L’édito de Roland Lombardi
Engagée à la hussarde par Emmanuel Macron et son gouvernement, la réforme des retraites forcée et rejetée par une majorité des Français, nous aura au moins permis de retrouver dans divers médias les commentaires et les interventions, toujours de bon sens, de François Ruffin, le député LFI-NUPES mais véritable électron libre de ce mouvement… ce qui le rend d’autant plus sympathique et peut-être le meilleur candidat de gauche en 2027…
J’ai depuis longtemps fait mienne la célèbre citation d’Audiard tirée du film d’Henri Verneuil, Le Président (1961) : « Je suis un mélange d’anarchiste et de conservateur, dans les proportions qui restent à déterminer ». C’est donc peu dire que je me situe à l’opposé politique de François Ruffin, le député de La France insoumise à l’Assemblée nationale.
Pour autant, j’ai toujours suivi avec grande attention et respect ce militant d’« extrême-gauche ». D’abord, il est l’un des rares homme politique de gauche, surtout de cette gauche-là, à ne pas être frappé par la dérive folle, à l’instar de Mélenchon et de son parti, à avoir fait le choix du communautarisme et du clientélisme indigéniste, du « wokisme » ou de l’islamo-gauchisme. Ruffin est relativement discret sur ces sujets qui déshonorent et surtout discréditent la gauche auprès des classes populaires. Le député de la Somme, essayiste, ancien journaliste et réalisateur, semble n’avoir que peu de goût pour ces thèmes qui sont à mille lieues des préoccupations quotidiennes de la majorité du peuple surtout dit « de gauche », première victime malheureuse de la mondialisation. Signataire du bout des doigts de la tribune contre l’islamophobie en 2019, il n’a toutefois pas participé à la manifestation organisée dans la foulée.
L’auteur de l’essai « Leur progrès et le nôtre, de Prométhée à la 5G » (Ed. Seuil 2021), s’autorise, quoique de gauche, à écorner le mythe du progrès, pourtant l’un des invariants ancestraux de ce côté-là de l’échiquier politique. C’est lors de l’élection présidentielle de 2017, qu’il soutient la candidature de Jean-Luc Mélenchon, sans toutefois souhaiter signer la charte des députés de La France insoumise, dont il rejoint cependant – en dépit d’avoir été élu en Picardie avec le soutien de plusieurs partis de gauche radicale – le groupe parlementaire à l’Assemblée nationale.
Il annonce par ailleurs qu’il sera un « député smicard », reversant une partie de ses revenus à « des œuvres » soit sur 7 000 euros brut d’indemnités, 1 200 virés sur son compte personnel, une partie servant à payer ses impôts, tandis que les 3 000 euros restants seront destinés à des associations. Son collègue de LFI, Alexis Corbière, rappelle toutefois que ses livres et ses films lui rapportent d’autres revenus…
Il est réélu à l’Assemblée en juin 2022.
Aujourd’hui, l’« Insoumis » de 47 ans est toujours considéré comme un électron libre au sein du parti mélenchonniste et de l’alliance électorale LFI/NUPES. Ses collègues et ses adversaires le définissent souvent comme « exaspérant », « omniprésent et insaisissable » mais « passionné » et « sincère ». Une sorte de « populiste de gauche » — façon Podemos — et populaire, qui reste foncièrement attaché à la défense des plus faibles, des « sans dents », « ceux qui ne sont rien »… Il en résulte une authenticité et une cohérence notables. Des constats et des propositions qui font également sens, bien qu’on ne puisse pas toujours partager toutes les solutions qu’il propose. Quoi qu’il en soit, on ne peut que respecter son travail accompli en tant que parlementaire – l’un des plus actifs – et ses combats dans le domaine de la santé, des transports ou encore pour la reconnaissance du Burn-out et contre les inégalités salariales entre hommes et femmes.
Son franc-parler et son insolence font souvent mouche. Une de ses sorties à l’Assemblée nationale, pendant les mesures ubuesques anti-covid, fut savoureuse et restera dans les annales. Alors qu’il se tenait au perchoir, François Ruffin s’est vu rappeler qu’il était obligatoire de garder son masque sur la bouche et s’est vu intimer l’ordre de le remettre. Sa réponse en direction du président de séance fusa : « Ah oui, pardon. Non, c’est vrai que je ne suis pas à l’Élysée, donc je dois porter le masque, ici, à l’Assemblée. Je ne reçois pas des footballeurs, donc je remets mon masque, excusez-moi ».
Il faisait ainsi référence à une vidéo du 14 octobre 2021, dans laquelle Emmanuel Macron, célébrant sa victoire contre l’équipe de soignants du centre hospitalier intercommunal de Poissy/Saint-Germain-en-Laye et chantant, sans masque, « I Will Survive », l’hymne de la victoire de l’équipe de France à la Coupe du monde 1998. Les images ayant fait le buzz sur les réseaux sociaux dès le lendemain.
