Dans les grandes crises politiques ou sociales, le salut qui surgit souvent au moment le plus critique, réside ordinairement dans un Homme. Celui-ci est connu, ou plutôt deviné, par la sagesse de tout un peuple, heureuse la nation où le peuple peut élever au-dessus des clameurs des partis sa voix. Montesquieu, dont les tendances n’avaient rien de très démocratique, écrivit pourtant cette vérité : « Le peuple est admirable pour choisir ceux auxquels il doit déléguer quelque partie de son autorité ».
Précédée d’une grave crise financière et économique et aggravée par le mécontentement grandissant de l’opinion face à la politique autoritaire et conservatrice de Guizot, la révolution de 1848 (journées des 22,23 et 24 février) chassa Louis-Philippe du trône que celui-ci avait lui-même pris aux Bourbons en 1830. Ne voulant pas voir leur victoire confisquée, les républicains rejetèrent la nomination du comte de Paris et nommèrent un gouvernement provisoire.
Le 24 février 1848, la République était de nouveau proclamée en France. Cette proclamation devait être normalement soumise à la ratification nationale par le biais du plébiscite mais cette ratification n’eut jamais lieu. Cette nouvelle République fut agitée, en septembre-octobre, par l’élaboration de la constitution mais aussi et surtout par la question de l’élection de son président et du mode de cette élection. Les débats, entre les partisans de l’élection par l’Assemblée et ceux de l’élection présidentielle par toute la nation, furent passionnés, parfois houleux. Les partisans du plébiscite, c’est-à-dire de l’élection par le peuple, l’emportèrent et peu après la date de l’élection fut fixée au 10 décembre 1848.
Contrairement à la révolution de 1830, les bonapartistes ne jouèrent aucun rôle dans le déroulement de celle de février et seule une « ferveur » dans le culte napoléonien semble être présent place de Grève ou bien place Vendôme. A la chute de Louis-Philippe, le Prince Louis-Napoléon Bonaparte rentra d’exil et offrit ses services au gouvernement provisoire. Prétextant des difficultés que pouvait susciter à Paris la présence du Prince, le gouvernement issu des journées de février invita Louis-Napoléon à quitter la France. Ne voulant pas créer d’incidents et contrarier son éventuel retour sur le devant de la scène publique et politique, le Prince rentra à Londres.
Les premières élections à l’assemblée constituante, en avril, surprennent les fidèles du Prince, groupés autour de Persigny. Sans véritables candidatures bonapartistes, Persigny, le banquier Aristide Ferrère, des conjurés de Strasbourg, fondent, avec à sa tête le général Piat, un Comité Napoléonien. Ce comité « secret », fera une campagne tournée sur les souvenirs de l’épopée sans préciser une quelconque politique bonapartiste. Cette propagande aura pour effet de faire porter sur le nom du Prince un nombre de voix non négligeables, cela alors même que Louis-Napoléon n’est pas candidat. Si le bonapartisme ne représente que peu de chose en avril 1848, on peut déjà s’apercevoir qu’il existe un petit noyau bonapartiste dans le pays.
Au mois de juin, à l’occasion d’élections partielles, Louis-Napoléon se décide à franchir le pas. Une nouvelle fois c’est Persigny qui va jouer le rôle de « chef de campagne ». Avec l’appui de quelques fidèles, mais pratiquement sans fonds et sans l’appui d’aucuns journaux, il va créer quelques comités en province qui vont placarder quelques affiches et distribuer différents bulletins. A Paris c’est seulement deux jours avant le scrutin, que les habitants de la capitale pourront lire sur les murs une affiche rose appelant à voter pour le « défenseur du peuple ». Ces affiches sont signées par des ouvriers et des notables, parmi lesquels Victor Hugo.
