Né dans les méandres de la guerre civile libanaise par un jeu de copinage géopolitique entre Damas et Téhéran, le Hezbollah a vu le jour dans les années 1980. Sa création clandestine est notamment une réponse politico-milicienne à l’intervention israélienne de 1982 visant à déloger l’Organisation de libération de la Palestine de Yasser Arafat de Beyrouth.
L’avènement de la République islamique d’Iran le 11 février 1979 chamboule l’échiquier géopolitique régional. Auparavant allié des États-Unis et d’Israël, Téhéran renverse les alliances préexistantes. Pour le nouveau régime en place, il faut dès à présent étendre les principes révolutionnaires à l’échelle de toute la région, et notamment auprès de la communauté libanaise chiite.
Représentant environ un quart de la population au pays du Cèdre à l’époque et subissant la domination des grands propriétaires terriens, cette communauté est marginalisée économiquement et politiquement. Les villes du Sud du pays ne sont pas asphaltées et les habitations ne sont pas encore reliées aux réseaux hydrauliques et électriques. L’arrivée de Moussa Sadr, un iman iranien, en 1959 à Tyr jette les bases d’une future structure politique et idéologique pour les chiites. Il dénonce le pouvoir exorbitant des notaires, il prône un discours inter-religieux pour ancrer sa communauté dans les sphères dirigeantes libanaises. Dans un contexte de vives tensions entre Israéliens et Palestiniens sur le sol libanais, il crée en 1975 le parti Amal (Afwaj al maqawama al lubnaniyya- les bataillons de la résistance libanaise).
L’Iran avait un temps d’avance
Cependant, sa mystérieuse disparition en Libye en 1978 laisse une communauté orpheline. De ce fait, la prise de pouvoir des mollahs à Téhéran en 1979 est plutôt bien accueillie auprès des couches populaires chiites au Liban. C’est également le cas en Syrie. Isolé dans sa lutte contre Israël depuis les accords de camp David en 1978, Hafez el-Assad voit d’un bon œil ce changement de régime en Iran. D’ailleurs, avant l’avènement de la révolution, Damas accueillait plusieurs révolutionnaires iraniens.
Ainsi, pour parachever les intentions iraniennes au Levant, et structurer des nouvelles d’alliances, l’ayatollah Khomeiny jette son dévolu sur Ali Akbar Mohtashamipour. Véritable mentor du guide suprême, il fait sa connaissance dans la ville sainte irakienne de Nadjaf dans les années 70. Il accompagne l’ayatollah tout au long de ses années d’exil, y compris en France.
En 1973, Khomeini l’envoie avec un groupe de collaborateurs loyaux au Moyen-Orient pour nouer des liens avec les mouvements de libération. C’est à cette époque qu’Ali Akbar Mohtashamipour reçoit une formation militaire dans un camp de l’OLP de la Bekaa. Les liens se créent et se renforcent entre Yasser Arafat en quête de légitimité à l’international et une dissidence iranienne qui prépare l’avenir. Le Liban va devenir un laboratoire pour la future politique révolutionnaire de Téhéran.
Compte tenu du rôle omnipotent de la Syrie sur le dossier libanais depuis le début de la guerre civile, dès l’avènement de la révolution en 1979, le ministre syrien des Affaires étrangères de l’époque Abdel Halim Khaddam se rend à Téhéran le 15 août de la même année pour rencontrer tous les officiels iraniens. A son retour en Syrie, il informe Hafez el-Assad que toutes les conditions sont réunies pour une coopération avec le nouveau régime à Téhéran.
Dès 1982, Khomeiny nomme Mohtashamipour ambassadeur de la République islamique en Syrie. Officiellement, il s’agit d’un poste de diplomate mais officieusement il est surtout en charge des Gardiens de la révolution, l’organisation paramilitaire de Téhéran. Il reçoit les ordres directement
du guide et dispose d’importants effectifs et d’un budget conséquent. La Syrie devient la base arrière de la politique libanaise de Téhéran. De peur de lui faire de l’ombre, Hafez el-Assad est initialement perplexe quant au futur rôle iranien dans la crise libanaise.