L’auteur de Debout les femmes ! un documentaire touchant et important
Debout les femmes ! aurait dû être regardé par l’Élysée, Matignon et certains ministres. Car comme le soulignait très bien lors de sa sortie Natacha Polony : « il rappelle la réalité sociale d’un pays qui a très vite oublié ces gens, sur les ronds-points, demandant simplement à vivre dignement de leur travail, mais aussi parce qu’il nous raconte ce que devrait être le travail parlementaire, le cœur de la démocratie ». Les deux députés à l’origine de ce projet étaient François Ruffin, l’Insoumis, et Bruno Bonnel, un entrepreneur au libéralisme décomplexé de La République en marche. Au début, tout les oppose. Sauf l’attention commune portée à ces « métiers du lien », essentiels dans notre société et dans un pays qui a cessé de produire. Un pays que les dirigeants, depuis des décennies et soumis aux « puissances de l’argent » (Mitterrand), l’ont laissé se désindustrialiser. Aujourd’hui, la France, s’étant privée de ses emplois industriels, a perdu sa capacité à protéger ses citoyens et surtout la richesse qui lui permettrait de rémunérer décemment ces fameux métiers de service à la personne payés par la puissance publique.
En pleine pandémie, François Ruffin avait apporté dans un hôpital les blouses cousues par sa mère, en passant notamment près de l’usine textile fermée depuis que la mise en concurrence généralisée et sauvage a éradiqué l’industrie française.
Dans leur périple à travers la France, les deux élus sont ainsi allés à la rencontre de toutes ces femmes que l’on n’entend jamais. Les auxiliaires de vie, les accompagnatrices d’élèves en situation de handicap, les aides à domicile, les femmes de ménage… Dans ce film, elles racontent « les quinze ans, vingt ans de métier, à se casser le dos, la précarité, les trajets en voiture entre les visites alors que le prix de l’essence augmente, l’œil constamment sur la montre alors qu’il faut donner de l’attention à des personnes âgées dont elles sont, parfois, le seul lien avec le monde extérieur ». Elles gagnent entre 650 et 800 € par mois et sont souvent des mères célibataires, disant avec pudeur qu’elles ne font « pas de folies », puisqu’elles sont étranglées par des loyers trop chers (souvent plus de la moitié de leurs petits salaires !), des factures de chauffage qui explosent, sans compter les dépenses obligatoires d’abonnement numérique, de téléphone ou d’assurances diverses.
Lorsque l’on vient d’un milieu modeste et que l’on vit dans la « vraie vie », on ne peut qu’être fortement touché par ces témoignages. Car ces femmes sont nos voisines, nos amies, nos proches !
Un autre monde, il est vrai, pour la petite élite déconnectée et hors-sol de la mondialisation heureuse. Une autre galaxie même pour un Président et un gouvernement qui pensait avoir écarté le danger d’une seconde vague de Gilets jaunes et apaisé le malaise toujours profond et croissant de la « France périphérique », grâce à sa com’, à la peur fort opportune de la pandémie, ses lois sanitaires liberticides et les quelques miettes lancées à la populace pour acheter en son temps son calme et ses voix, telle l’« indemnité inflation » de 100 € pour tous les salariés français gagnant moins de 2000 € annoncée par le Premier ministre le 21 octobre 2021 (pour un coût global de 3,8 milliards d’euros !).
En attendant, avec leur film/documentaire et au-delà d’un récit poignant, Bonnell et Ruffin avait produit un véritable travail de fond parlementaire. A l’époque, leur rapport avait abouti à une proposition de loi qui avait été implacablement rejetée par la majorité présidentielle…
Ruffin, candidat de la gauche en 2027 ?
Il aura suffi de trois simples mots, lâchés à la fin d’un tweet de Jean-Luc Mélenchon, pour affoler les cadres de la Nupes : « François est prêt ». S’appuyant sur une étude Cluster 17 pour Le Point, le leader des Insoumis y conclut hâtivement que François Ruffin et lui peuvent accéder au second tour de l’élection présidentielle. « Magnifique sondage Cluster. François Ruffin et moi passons la barre des 20 %. Et accédons au deuxième tour. Tout le travail accompli depuis un an ne s’est pas perdu dans le sable du bashing permanent contre moi. François est prêt. En avant ! » écrit-il.
Pour l’ancien premier secrétaire du PS, Jean-Christophe Cambadélis, « Ce n’est pas de la petite tactique, c’est de la stratégie. Il fait un strike ! Il acte que la Nupes n’est pas le cadre de désignation du candidat à la présidentielle et annonce le caractère unilatéral de la désignation ».
De même, en feignant de désigner son successeur, il brouille les pistes et crée la confusion. C’est un pied de nez à ceux qui s’y voient déjà mais qui n’en ont pas l’envergure. Ça permet de rappeler que ça pourrait également être lui, puisqu’il s’inclut lui-même dans sa déclaration. En somme, le patron des Insoumis calme les ardeurs et chauffe sa propre place. C’est très mitterrandien !
