David Vallat, 52 ans, est né à Villefontaine en Isère. Il est un ex-djihadiste français de la « première génération endogène ». Il grandit dans un quartier populaire et multiculturel de sa commune et se convertit à l’islam dans sa jeunesse. Il a fait une tentative ratée pour rejoindre les rangs des moudjahidines étrangers partis soutenir les musulmans de Bosnie pendant la guerre de Bosnie-Herzégovine, puis est parti s’entrainer dans un camp de jihadistes en Afghanistan. À son retour, il a formé la cellule islamiste de Chasse-sur-Rhône qui a été démantelée dans le contexte des attentats de 1995. En 1998, Vallat est condamné à six ans de prison. Au cours de ses années de détention, il a décidé de rompre avec l’idéologie islamiste, de reprendre ses études et s’est ensuite réinséré dans la société française. C’est en 2015, à l’occasion des attaques contre « Charlie Hebdo » et l’Hypercasher, qu’il décide de sortir du silence pour expliquer son parcours et revenir sur son expérience, un témoignage essentiel et incontournable pour mieux comprendre les processus de radicalisation. En 2016, il publie un ouvrage intitulé Terreur de jeunesse, aux éditions Calmann-Lévy.
Dans cet entretien pour Le Diplomate, où il est à présent chroniqueur, il revient sur les raisons de son livre autobiographique, son expérience et surtout son précieux témoignage sur la mécanique de la radicalisation et de l’embrigadement…
Propos recueillis par Angélique Bouchard
Le Diplomate : Ce sont les attentats de 2015 qui vous ont poussé à écrire ce livre. En tant qu’ancien djihadiste, comment avez-vous vécu personnellement ces attaques et quelle a été depuis, votre analyse globale de ce danger terroriste qui touche l’Occident depuis cette date ? Et alors que vous avez longtemps caché votre passé sulfureux, pourquoi parler, surtout durant cette période tragique ?
David Vallat : Ce sont effectivement les attaques de janvier 2015, contre la rédaction de « Charlie » et l’Hypercasher qui m’ont décidé à sortir de l’anonymat. La raison était double. La première consistait à ne pas laisser se banaliser de s’en prendre à des juifs pour la seule raison de leur naissance, comme ce fut le cas pour les clients du magasin visé. La seconde était que le message des frères Kouachi consistait à nous dire que le blasphème, et sa condamnation à mort étaient de retour.
Dans votre ouvrage, vous racontez la manière dont vous vous êtes radicalisé. Mais surtout, comment vous êtes finalement sorti de cet engrenage. En quelques mot quel a été votre parcours, et comment expliquez-vous votre conversion à l’islam et le basculement dans le radicalisme, la lutte armée au nom de la religion sur des territoires de guerre comme en Yougoslavie dans les années 1990 ?
L’erreur que je commets à l’époque est de penser que je vais avoir une action sur le terrain. Or, je constate que c’est le terrain qui agit sur moi. Si j’avais pu intégrer une unité combattante en Bosnie dès mon arrivée, je n’aurais pas eu besoin d’une idéologie pour me soutenir. Le problème est que mes amis et moi, nous sommes neuf, avons « la bonne idée » d’aller en ex-Yougoslavie au moment où la Croatie et la Bosnie, alors alliées contre la Serbie, se déclarent la guerre. Nous nous jetons littéralement dans la gueule du loup, sans armes, durant trois semaines, avec plusieurs « occasions » de mourir. Il me faut alors une idéologie qui me permette de ne pas faire marche arrière.
Au retour de vos séjours au Pakistan et en Afghanistan, vous êtes arrêté en 1995, dans le contexte des attentats de l’époque, et vous êtes condamné en 1998. C’est en prison que votre processus de déradicalisation a commencé. Mais de manière solitaire et sans un « programme de radicalisation ». Vous dites que c’est notamment grâce à l’État français, votre ancien « ennemi », qui vous a bien traité lors de votre garde à vue, votre procès et durant votre détention. C’est pourquoi vous êtes contre des lois d’exception pour lutter contre le terrorisme. Car c’est souvent le contraire qui se produit avec de nombreuses radicalisations en prison. Qu’en pensez-vous ? Et y a-t-il eu un autre « déclic » dans votre esprit tout en restant musulman ? Pour vous, la justice et le système carcéral français sont-ils adaptés à ce phénomène et à l’islamisation en général ? Par expérience, quelles seraient vos recommandations à ce sujet (notamment sur le débat du regroupement des radicalisés) ?
