Après San Francisco, l’exposition-événement Ramsès & L’or des pharaons s’installe pour six mois à Paris à la Grande Halle de La Villette où elle a été inaugurée en grande pompe jeudi 6 avril 2023, en présence du Dr. Mostafa Waziry, secrétaire général du Conseil suprême des Antiquités d’Egypte et de l’archéologue Zahi Hawass, commissaire international de l’exposition ainsi que des égyptologues Dominique Farout, commissaire français de l’exposition et Bénédicte Lhoyer, conseillère scientifique. Les membres de l’équipe étaient également les invités d’honneur de la prestigieuse conférence du CEMO qui s’est tenue le lendemain, à l’Hôtel de Crillon, sous l’égide du Dr. Abdelrahim Ali et en présence du Ministre Ahmed Issa, Ministre du Tourisme et des Antiquités d’Egypte.
Docteure de l’Université Paul Valéry-Montpellier 3, enseignante à l’Ecole du Louvre, Bénédicte Lhoyer nous guide dans la scénographie inédite conçue pour allier objets précieux et réalité virtuelle et révéler au public tout l’univers de Ramsès II, considéré comme l’un des plus grands des pharaons d’Egypte.
Bénédicte Lloyer quelle est votre mission sur l’exposition Ramsès & L’or des pharaons dont vous êtes la conseillère scientifique ?
L’exposition s’adresse à tous les types de publics, quel que soit le niveau et l’âge, avec une composante pédagogique et universitaire très développée. Mon rôle est d’adapter l’exposition au public français. Le commissaire de l’exposition, Dominique Farout, s’était rendu, au préalable, à San Francisco pour observer la scénographie américaine de l’exposition. Pour la version parisienne, nous sommes très précis sur certains points d’histoire et nous avons vraiment voulu apporter un cran supplémentaire par rapport au discours américain ou anglophone ce qui nous permet de répondre précisément aux attentes spécifiques du public français qui est souvent fin connaisseur de l’Egypte ancienne. Les visiteurs qui ont une connaissance très approfondie en égyptologie pourront y trouver des conditions d’observations idéales. Par exemple, le cercueil de Ramsès II exposé habituellement en vitrine au Musée de la civilisation est toujours placé debout, dans une verticalité et une prestance magnifique, et on ne peut pas lire l’inscription qui se trouve au sur la tête, apposée lorsqu’il avait été déplacé dans sa dernière cachette. Dans l’exposition Ramsès & L’or des pharaons nous avons fait le choix de présenter le cercueil à l’horizontale. Beaucoup de collègues spécialistes d’égyptologie n’avaient pas eu l’occasion de voir le cercueil de Ramsès sous cet angle, de si près, et de pouvoir en déchiffrer les inscriptions.
Le cercueil de Ramsès est en effet l’une des pièces maîtresse et des plus célèbres. D’autres sont quasiment inconnues du grand public, quelles sont-elles ?
Exposer le cercueil de Ramsès est un événement. C’est une pièce qui, théoriquement n’est pas censée sortir d’Égypte. La sélection des pièces est naturellement d’une grande richesse. La statue blanche sélectionnée pour l’affiche de l’exposition est un colosse qui vient d’Hermopolis, la ville d’Hermès pour Thot (dieu de l’écriture), près de la cité d’Akhenaton, en Moyenne Egypte. C’est un circuit qui échappe en général au grand public car le site est très abîmé. De plus, le colosse est exposé à Charm-el-Cheikh, une station balnéaire davantage fréquentée par les plagistes que par les adeptes des musées. Le fait de l’avoir mis en valeur ici et présenté avec une très belle lumière, c’est une très belle découverte. Les momies animales mises au jour à partir d’avril 2018 sont également des « nouveautés » pour le public. Le choix fait par les autorités égyptiennes est à ce titre très judicieux qui mêle des pièces emblématiques à d’autres moins connues mais grandement intéressantes et encore d’autres plus « neuves », au plus près de la recherche.
C’est rare étant donné les délais habituels entre les recherches archéologiques et la présentation des résultats au public, n’est-ce pas ?
Oui, habituellement, il y a un temps très long d’étude en laboratoire avant que les objets ne partent en exposition. Ce que l’on voit dans Ramsès & L’or des pharaons, c’est aussi une photographie de l’état des lieux des fouilles archéologiques en cours et de la recherche, surtout du côté de Saqqara. Ce qui rejoint toute la communication du service des Antiquités pour montrer les tombes qui sont dégagées et le travail de restauration. Dans l’exposition, une vidéo de Zahi Hawass, archéologue et universitaire, ancien ministre du Tourisme et des Antiquités d’Egypte, détaille tout le travail qui est mené actuellement à l’intérieur de la tombe de Ramsès II. D’ailleurs, une partie de la billetterie de l’exposition sert à financer cette restauration qui représente un coût … pharaonique !
