d’Arabie (VA Éditions, 2020), Sommes-nous arrivés à la fin de l’histoire ? (VA Éditions, 2021), Abdel Fattah al-Sissi, le Bonaparte égyptien ? (VA Éditions, 2023).
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