Réduction de l’empreinte carbone : les freins, les moyens et opportunités

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(De gauche à droite ) Le maire de Dunkerque Patrice Vergriete, le PDG de Genvia, Florence Lambert-Hognon, le PDG de la société de services énergétiques Dalkia Sylvie Jehanno et le ministre délégué à l’Industrie Roland Lescure assistent à une discussion lors d’une réunion des responsables des sites industriels pour réduire le carbone intensité en France, au Palais de l’Elysée à Paris le 8 novembre 2022. (Photo : MOHAMMED BADRA / POOL / AFP)

La question de l’empreinte carbone est vraiment d’actualité. Dans le cadre de la transition énergétique, on parle souvent des « crédits carbone ». Or les crédits carbone sont précisément des crédits qui vont être échangés pour représenter des tonnes de carbone économisées. Est-ce que c’est un accélérateur ou est-ce que c’est un frein à quelque chose dont je suis d’accord pour dire que ce n’est pas une transition ? Parce que la transition va d’un point A à un point B. On ne sait pas où est le point B. Et deuxièmement parce qu’on n’a pas le temps. 

La transition se fait dans la durée. 

Nous n’avons pas le temps. Et j’aime bien l’expression « grandes transformations ». Évidemment, si on utilise les crédits carbones pour continuer à faire ce qu’on fait aujourd’hui comme si de rien n’était, et donc à produire du pétrole, en stockant le carbone en même temps qu’on le produit, etc., très franchement, on ne va pas beaucoup avancer ! Donc en fait, il nous faut les deux. C’est-à-dire qu’il nous faut à la fois de la sobriété et des systèmes d’amélioration de nos puits de carbone. Quand on dit “amélioration”, cela repose sur l’idée d’une additionnalité. Il faut que cela ajoute quelque chose, sinon ça ne sert à rien. Le système n’est pas un système tout à fait nouveau, donc je ne parle pas aujourd’hui de ce qu’on appelle les ETS, c’est-à-dire les quotas d’émission qui ont été créés au niveau européen dans le cadre de la réglementation communautaire et qui sont un échange entre grandes entreprises sur des autorisations d’émettre qui leur ont été délivrées au départ de manière tout à fait gratuite. Maintenant, les choses deviennent quand même un peu plus sérieuses. Je m’intéresse aux crédits carbones non obligatoires, marchés non obligatoires, qui se développent de manière massive parce que, précisément, on se rend bien compte qu’il faut accélérer les efforts d’investissement dans les puits de carbone, notamment dans la gestion de la forêt, dans l’usage des sols, avec tout le volet agricole. Parce qu’à ma connaissance, mais je ne suis évidemment pas une spécialiste des questions des océans, je ne crois pas qu’on soit encore capable aujourd’hui de générer une amélioration de la situation des océans capable de générer des puits de carbone. Donc on parle essentiellement des sols et de la forêt. Le sujet n’est pas tout à fait nouveau puisqu’il a été en fait inventé au moment des mécanismes de Kyoto qui ont mis en place des mécanismes volontaires de deux natures, les mécanismes de développement propre et les mécanismes de gestion conjointe. Ces mécanismes ont fonctionné plus ou moins bien. Mais quoi qu’il en soit, ils ont permis la mise en place d’un système avec la mise en place des AAU qui sont des échanges reposant sur une tonne d’équivalent CO2. Le Sommet de Kyoto sur le climat, qui réunit en 1997 159 pays et qui a abouti à la signature d’un accord engageant les pays industrialisés à réduire leurs émissions de gaz à effet de serre et donc au fameux « Protocole de Kyoto », est certes derrière nous, même si ces systèmes existent toujours. Et la COP 26 avait ouvert la voie à la création d’instruments économiques pour l’accord de Paris, avec la création de ce qu’on appelle des résultats d’atténuation, des ITMO, Internationally Transferred Mitigation Outcomes. C’est un système qui permet d’éviter que les approches entre états de coopération n’aboutissent en réalité à une augmentation des émissions de gaz à effet de serre, c’est-à-dire qui résout un problème qui est fondamental, qui est celui… Il y a beaucoup de problèmes fondamentaux dans ce sujet et je vais en dire un mot plus loin sur le deuxième gros problème :  éviter le double comptage. Parce que si, évidemment, on compte deux fois la tonne de carbone évitée, ça ne fait pas vraiment avancer le schmilblick. Donc ces règles, pour éviter le double comptage, ont été précisées, ou tout au moins les grandes orientations ont été fixées à Glasgow et au niveau européen, en juillet 2022, un accord a été trouvé avec le Parlement européen pour permettre le développement de marchés de crédits carbone non obligatoires à l’échelle européenne. Mais le sujet majeur, c’est bien entendu et sans jeu de mots, de ne pas vendre du vent. C’est-à-dire d’être certain que la tonne économisée, elle existe. C’est donc tout le problème du sérieux dans l’évaluation et dans le contrôle des tonnes économisées. Il existe, au niveau international aujourd’hui, deux grands systèmes. Le système dit VCS, Verified Carbon Standard est le système le plus utilisé à l’échelle internationale. Il repose sur une norme, des audits indépendants et un système de registre en particulier pour le programme dit REDD+, programme qui intéresse la forêt au niveau international. Un deuxième système, créé en 2003 par le WWF, qui s’appelle le Gold Standard, repose sur 5 principes  qu’on retrouve du reste aussi dans le VCS : 1/ l’additionnalité : si vous ne créez pas une amélioration de la situation, il n’y a pas de tonne de carbone économisée nouvelle et donc vous n’avez pas de crédit. 2/ La fiabilité, 3/ la traçabilité, 4/ l’irréversibilité 5/ et la contribution au développement durable. La question de l’irréversibilité est un sujet très important et nous l’avons vu cet été, malheureusement, avec les incendies. Parce que quand vous stockez des tonnes de carbone dans la forêt par des travaux que vous faites qui permettent effectivement une additionnalité, parce qu’une amélioration du puits de carbone, et que ça brûle, vous avez un effet contraire. 