A la grande surprise de la classe politique en place, le Prince est élu député le 4 juin, simultanément dans les départements de la Seine, de l’Yonne, de la Charente-Inférieure et de la Corse. Le gouvernement de la République était dans une mauvaise posture devant ces résultats, mais aussi et surtout devant les transports de joie que l’annonce de ces élections avait suscitée dans l’opinion. Le bruit courut même que si Bonaparte rentrait en France il y serait arrêté, créant encore plus d’agitation autour du nom du Prince et poussant ses partisans à menacer le gouvernement de rouvrir de force les portes de la patrie à l’Elu de Paris si l’Assemblée persistait à lui interdire le sol français. Au courant de ces contestations passionnées, le Louis-Napoléon envoya sa démission de Londres, ce qui eut pour effet de lui attirer encore de nombreuses sympathies. Ne chantait-on pas dans les rues :
« Je suis républicain dans l’âme Pourtant j’aime Napoléon Peu importe pour moi qu’on le blâme Il fit respecter notre nom. Vive la République. Je suis un franc républicain Je vous le donne pour certain Il faudrait un Napoléon Pour soutenir la nation. »
Du 23 juin au 26 juin eurent lieu à Paris, des journées insurrectionnelles consécutives à la fermeture des Ateliers nationaux décidée le 21 juin par l’Assemblée. Ces journées furent réprimées par le général Cavaignac et firent plus de 4000 morts. Elles eurent aussi pour conséquences la montée du Parti de l’Ordre. Ces troubles, qui agitèrent le pays, poussèrent Louis-Napoléon à rentrer à Paris, le gouvernement ne s’y opposa pas. Il se représenta aux élections complémentaires du mois de septembre.
Cette fois-ci encore, la campagne fut menée assez modestement, mais les affiches sont plus nombreuses et la presse parle de la candidature du Prince. Le 17 septembre, Louis Napoléon fut réélu par les quatre mêmes départements, auxquels s’ajoutait encore celui de la Moselle. Face à ce nouveau raz-de-marée électoral, l’Assemblée ne crut pas possible de résister au courant national et valida cette élection sans discutions.
Dès que l’Assemblée eut votée l’élection par le plébiscite du Président de la République, le Prince Louis-Napoléon posa sa candidature. Il prend position pour l’amnistie des condamnés politiques, l’allègement des impôts, de la conscription, les grands travaux pour lutter contre le chômage, la création d’institutions de prévoyance sociale, des modifications de la législation industrielle. Il a à lutter contre plusieurs concurrents : le poète Lamartine, le jacobin Raspail, le démagogue Ledru-Rollin, mais le plus redoutable de tous était le général Cavaignac qui jouissait de beaucoup de popularité et que soutenaient activement toutes les forces gouvernementales.
Comme pour la campagne orchestrée lors des élections à la députation, celle pour la campagne présidentielle ne sera pas tapageuse. Faute d’argent et d’hommes, le Prince ne pourra compter que sur un petit cercle d’amis – Persigny, Fleury, Mocquard – ainsi que sur le Comité central électoral qui regroupe le Comité Napoléonien du général Piat et celui du faubourg Montmartre. Pour ce qui est de ses relais dans la presse, Louis-Napoléon ne peut compter que sur un petit nombre de journaux mais parmi lesquels nous retrouvons « le Constitutionnel » de Véron, « la Presse » d’Emile de Girardin et « l’Evènement » de Victor Hugo. Cavaignac de son côté dispose de l’appui de la majorité des journaux, du soutien de pratiquement tous l’ensemble des représentants à l’Assemblée et chose encore plus importante du contrôle et de l’aide de l’administration.
Mais comme électrisé, l’âme française est secouée d’un profond sursaut d’enthousiasme : un Napoléon reprenait un rôle actif sur la scène de la vie nationale ! Le nom de Cavaignac quant à lui, rappelle l’insurrection de Juin, dont l’écrasement lui vaut la haine du monde ouvrier des grandes villes alors que l’Extinction du Paupérisme ajoute une séduction populaire au nom éclatant de Louis-Napoléon Bonaparte. Le monde rural, encore « envouté » par les souvenirs napoléoniens, et déçu lui aussi par le pouvoir en place, est prêt à porter le Prince-candidat au pouvoir. Pas plus que le ralliement du peuple des villes et l’attrait spontané éprouvé par les masses rurales, il ne faut oublier la satisfaction ressentie par une fraction de la bourgeoisie, plus soucieuse d’ordre et de sécurité que de liberté, devant l’arrivée de l’héritier de Napoléon. Il obtiendra aussi le soutien tardif de certains notables du parti de l’Ordre : Odilon Barrot, Molé et surtout Thiers persuadé qu’il avait affaire « à un crétin que l’on mènera ».