L’intervention israélienne : la cause conjoncturelle de la création du Hezbollah
Cependant, après l’invasion israélienne du Sud-Liban en 1982 et l’opération paix en Galilée, le président syrien revoit ses analyses. En juillet de la même année, Téhéran et Damas signent une alliance militaire qui autorise les Gardiens de la révolution à agir sous le contrôle d’Ali Akbar Mohtashamipour. Dans un premier temps, la politique iranienne apporte une assistance financière aux populations chiites défavorisées par l’intermédiaire d’associations sociales et religieuses. L’Iran supplante littéralement le rôle de l’État libanais qui avait longtemps marginalisé cette communauté au profit de la majorité maronite et sunnite.
Mais c’est surtout l’aspect militaire qui intéresse Téhéran. Profitant du chaos libanais, et malgré la guerre Iran-Irak, 5 000 Pasdarans sont envoyés à Damas, dont 1 500 dans la base de Zabadani, à la frontière syro-libanaise. Poreuse, cette zone facilite l’envoi d’hommes et de matériel dans les villages chiites de la Bekaa et notamment dans la caserne Cheikh Abdallah, dans la région de Baalbek-Hermel. La plaine libanaise se mue petit à petit en une zone de recrutement de combattants contre l’occupation israélienne et ses supplétifs libanais de l’Armée du Liban-Sud (ASL) dirigée par Saad Haddad. Pour combler le vide d’une OLP déclinante sur la scène libanaise, l’Iran, avec l’aval de la Syrie, organise, façonne et structure une nouvelle milice redoutable : le Hezbollah, le « Parti de Dieu ».
Le jeune parti chiite intègre dans ses rangs un certain Imad Moughniyeh, qui avait déjà acquis une certaine expérience d’artificier auprès de la force d’élite du Fatah palestinien. Il est en charge du recrutement des miliciens et reçoit ses ordres directement de l’ambassade iranienne à Damas. Le premier fait d’armes du nouveau groupuscule islamiste est l’œuvre d’Ahmad Jaafar Qassir, un jeune chiite libanais de 18 ans, acquis à la cause du Hezbollah. Le 11 novembre 1982, le jeune homme, qui a rejoint le Jihad islamique – groupe palestinien autant proche de l’Iran que du Hezbollah – fonce avec une voiture remplie d’explosifs dans l’immeuble qui abritait le commandement militaire régional et les services gouvernementaux israéliens à Tyr, dans le sud du Liban.
L’explosion détruit le bâtiment et tue plus de 140 personnes, dont 74 soldats israéliens. Ce premier attentat-suicide est le premier d’une longue série qui va mettre à mal la stratégie de domination de l’armée israélienne sur une partie du territoire libanais. Imad Moughniyeh est en charge de mener une véritable campagne de sabotage et de terreur contre les troupes militaires israéliennes au Liban. Les activités du Hezbollah visent également les intérêts occidentaux dans la région.
En représailles au soutien quasi-unanime de la France et des États-Unis à l’Irak de Saddam Hussein dans sa guerre contre l’Iran, la milice chiite aurait orchestré l’attaque de l’ambassade américaine au Liban le 18 avril 1983. La déflagration fait 63 morts, dont des membres du bureau de la CIA présents sur place. Le 23 octobre de la même année, une caserne des Marines à l’aéroport de Beyrouth et une base française de parachutistes sont visées par deux attaques simultanées, faisant respectivement 241 et 58 morts. Jusqu’à présent, l’Iran et le Hezbollah nient catégoriquement être responsables de ces attaques.
Le parti chiite libanais et ses satellites continuent néanmoins de frapper sans relâche les troupes israéliennes, comme en novembre 1983 avec un kamikaze qui se fait exploser à Tyr sur le bâtiment du Shin Bet, le service de sécurité intérieure israélien. Soixante personnes sont tuées.
Comme un an plus tôt, cette attaque est revendiquée par le Jihad islamique.
Ainsi, au regard de sa création, le Hezbollah est une réponse à l’intervention militaire israélienne au Liban. De ce fait, le parti chiite comble un vide milicien avec le départ des troupes de l’OLP en 1982. Sa radicalité va également être une des raisons de sa réussite, le mouvement va attirer dans ses rangs des déçus du parti Amal, des anciens communistes et des anciens baathistes.