Comment intègre-t-on ce type de problème dans un système juste et contrôlé ? 

Le système prévoit une assurance et il intègre une petite part de risque qui fait l’objet d’une compensation globale. Mais il est clair que si l’on va vers des incendies à répétition, la question des puits de carbone forestiers va devenir délicate à évaluer. Le deuxième grand volet qui commence à se développer, c’est le volet agricole. C’est-à-dire d’avoir une agriculture durable, non seulement durable, mais qui stocke le carbone dans le sol au lieu d’en émettre, des tonnes de carbone. Ce système est effectivement très intéressant, il est très prometteur et il pourrait permettre de financer la transition du monde agricole. Parce que le grand problème, et cela rejoint la question des pesticides, de l’agriculture intensive et tout le reste, c’est que les agriculteurs sont entrés dans un modèle dont ils ont toutes les peines du monde à sortir. Pour sortir de ce modèle et permettre qu’ils gagnent leur vie convenablement, parce que je rappelle quand même que beaucoup d’entre eux ont un niveau de vie qui est totalement indécent, il faut trouver des financements. Si, effectivement, les méthodes agronomiques permettaient un stockage intelligent du carbone et qu’on puisse imaginer des PPA, c’est-à-dire des contrats de longue durée passés entre l’agriculteur et le gestionnaire de ces crédits carbone, qui garantissent un prix qui pourrait être, 30 euros, 40 euros, 50 euros la tonne. Aujourd’hui, la tonne de carbone sur le marché ETS est quand même plutôt autour de 100. Donc sur le marché non obligatoire, 40, 50, ce sont des prix que l’on trouve, voire même 60. Cela permettrait effectivement aux agriculteurs de trouver les moyens de financer la transition. Donc c’est vraiment du win-win si on arrive à le faire. Mais là aussi, la question du contrôle et de l’évaluation est infiniment délicate. Vous le savez tous, puisque vous êtes des professionnels, combien déjà on a des problèmes avec les bilans carbone dans les entreprises, avec des difficultés considérables, puisque selon l’organisme qui fait le bilan, on trouve des résultats sensiblement différents, de telle sorte qu’il y a des appels d’offres qui sont mis par terre parce qu’il y a une contestation là-dessus. Vous pouvez imaginer ce que cela peut donner à ce niveau-là. Enfin, la France promeut, pour sa part, un système national qui est le label bas carbone, qui est un système bien de chez nous, qui présente un certain nombre d’intérêts, mais qui a un inconvénient à mon avis majeur, c’est qu’il est franco-français pour le moment. On essaie de le promouvoir, mais ça ne marche pas forcément. C’est un sujet vraiment très important auquel le monde financier commence à s’intéresser d’ailleurs. Très important pour le monde agricole, très important pour la forêt.

En guise de conclusion

Enfin, je vous rappelle que nos obligations communautaires européennes sont des obligations nettes. C’est-à-dire qu’on déduit de nos objectifs les puits de carbone dont nous disposons. Or, si nos puits de carbone sont mal évalués ou sont faux ou sont détruits, nos obligations en termes de réduction de nos émissions vont croître à due proportion. Donc, aujourd’hui, l’Union européenne est extrêmement attentive à la manière dont les tonnes de carbone sont évaluées, que ce soit au niveau public ou au niveau privé, mais je pense que c’est un sujet dont on reparlera.

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