Cet après midi là, avec Abou Salih, un lyonnais, nous revenons à Khalden après avoir profité du quartier libre entre les prières du dohor et du ‘assar. Le soleil de plomb nous a incités à nous baigner dans un bassin en aval du camp.
Pour le retour, nous prenons un sentier qui longe la rivière qui traverse notre mou’asqar, caserne. Il en résulte que pour une part du trajet nous marchons le long d’un champ sur notre gauche et le vide qui prend de la hauteur avec la rivière en contre bas sur la droite. Les deux autres qui étaient avec nous ont décidé de remonter le lit de cette même rivière. S’agissant du trajet pris par nos deux acolytes, nous sommes certains qu’il ne s’y trouve pas de mines.
Abou Salih et moi savons que si nous ne quittons pas le sentier, il n’y a pas de raison que nous perdions un pied en marchant. En effet, les mines anti personnelles ne sont pas conçues pour tuer mais pour mettre quelqu’un en incapacité de marcher. Si quelqu’un meurt, son arme et son matériel sont récupérés, puis l’on enterre le défunt sur place. Quand quelqu’un est blessé, il faut deux autres personnes avec lui, et cela peut suffire à disloquer un groupe ou à tout le moins le ralentir. La zone tribale, entre l’Afghanistan et le Pakistan et dans laquelle nous sommes doit compter autant de mines que de fourmis dans le sol…
Toujours est-il que nous marchons sous l’astre solaire qui nous donne l’impression de nos avoir pris pour des panneaux photovoltaïques tant chacun de ses rayons nous martèle inlassablement.
La seconde raison pour laquelle nous ne sortons pas du chemin, vient d’un ordre explicite de notre émir Ibnou Sheikh. Il fallait absolument avoir le moins de contacts possibles avec les paysans aux alentours du camp, pour éviter toute tension. Par conséquent, sauf à ne pouvoir faire autrement, il nous était interdit de sympathiser avec quiconque qui ne soit pas de Khalden.
Visiblement le champ sur la gauche est exploité, et même si le paysan afghan n’est pas visible, autant ne pas y mettre les pieds. Il est situé sur un petit plateau entre la falaise que nous longeons et le une paroi abrupte qui monte de plusieurs dizaines de mètres. Il s’agit d’une sorte de terrasse naturelle.
C’est alors que j’aperçois un mouvement sur notre gauche. Puis ce sont des aboiements qui nous parviennent. Petit à petit se distingue un membre de l’espèce des canidés qui me parait déjà énorme alors qu’il est encore loin. Plus il s’approche, et plus il me semble être un animal hybride entre le pitbull et l’ours noir…
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Nous avons à cet instant trois options, si le chien continue à nous prendre pour cible :
- Faire usage de nos armes pour le neutraliser quand il est encore dans le champ, au risque de gros soucis avec son propriétaire.
- Attendre qu’il soit sorti du champ avant de tirer, mais en risquant que l’un de nous se fasse entrainer dans le vide à droite.
- Sauter du sentier sur la droite et tenter de voler avant le sol…
Si ce terrain n’était pas exploité, il y aurait bien eu l’option probable d’une mine…
Puisqu’il reste encore quelques secondes avant que l’animal nous saute dessus, j’épaule mon ak47 en mode rafale. Au regard de la masse et de son inertie, il faudra au moins une dizaine de balles pour tenter de le stopper. Mais je ne peux pas tirer avant qu’il ne soit sorti du champ.
En fait, le problème que j’ai à cet instant, est que Abou Salih s’est mis derrière moi pour me placer entre le chien et lui. Il a cédé à la panique et ne se voit pas finir en croquettes pour chien. J’ai beau lui dire de ne pas bouger, ses mains sur mes épaules rendent la visée très aléatoire.
Alors que le chien arrive à un mètre de l’endroit où je peux tirer, il donne l’impression de sauter, mais pour s’arrêter net sur ses pattes antérieures dans un dernier aboiement. Son arrêt est tellement brutal que de la poussière se lève autour de lui… Malgré tout je garde en joue et constate que ce chien n’appartient à aucune race de canidés répertoriée, sauf peut-être dans le roman « le chien des Baskerville » de Conan Doyle. La différence notable avec le roman, est que la version afghane n’a pas besoin de porter un masque pour impressionner le chaland. Nous sommes loin du lévrier afghan…
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Le plus étonnant est qu’il se calme d’un coup, nous observe, s’assied sur ses pattes arrière et ne bouge plus. Visiblement, son maitre lui a donné les mêmes consignes que nous avions pour ne pas sympathiser avec des inconnus. Cela tombe bien, puisque je n’ai jamais trop aimé les chiens.
Je baisse alors mon arme, et nous repartons en gardant le molosse du coin de l’œil, au cas où…
La seule vraie leçon à tirer de cette histoire est que même armé, Abou Salih n’aura pas su maitriser sa phobie canine. S’il avait été seul, il n’aurait peut-être pas fait de vieux os, littéralement.
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