Tout au long du mois de novembre, la presse hostile au Prince et au bonapartisme va alterner moqueries et mises en garde, mais au fur et à mesure des ralliements et des nouvelles arrivant de province, le résultat de l’élection ne fait plus de doute.
De même que le peuple de cinq départements l’avait brillamment élu député, presque toute la France porta triomphalement, le 10 décembre 1848, Louis-Napoléon Bonaparte Président de la République. Nous assistons à une lourde défaite des républicains modérés et à l’écrasement des républicains « avancés ». Sur sept millions cinq cent dix-sept mille votants, le Prince obtint cinq millions cinq cent soixante-deux mille suffrages. Le général Cavaignac, candidat officiel, obtint un million quatre cent soixante-neuf mille, Ledru-Rollin trois cent soixante-seize mille, Raspail trente-sept mille et Lamartine vingt mille. Sur sept électeurs, cinq s’étaient donc prononcés pour le Prince Napoléon. Ce résultat écrasant permettait de faire taire certains adversaires du plébiscite qui proclamaient que « le résultat doit en être toujours conforme au vœu du gouvernement qui l’émet » … L’échec de Cavaignac est le démenti le plus formel de cette théorie.
Il faudra attendre le 20 décembre pour que Louis Napoléon soit proclamé président de la République. Dans l’enceinte de l’Assemblée, son président Marrast lit le serment que doit prêter le président de la République : – « En présence de Dieu et devant le peuple français, représenté par l’Assemblée nationale, je jure de rester fidèle à la République démocratique, une et indivisible et de remplir tous les devoirs que m’impose la constitution. » – la main tendue, le Prince-président dit alors d’une voix haute – « je le jure ». Reste à Louis Napoléon Bonaparte de lire une brève proclamation : – « Mon devoir est tracé, je le remplirai en homme d’honneur. Je verrai des ennemis de la Patrie dans tous ceux qui tenteraient de changer par des voies illégales ce que la France a établi… Soyons les hommes du pays, non les hommes d’un parti et, Dieu aidant, nous ferons du moins le bien si nous ne pouvons faire de grandes choses. ».
Comme l’écrira René Rémond, « l’élection du 10 décembre a libéré une force politique neuve, radicalement différente de ses aînées, dont les millions d’électeurs établissent d’emblée la puissance dans le pays. ». Louis-Napoléon Bonaparte, neveu du grand Napoléon, devenait donc le premier président de la République élu au suffrage universel avant de devenir 22 ans plus tard le dernier souverain qu’ait connu la France, mais ceci est une autre histoire.
L’élection de Louis Napoléon Bonaparte peut nous amener à tirer la conclusion suivante : le « monde officiel » n’est pas la France. En effet, la France c’est l’ensemble formidable que composent l’ouvrier, le commerçant, l’artisan, l’agriculteur, le fonctionnaire, le chef d’entreprise, l’employé. C’est la foule imposante de tous les membres actifs du corps social ; en un mot, c’est la collectivité des Français sans aucune distinction de classe, de fortune, de talent, de mérite ou d’autorité.
Que pèse, que pèsera jamais, devant cette France souveraine, la frêle et passagère puissance du « monde officiel » ? A méditer par tous les « puissants » du moment.
David Saforcada, est un ancien militaire des Troupes de Marine, formateur dans les métiers de la sécurité privée et membre de plusieurs associations souverainistes et patriotes. Il est actuellement Secrétaire général du Centre d’Études et de Recherches sur le Bonapartisme et Président du mouvement, L’Appel au Peuple.