Si l’on m’avait traité en dehors d’un cadre légal, comme ce fut le cas pour les détenus de Guantanamo, avec des tortures et des brimades, il est presque certain que j’aurais « verrouillé mon esprit » sur la doctrine djihadiste, pour ne plus en sortir. Le fait d’avoir été traité dans le cadre du droit, même renforcé, aura été une vraie césure sur mes convictions politiques. J’étais certain lors de mon arrestation que je serais torturé et exécuté. Et cela n’est jamais arrivé. En France, l’arsenal pénal n’a cessé de se renforcer, de sorte que les peines édictées sont de plus en plus lourdes. En dehors de la mise à distance de la société française des condamnés, ces peines sont, en creux, un aveu de remise à plus tard de la gestion du retour à la liberté des djihadistes. En fait, il semble qu’à défaut d’autre chose, la réponse ne soit que pénale et répressive, sans réelle projection dans l’avenir.
Pour l’heure aucun pays ne peut se targeur d’avoir mis au point une méthode de désengagement des djihadistes qui soit avérée comme efficace. Il y a cependant l’exemple allemand qui consiste à suivre les sujets concernés sans rupture à chaque étape du parcours judiciaire et carcéral. Il me semble que cela va dans le bon sens. C’est sur le temps moyen, voire long, que l’on peut observer si un condamné pour djihadisme reste figé dans cette doctrine, ou s’il en sort peu à peu. Seule une équipe qui sera sur cette durée pourrait « raisonnablement » évaluer le niveau de désengagement ou non. Toute maitrisée que puisse être la « taqiya », ou dissimulation, il y a toujours des éléments de langages qui peuvent « trahir » la pensée du sujet. Ce n’est que lorsqu’un individu est suivi par les mêmes intervenants, que cela peut se déceler. Cependant, en termes de droit, il est impossible de condamner sur une simple estimation de dangerosité. Ce serait une véritable boite de Pandore judiciaire qui serait ouverte si l’on commençait à édicter des « enfermements de protection ». Les « enfermements de protection » furent le moyen de museler l’opposition lors de la prise de pouvoir en Allemagne par le NSDAP en 1933… Nous savons où cela aura mené l’Europe. En cela, le djihadisme pose de réelles problématiques entre le respect des droits individuels et collectifs, d’une part, et la sécurité d’autre part.
La lutte contre le djihadisme nous rappelle l’équilibre précaire entre les droits et les devoirs. La préservation des droits des citoyens, en termes de liberté, est un devoir des états de droit auxquels nous prétendons en Europe.
En toute franchise, je n’aimerais être ni législateur, ni juge en l’état actuel des choses.
Après votre libération et votre désendoctrinement avéré, dans d’autres pays, vous seriez devenu un consultant officiel de l’État sur ces questions. Avez-vous justement été approché – si vous pouvez le dire évidemment – par les services de sécurité français pour des conseils ou autres afin de comprendre le logiciel et l’univers mental des terroristes ? J’ai été contacté une seule fois par le ministère de l’intérieur pour participer à la campagne « stop djihadisme » en 2017. C’est le seul travail avec un service officiel d’un état que je compte à mon actif. La culture française n’est pas aussi orientée vers le pragmatisme que ne l’est la culture anglo-saxonne. J’ai rencontré par exemple le conseiller anti-terrorisme endogène de Barack Obama, Errol Southers, juste après les attentats du 13/11 à Paris. Il était étonné que je ne sois pas appelé à collaborer avec les services dédiés en France. Il m’avait dit qu’aux états unis, je serais déjà sous contrat avec les services de renseignements et d’analyses dans la lutte contre le djihadisme. Pour lui, à minima, j’aurais dû être intégré dans un programme d’étude et de conférences à l’université…
Êtes-vous en contact avec des associations qui s’occupent de ces problèmes ? Est-ce possible en France d’entreprendre des programmes sérieux de déradicalisation ? Car les résultats des centres existants sont loin d’être probants… Le mal est-il plus profond notamment dans une société française actuelle si fracturée ?
Ma seule « activité » en lien avec la dissuasion du public visé, face au discours djihadiste, se limité à mes publications sur Facebook, et quelques rares prises de paroles publiques. En dehors de cela, et ne disposant d’aucuns moyens, je suis chargé d’affaires dans l’industrie. Le seul « lien » avec mon parcours et mon activité professionnelle consiste à travailler dans la serrurerie industrielle. Pour un ancien détenu, devenir chargé d’affaires en serrurerie, s’inscrit dans une sorte de continuum logique…
Pour tout dire, j’ai l’impression d’être un pur-sang qui sait qu’il peut gagner la course, mais que l’on garde avec le box de départ fermé…
Prison, lecture, études, diplômes, travail… Votre rédemption et votre réinsertion sont exemplaires. Or, n’est-ce pas plus « facile » de « sortir du fondamentalisme » pour un converti que pour un jeune d’origine et de culture arabo-musulmane, qui a une autre vision de la France et qui, à tort ou à raison, ne le fait pas rêver ?
