Alors que la politique étrangère française est plutôt en panne ces temps-ci, il est toujours bon de souligner quelques succès, certes rares mais néanmoins importants, pourtant largement ignorés voire occultés, pour des raisons bassement idéologiques, par les observateurs et les médias français. Surtout lorsqu’ils concernent nos relations avec l’Égypte de Sissi…
L’Égypte d’Abdel Fattah al-Sissi n’est pas qu’un partenaire géostratégique majeur de la France. Au-delà de la profonde coopération entre Paris et Le Caire sur le plan commercial et militaire ainsi que dans le renseignement et la lutte contre le terrorisme jihadiste dans la région, la plupart des observateurs comme des médias hexagonaux semblent vouloir ignorer voire occulter, pour des raisons bassement idéologiques, une initiative égyptienne historique éminemment importante pour l’avenir des relations franco-égyptiennes. Normal dirons-nous, puisque c’est l’État égyptien dirigé par al-Sissi, qui est toujours considéré par certains « experts », plus idéologues et militants que véritables analystes, comme un « méchant dictateur » puisqu’il « persécute » les islamistes de la confrérie des Frères musulmans, encore présentés comme de « pauvres gentils moines bouddhistes » (Voir mon livre, Abdel Fattah Al-Sissi, Le Bonaparte égyptien ? VA Éditions, 2023).
Et en effet, cette information est passée quasi inaperçue du grand public. Il s’agit de la signature en 2020 entre l’Égypte et l’Agence française de développement (AFD) d’un accord visant à favoriser et améliorer l’enseignement de la langue française dans le plus peuplé des pays arabes (plus de 100 millions d’habitants).
Le Fonds de solidarité pour les projets innovants, les sociétés civiles, la francophonie et le développement humain (FSPI) permet aux ambassades françaises de mener sur le terrain des actions innovantes à impact rapide et fortement visibles au bénéfice des populations locales. Le projet peut être porté au niveau national ou régional. D’une durée maximale de deux ans, chaque projet dispose d’un montant allant de 100 000 à un million d’euros. Les projets financés peuvent être repris à plus grande échelle par les bénéficiaires ou par d’autres acteurs du développement.
Le projet FSPI « Appui au développement du français en Égypte » (ADEFE), en partenariat avec l’institut français d’Égypte et Canopé, est né de la volonté de la coopération française d’appuyer le système éducatif égyptien public.
De fait donc, cette initiative qu’il faut saluer, vise à renforcer la francophonie et la qualité de l’enseignement de la langue française. Ainsi, le français deviendra, à partir de l’année académique 2024-2025, une matière obligatoire enseignée comme seconde langue étrangère dans les écoles publiques égyptiennes – dont 3,5 millions d’élèves apprennent le français – du cycle préparatoire au cycle secondaire.
Cette décision des autorités égyptiennes pose ainsi les bases de l’enseignement du français dans le pays des pharaons et engage Paris au développement des programmes d’enseignement de la langue de Molière comme l’une des langues vivantes, ainsi qu’à la formation de 13 000 enseignants et instructeurs de la langue française.
Avec son statut de membre fondateur de l’Organisation internationale de la Francophonie, l’Égypte mène de nombreuses activités dans le pays pour promouvoir et renforcer la diffusion du français.
De même, et il faut s’en féliciter, cette mesure garantira le développement des ponts culturels et civilisationnels et le renforcement des liens entre les deux peuples.
L’Égypte compte également bénéficier de l’expertise technologique française dans tous les domaines qui concernent la modernisation en cours du pays. Mais cette initiative s’inscrit aussi dans les profondes et inédites (voire historiques !) réformes dans l’Éducation égyptienne initiées depuis 2014 par Sissi et qui ont pour objectif, comme je le décris dans mon dernier ouvrage, une véritable révolution des mentalités…
Enfin, n’oublions pas le contexte international actuel avec l’accélération de la multipolarisation du monde dû à la guerre en Ukraine, le déclin occidental annoncé et la montée en puissance de la Chine (le chinois a été également introduit comme matière facultative dans le système éducatif égyptien). Car pour le président Sissi, se tourner vers la France, c’est aussi un moyen habile, comme il le fait depuis dix ans, de diversifier ses partenariats stratégiques étrangers.
Preuve s’il en est, que la France peut encore jouer un rôle dans le monde de demain. Elle en a le potentiel comme le démontrent, entre autres, la francophonie et ce dernier succès diplomatiques…
Il faut juste pour cela que les dirigeants français s’émancipent enfin de la tutelle américaine et européenne pour jouer leur propre partition garantissant les seuls intérêts français. Mais ça, c’est une autre histoire…
Roland Lombardi est docteur en Histoire, géopolitologue, spécialiste du Moyen-Orient et des questions de sécurité et de défense. Fondateur et directeur de la publication du Diplomate.
Il est chargé de cours au DEMO – Département des Études du Moyen-Orient – d’Aix Marseille Université et enseigne la géopolitique à Excelia Business School de La Rochelle.
Il est régulièrement sollicité par les médias du monde arabe. Il est également chroniqueur international pour Al Ain. Il est l’auteur de nombreux articles académiques de référence notamment : « Israël et la nouvelle donne géopolitique au Moyen-Orient : quelles nouvelles menaces et quelles perspectives ? » in Enjeux géostratégiques au Moyen-Orient, Études Internationales, HEI – Université de Laval (Canada), VOLUME XLVII, Nos 2-3, Avril 2017, « Crise du Qatar : et si les véritables raisons étaient ailleurs ? », Les Cahiers de l’Orient, vol. 128, no. 4, 2017, « L’Égypte de Sissi : recul ou reconquête régionale ? » (p.158), in La Méditerranée stratégique – Laboratoire de la mondialisation, Revue de la Défense Nationale, Été 2019, n°822 sous la direction de Pascal Ausseur et Pierre Razoux, « Ambitions égyptiennes et israéliennes en Méditerranée orientale », Revue Conflits, N° 31, janvier-février 2021 et « Les errances de la politique de la France en Libye », Confluences Méditerranée, vol. 118, no. 3, 2021, pp. 89-104. Il est l’auteur d’Israël au secours de l’Algérie française, l’État hébreu et la guerre d’Algérie : 1954-1962 (Éditions Prolégomènes, 2009, réédité en 2015, 146 p.). Co-auteur de La guerre d’Algérie revisitée. Nouvelles générations, nouveaux regards. Sous la direction d’Aïssa Kadri, Moula Bouaziz et Tramor Quemeneur, aux éditions Karthala, Février 2015, Gaz naturel, la nouvelle donne, Frédéric Encel (dir.), Paris, PUF, Février 2016, Grands reporters, au cœur des conflits, avec Emmanuel Razavi, Bold, 2021 et La géopolitique au défi de l’islamisme, Éric Denécé et Alexandre Del Valle (dir.), Ellipses, Février 2022. Il a dirigé, pour la revue Orients Stratégiques, l’ouvrage collectif : Le Golfe persique, Nœud gordien d’une zone en conflictualité permanente, aux éditions L’Harmattan, janvier 2020.
Ses derniers ouvrages : Les Trente Honteuses, la fin de l’influence française dans le monde arabo-musulman (VA Éditions, Janvier 2020) – Préface d’Alain Chouet, ancien chef du service de renseignement et de sécurité de la DGSE, Poutine d’Arabie (VA Éditions, 2020), Sommes-nous arrivés à la fin de l’histoire ? (VA Éditions, 2021), Abdel Fattah al-Sissi, le Bonaparte égyptien ? (VA Éditions, 2023).
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