Pour le concerné, François Ruffin, qui n’avait pas prévu de dévoiler ses intentions pour l’instant, c’est effectivement une sorte de baiser de la mort de la part de Mélenchon.
En effet, quand on brigue un poste à un tel niveau, il n’est jamais trop bon de voir ses ambitions exposées avant l’heure sur la place publique. De nombreuses âmes très mal intentionnées utilisent alors souvent ce procédé pour « tuer » une candidature.
En attendant, on l’a vu plus haut, François Ruffin fait partie objectivement des personnalités les plus intéressantes de LFI. De celles qui peuvent parvenir à séduire une gauche divisée comme jamais et sans leader capable de barrer la route en 2027 à l’extrême droite.
Certes Jean-Luc Mélenchon demeure le dernier grand tribun et débatteur hors pair de notre paysage politique. Son immense culture et son sens politique sont un atout jusqu’ici. Mais ses coups de sang, ses colères et parfois ses outrances peuvent susciter le rejet…
Or Ruffin, même s’il n’est que peu connu en dehors d’un petit cénacle, lui l’ancien jeune impétueux s’est assagi… Plus pondéré, mesuré, il s’est opposé à la réintégration et au retour controversé d’Adrien Quatennens au sein du groupe à l’Assemblée nationale. Ruffin est un député du terrain et un travailleur de fond à l’écoute des gens et qui peut parvenir à capter l’électorat populaire tout en rassurant des électeurs socialistes voire du centre-gauche consternés par la cacophonie, le « bruit » et le désordre provoqués par LFI à l’Assemblée nationale. Concernant la défense des travailleurs et des plus pauvres, il sera en tout cas toujours et beaucoup plus crédible qu’un Mélenchon, politicien professionnel depuis sa jeunesse et peu au fait des difficiles réalités des plus démunis de ses contemporains…
Roland Lombardi est docteur en Histoire, géopolitologue, spécialiste du Moyen-Orient et des questions de sécurité et de défense. Fondateur et directeur de la publication du Diplomate.
Il est chargé de cours au DEMO – Département des Études du Moyen-Orient – d’Aix Marseille Université et enseigne la géopolitique à Excelia Business School de La Rochelle.
Il est régulièrement sollicité par les médias du monde arabe. Il est également chroniqueur international pour Al Ain. Il est l’auteur de nombreux articles académiques de référence notamment : « Israël et la nouvelle donne géopolitique au Moyen-Orient : quelles nouvelles menaces et quelles perspectives ? » in Enjeux géostratégiques au Moyen-Orient, Études Internationales, HEI – Université de Laval (Canada), VOLUME XLVII, Nos 2-3, Avril 2017, « Crise du Qatar : et si les véritables raisons étaient ailleurs ? », Les Cahiers de l’Orient, vol. 128, no. 4, 2017, « L’Égypte de Sissi : recul ou reconquête régionale ? » (p.158), in La Méditerranée stratégique – Laboratoire de la mondialisation, Revue de la Défense Nationale, Été 2019, n°822 sous la direction de Pascal Ausseur et Pierre Razoux, « Ambitions égyptiennes et israéliennes en Méditerranée orientale », Revue Conflits, N° 31, janvier-février 2021 et « Les errances de la politique de la France en Libye », Confluences Méditerranée, vol. 118, no. 3, 2021, pp. 89-104. Il est l’auteur d’Israël au secours de l’Algérie française, l’État hébreu et la guerre d’Algérie : 1954-1962 (Éditions Prolégomènes, 2009, réédité en 2015, 146 p.). Co-auteur de La guerre d’Algérie revisitée. Nouvelles générations, nouveaux regards. Sous la direction d’Aïssa Kadri, Moula Bouaziz et Tramor Quemeneur, aux éditions Karthala, Février 2015, Gaz naturel, la nouvelle donne, Frédéric Encel (dir.), Paris, PUF, Février 2016, Grands reporters, au cœur des conflits, avec Emmanuel Razavi, Bold, 2021 et La géopolitique au défi de l’islamisme, Éric Denécé et Alexandre Del Valle (dir.), Ellipses, Février 2022. Il a dirigé, pour la revue Orients Stratégiques, l’ouvrage collectif : Le Golfe persique, Nœud gordien d’une zone en conflictualité permanente, aux éditions L’Harmattan, janvier 2020.
Ses derniers ouvrages : Les Trente Honteuses, la fin de l’influence française dans le monde arabo-musulman (VA Éditions, Janvier 2020) – Préface d’Alain Chouet, ancien chef du service de renseignement et de sécurité de la DGSE, Poutine d’Arabie (VA Éditions, 2020), Sommes-nous arrivés à la fin de l’histoire ? (VA Éditions, 2021), Abdel Fattah al-Sissi, le Bonaparte égyptien ? (VA Éditions, 2023).
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