Qu’elles s’appellent Blackwater, Mozart, ou encore Wagner. Les sociétés militaires privées, pour des questions de besoin, de visibilité et de coût, sont en pleine expansion.
Dans Agir entre les lignes (éditions Mareuil), le colonel Peer de Jong, ancien aide de camp de François Mitterrand et de Jacques Chirac. Il a également commandé le 3e RIMa de Vannes avant de quitter l’Institution militaire. Il est aussi fondateur de l’Institut Thémiis et fait le point sur ces entreprises paramilitaires.
On parle abondamment de la société militaire privée russe Wagner et de ses activités en Afrique, au Proche/Moyen-Orient et en Ukraine. Les « mercenaires » sont de retour sur le devant de la scène et l’on comprend mieux aujourd’hui le milieu des SMP ou des ESSD (Entreprises de services de sécurité et défense).
Dans ce contexte, on aurait tort d’aborder les SMP/ESSD à l’unique aune de Wagner et de les diaboliser systématiquement, comme ce fut le cas après 2003.
Et il va s’en dire, que Peer de Jong se penche sur Wagner et sur la moins connue SMP turque Sadate, mais aussi les SMP anglo-saxonnes des guerres d’Irak et d’Afghanistan, celles dont 15% des personnels étaient armés pour des missions de sécurisation, le reste des effectifs effectuant des prestations de formation, soutien et appui, maintenance, renseignement, déminage, soutien médical et logistique. Des SMP aux pratiques parfois douteuses, elles aussi…
Qu’en est-il de la spécificité de Wagner ?
Avec Evgueni Prigogine, un oligarque proche du Kremlin, Wagner est devenu un outil de sécurité et d’influence, économiquement viable, au service des intérêts russes.
De fait, cette « société militaire privée » russe a aussi cherché à financer toutes ses activités sans faire appel à l’État russe, pour les rendre pérennes et mieux les démarquer. En exigeant d’être payé en parts de marché, elle s’inspire du modèle inventé par la SMP sud-africaine Executive Outcomes, en 1991. Voilà comment, aujourd’hui, Wagner est devenue un élément de plus en plus incontournable de la politique étrangère russe.
Pour Peer de Jong, il est clair que « nous sommes entrés dans une phase d’accélération de la sous-traitance ou de l’externalisation des services et fonctions périphériques à la guerre. Les Américains, qui ont lancé le mouvement, en ont démontré la viabilité et les économies potentielles sur le moyen terme. »
Washington n’est pas en reste…
Dans cette perspective, on soulignera volontiers que sur le continent, le commandement militaire des États-Unis pour l’Afrique (Africom) mène, depuis sa création en 2007, une politique d’« empreinte légère » visant à afficher le moins possible sa présence et en s’appuyant également sur des sous-traitants encore plus discrets.
De fait, Africom ne reçoit que 0,3 % des fonds allouées par le Pentagone. Mais les activités militaires et sécuritaires américaines sur le continent reposent en revanche sur un ratio de contractors beaucoup plus élevé que sur les autres théâtres d’opérations régionaux de l’armée des États-Unis, comme le précise Jean-Christophe Servant. https://blog.mondediplo.net/pendant-ce-temps-africom
Il y aurait ainsi autant de privés sous contrat que de militaires en appui dans les vingt-neuf sites d’Africom implantés dans quinze pays d’Afrique et de forces spéciales déployées dans vingt-neuf nations.
Quid de la France ?
Afin de mettre cet outil d’influence militaire et régalien à la française attrayant, l’auteur d’Agir entre les lignes milite pour que Paris s’extraiedu carcan de la loi de 2003 sur les entreprises de services de sécurité et de défense (les ESSD), équivalent des SMP, qui leur interdit toute activité nécessitant un port d’armes. C’est pourquoi celles qui opèrent à l’étranger sont souvent obligées de sous-traiter à des concurrents locaux.
Et Peer de Jong de marteler : « Il est urgent d’adopter la catégorisation anglo-saxonne : les services de nature militaire, le conseil et la formation, le soutien »
Mais y a-t-il encore une place pour des opérateurs français en Afrique, comme au temps de Bob Denard, le célèbre mercenaire français, véritable « corsaire de la République » sur le continent africain durant les années 1960-1980 ?
Pour ceux qui souhaiteraient avoir une réponse, le baroudeur de répondre : « Plus que jamais ! Les bailleurs internationaux comme l’Union européenne sont moteurs et réclament nos expertises. J’en veux pour preuve les contrats remportés par Themiis, la société de conseil et de formation des armées que j’ai fondée ».
Agir entre les lignes. Sociétés militaires privées, Wagner, Blackwater, Mozart et les autres. Peer de Jong, éditions Mareuil, 2023, 247 pages.