Avec Toutânkhamon et Cléopâtre, Ramsès II est sans aucun doute, l’une des figures historiques les plus connues de l’Égypte. Pourquoi fascine-t-il autant ?
C’est une figure fascinante car aucun autre roi n’a eu un règne aussi long et n’est devenu une telle légende. Le fil directeur de l’exposition est de montrer la définition du roi dans l’Egypte ancienne. Quel meilleur exemple que celui qui a le mieux incarné cette idée du pharaon dans toute sa démesure ? A tel point que l’on a choisi de ne pas mettre le « II » dans le titre de l’exposition car quand on dit « Ramsès » tout le monde pense spontanément à « Ramsès II ». On ne peut pas échapper à Ramsès ! Son cartouche est sur tous les sites. Il est un peu l’étranger familier : né aux alentours de 1 305 avant Jésus-Christ, Ramsès est devenu, de son vivant, une légende de l’histoire de l’Egypte ancienne, célèbre pour la bataille de Qadesh qui oppose l’empire égyptien à l’empire hittite de Muwatalli (Anatolie centrale). Et après sa mort, Ramsès exerce une puissante influence sur les rois suivants qui n’ont de cesse de marquer une filiation avec lui.
Comment peut-on se représenter la démesure des constructions du temps de Ramsès ?
Dans la grande salle hypostyle de Karnak décoré par Ramsès II, le Centre franco-égyptien d’étude du Temple de Karnak (C.N.R.S.) a créé de magnifiques panneaux pour montrer la taille de la construction et on voit que l’on peut y mettre Notre-Dame de Paris ! Cela donne vraiment au public la mesure des constructions de son père Sethi Ier. Sous le règne du fils, les constructions de Ramsès sont vraiment caractérisées par l’ampleur et la débauche de moyens. Voyez Abou Simbel, le pylône de Louxor, son temple à Abdyso. Et pourtant, énormément de temples ont disparu. Il reste encore des choses à fouiller. On pense d’ailleurs qu’il y a encore des œuvres faites par Ramsès II que l’on va découvrir à l’avenir.
Le trésor de Ramsès a disparu mais l’exposition propose une reconstitution de ce que pouvait contenir la tombe de Ramsès II. Comment avez-vous procédé ?
L’histoire de Ramsès est en miroir inversé de celle de Toutânkhamon. Complètement tombé dans l’oubli, Toutânkhamon est un roi dont le trésor funéraire nous est parvenu dans son intégralité. A l’inverse, Ramsès est une légende, il est le roi le plus connu mais son trésor a disparu ! Malgré tout, on peut le reconstituer grâce à la dynastie suivante dont on a retrouvé les trésors. Ses descendants spirituels vivaient à Tanis au milieu des trésors, des palais, des colosses bâtis par Ramsès. Grâce à eux, on peut vous laisser imaginer ce qu’étaient les trésors de sa tombe. Ramsès est devenu le seul mortel à défier la mort et le temps car nous pouvons nous souvenir de son nom même après des milliers d’années et nous avons en plus sa momie !
Comment sa momie a-t-elle résisté aux épreuves du temps ?
En 1976-1977, la momie de Ramsès II, attaquée par des champignons, a été soignée à Paris. Comme la France s’est mobilisée pour sauver la momie de Ramsès en utilisant son arsenal de laboratoires, aujourd’hui, en remerciement, l’Égypte envoie à Paris le sarcophage dans lequel fut retrouvée sa dépouille en 1881. La momie, quant à elle, reste trop fragile pour pouvoir voyager. C’est aussi une question de respect et d’éthique : on ne déplace pas la dépouille de quelqu’un, et encore moins celle d’un souverain aussi iconique !
L’exposition inaugure une expérience de réalité virtuelle immersive unique. Comment a-t-elle été conçue ?
C’est un moyen de voyager directement en Egypte. L’expérience immersive permet d’approcher les monuments les plus impressionnants comme si on y était. La réalité virtuelle permet de toucher un public plus jeune et même les personnes plus âgées sont fascinées. C’est Néfertari qui nous fait entrer dans les temples d’Abou Simbel. Elle touche les parois et on les touche avec elle. Pédagogiquement, c’est formidable ! Et les clins d’œil à des films d’aventure et de suspense sont là pour attirer les gens vers une égyptologie plus « sérieuse », en estompant ce côté parfois intimidant de la matière. L’aventure est palpitante !