Quoi que puisse penser un candidat au djihad, issu de la culture arabo-musulmane, pour peu qu’il soit né en Europe, il est de toute façon un produit de la culture du pays de naissance. Les propagandistes de Daesh l’avait très bien compris, et le discours à destination des jeunes vivants en Europe n’était pas du tout celui à destination de probables candidats issus du monde arabe ou encore d’Asie centrale. Le discours à destination des jeunes nés en Europe était celui à destination de « consommateurs ». On leur promettait une place, un rang, des moyens d’action, une maison, une voiture et des femmes. Le discours à destination du monde arabe était celui de la restauration du califat et celui à destination de l’Asie, était un discours de la salvation d’un monde post-moderne par le sacrifice de soi.
En France, un débat houleux a opposé et oppose toujours certains chercheurs, scindés en deux camps distincts : les tenants de la théorie de l’islamisation de la radicalité contre ceux de la radicalisation de l’islam. Qu’en pensez-vous ? Quelles sont, selon vous, les principales causes de la radicalité religieuse ?
Il s’agit à mon sens d’une posture typiquement française, qui, lorsqu’un sujet apparait, donne lieu à une opposition de principe de deux façons de voir les choses. C’est un manichéisme bien hexagonal que l’on peut observer sur quasiment tous les débats traversant notre société. Vouloir une dichotomie entre « islamisation de la radicalité » et la « radicalisation de l’islam » est contreproductif. La « vérité » se trouve certainement entre les deux notions évoquées. Se contenter d’une « islamisation de la radicalité » ne peut expliquer la raison pour laquelle les djihadistes appellent la mort de leur vœu, alors que pas un seul mouvement terroriste des années 1950 à 1980 ne prônait la mort des exécutants des attentats. Se contenter d’une « radicalisation de l’islam » ne permet pas d’appréhender le volet politique de l’islam en tant que projet d’état islamique. C’est un peu comme si la violence intrinsèque à l’Islam politique était une nouveauté… Il suffit de se rappeler comment sont morts trois des quatre premiers califes pour constater que la violence politique est née avec le projet politique de l’instauration d’un califat. Une violence politique qui ne vaut que par le fait de faire allégeance à tel ou tel homme de pouvoir. L’exemple de la guerre sans fin entre sunnites et chiites est assez démonstratif en soit. Il s’agit d’une guerre entre une allégeance à un calife, pour les sunnites, ou à un imam pour les chiites.
Vous êtes un observateur attentif de l’actualité nationale comme internationale. Comment évaluez-vous aujourd’hui la menace djihadiste, en France et dans le monde ? Que penser du « djihadisme 2.0 » et du « djihadisme d’atmosphère » ?
Un exemple résume ce nouveau danger. Il s’agit de l’attentat du marché de Noël à Strasbourg. La police vient arrêter un suspect à 6h00 du matin, alors qu’il n’est pas chez lui. Ce même suspect apprend donc que la police le recherche pour des braquages. Nous ne savons pas ce que se reproche le suspect à ce stade. Mais peut-être est-ce plus grave que de « simples » braquages. Le voici donc entre deux choix :
- Se laisser arrêter, avec la certitude de retourner pour des années en prison.
- Faire allégeance à Daesh, tuer et se faire tuer pour accéder au rang de martyr, et la certitude d’aller au paradis.
Nous savons quel choix ce candidat à l’allégeance à Daesh a fait…
Enfin, vous affirmer qu’il faut « savoir quel est l’univers mental des djihadistes, pour savoir quelles réponses y apporter ». Selon vous donc, quelles seraient ces réponses pour enrayer ce fléau en France comme ailleurs ?
La meilleure réponse, à mon sens, est celle du contre discours qu’il faut apporter au discours djihadiste. On vend du divin à tous les étages de la doctrine, alors que tout n’est QUE politique et humain.
Un jour, lors d’une conférence, un jeune m’a demandé quelle réponse faire à ceux attirés par les sirènes du djihad. Ma réponse a été la suivante :
« On dit aux gamins qu’ils vont tuer et se faire tuer pour Allah, alors qu’ils ne vont que tuer et se faire tuer pour un émir… Un émir, ou un calife, dont on ne peut garantir qu’il aille au paradis, tout comme ceux qui l’auront suivi. »
J’ai vu dans le regard de celui qui avait posé la question qu’il avait compris et validé la réponse.
Diplômée de la Business School de La Rochelle (Excelia – Bachelor Communication et Stratégies Digitales) et du CELSA – Sorbonne Université, Angélique Bouchard, 25 ans, est titulaire d’un Master 2 de recherche, spécialisation « Géopolitique des médias ». Elle est journaliste indépendante et travaille pour de nombreux médias. Elle est en charge des grands entretiens pour Le Dialogue.